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De la confession de saint Pierre et des deux natures en Jésus- Christ par saint Léon le Grand

25 avril 2021

Nous avons à célébrer, mes chers frères, la fête de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui fait l’objet des vœux et la consolation du monde entier. Comment pouvoir contenir en nous-mêmes la joie spirituelle dont nous devons être remplis, comment ne pas en faire part aux autres? Quoiqu’il soit difficile de parler souvent et dignement sur le même sujet, le Ministre du Seigneur peut-il refuser l’instruction au peuple fidèle dans un temps où, nous faisons mémoire du mystère de la miséricorde divine envers nous ? Ce sujet, ineffable en lui-même, demande néanmoins à être traité ; et on ne peut demeurer court en en parlant, parce qu’on ne peut jamais en dire assez.

 

 

Que l’éloquence hu­maine reconnaisse donc ici son insuffisance; et que l’homme, dans sa faiblesse, rende gloire à Dieu en avouant l’impossibilité où il est d’expliquer les œuvres de son incompréhensible miséricorde. Si notre langue ne fait que bégayer, si notre esprit est trop borné, si notre entendement est trop faible quand il s’agit de s’élever si haut, il est avantageux pour nous de succomber sous le poids de la majesté de Dieu, puisque le roi Prophète a dit : Cherchez le Seigneur, et fortifiez-vous dans cette recherche; ne cessez jamais de contempler sa grandeur (Ps CIV.4). Personne ne doit présumer avoir trouvé tout ce qu’il cherche, de peur qu’en cessant de s’ap­procher de la vraie lumière, il ne vienne à s’en éloi­gner. Mais parmi tous les ouvrages de Dieu qui sont l’objet de notre admiration, quel sujet plus intéres­sant à contempler, plus sublime, plus propre à sa­tisfaire nos cœurs, que la passion de l’Homme- Dieu ! En effet, mes frères, toutes les fois que nous pensons, autant que nous en sommes capables, à sa grandeur qui lui est commune avec son Père à qui il est égal en tout, l’humilité d’un Dieu ne nous pa­rait-elle pas plus admirable que sa puissance elle- même? et l’anéantissement de la majesté divine n’est-il pas plus incompréhensible que l’élévation de la nature humaine, qu’il a placée si haut? L’in­telligence de ce grand mystère nous devient beau­coup plus facile, quand nous considérons que, quoique le Créateur soit infiniment différent de la créature, que la divinité soit impassible et l’huma­nité sujette aux souffrances; la même personne ayant réuni en elle les deux natures et les qualités qui leur sont propres, les humiliations et la gloire lui appartiennent également, soit dans les douleurs et les abaissements, soit dans les actes où elle a ma­nifesté sa puissance divine.

Nous avons tiré la règle de notre foi, mes chers frères, du symbole transmis par l’autorité des Apôtres. Nous y confessons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu le Père Tout-Puissant, est le même que nous reconnaissons être né de la Vierge-Marie, par l’opération du Saint-Esprit; et nous ne cessons pas de rendre hommage à sa sou­veraine majesté, lorsque nous croyons qu’il a été crucifié, qu’il est mort et qu’il est ressuscité le troi­sième jour : car la divinité unie à l’humanité en Jésus-Christ, a fait toutes les opérations qui con­viennent à Dieu et à l’homme, sans cependant que dans cette admirable union des deux substances, on puisse dire que la divinité ait ressenti nos fai­blesses, ni que l’humanité qui l’en rendait capable, ait été absorbée par la puissance divine. Aussi l’Apôtre saint Pierre a-t-il été loué avec justice, d’a­voir cru et confessé cette ineffable unité de per­sonne. Ce fut lui qui prévint tous les autres Apôtres, lorsque le Seigneur leur demanda ce qu’ils pen­saient de lui : Vous êtes, répondit saint Pierre, le Christ, Fils du Dieu vivant (Mt. XVI.16). Ce ne fut point la chair ni le sang qui lui révélèrent cette vérité, puis­qu’ils étaient plutôt capables d’empêcher les yeux de l’âme de l’apercevoir; mais l’Esprit de Dieu qui opérait dans le cœur de l’Apôtre et lui inspirait la foi, afin qu’appelé au gouvernement de toute l’Église, il apprit le premier ce qu’il devait dans la suite, enseigner aux autres; et pour le confirmer dans cette foi qu’il allait bientôt prêcher, il entendit de la bouche du Seigneur lui-même ces paroles : Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Mt XVI.18). L’édifice de la foi chrétienne est fondé sur la pierre la plus ferme, il est inébranlable et nous met à l’abri des terreurs de la mort ; celte foi consiste donc essentiellement à confesser, que Notre-Seigneur Jésus-Christ est vraiment Dieu et vraiment homme; à croire que celui qui est le Fils d’une Vierge, est en même temps le Créateur de sa mère ; que celui qui est né à la fin des temps prédits, est le maître et l’auteur de tous les temps ; que le souverain Seigneur des puissances et des vertus célestes, est également le Fils de l’homme; que celui qui était incapable de ressentir les atteintes du péché, est venu avec une chair semblable à la chair du péché, et qu’il a été immolé pour le salut des pécheurs.

C’est lui qui, pour briser les chaînes du genre hum in esclave depuis sa prévarication, a caché au démon sa majesté et sa puissance, et s’est revêtu de l’infirmité de notre nature pour combattre cet ennemi de l’homme. Si ce superbe et cruel adver­saire avait pu connaître les desseins de la miséri­corde de Dieu sur nous, il aurait calmé les esprits des Juifs plutôt que de les aigrir en leur inspirant une haine injuste contre Jésus-Christ, afin de ne pas perdre en exerçant ses droits sur celui qui ne lui de­vait rien, la domination qu’il s’était acquise sur tant de captifs. Sa propre malice l’a donc trompé. Il a fait souffrir au Fils de Dieu un supplice qui devait servir de remède aux maux des enfants des hommes. Il a répandu le sang du juste; et ce sang précieux a été le prix de la réconciliation du monde avec Dieu. Il est devenu aussi le breuvage mystérieux qui nous nous lave de nos péchés. Le Sauveur s’est soumis au genre de mort qu’il avait choisi, suivant les vues de sa sagesse. Il a livré sa personne à la fureur de ces impies qui, ne songeant qu’à consommer leur crime, se prêtaient, sans le savoir, à l’accomplisse­ment des desseins du Rédempteur. La tendresse de sa compassion pour ses bourreaux eux-mêmes était si grande, que du haut de sa croix, il priait son Père, non de venger sa mort, mais de leur pardonner, en disant : Mon Père pardonnez-leur, car ils ne sa­vent ce qu’ils font (Lc XXIII.34). La force de cette prière a eu tant d’effet, que la prédication de saint Pierre a converti plusieurs même de ceux qui avaient dit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (Mt XXVII.25) ! Ils embrassèrent la pénitence, et près de trois mille furent baptisés en un seul jour. Ils ne firent plus tous ensemble qu’un cœur et qu’une âme, prêts à mourir pour celui dont peu de jours auparavant ils avaient demandé la mort. Le traître Judas ne put avoir part à celte miséricorde, parce que, enfant de perdition, le démon s’était emparé de lui, et qu’il s’abandonna au désespoir avant de pouvoir parti­ciper à l’efficacité du sang que le Sauveur répandait, pour la rédemption du genre humain. Le Seigneur mourant pour tous les impies, il y a lieu de penser que ce malheureux aurait joui du bienfait d’un remède si puissant, s’il ne s’était bâté de mettre fin à ses jours ; mais ce cœur pervers, accoutumé aux fraudes et aux larcins, lié de commerce avec des parricides, n’avait jamais appliqué son attention à la doctrine du Sauveur qui ne prêchait que la misé­ricorde. Il avait entendu, mais il n’avait pas com­pris combien était grande l’ineffable bonté de son maître, lorsqu’il disait : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (Mt IX.13), ou encore : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc V.32). Il n’avait pas une idée véritable de la clé­mence de Jésus-Christ, qui ne rendait pas seule­ment la santé aux corps infirmes et malades, mais qui guérissait aussi les plaies de nos âmes, comme lorsqu’il disait au paralytique : Mon Fils, ayez con­fiance, vos péchés vous sont remis (Mt IX.3); ou à la femme adultère qu’on lui avait amenée : Je ne vous con­damnerai pas non plus; allez, et ne péchez plus à l’avenir (Jn VIII.11). Le Seigneur faisait cependant connaître par toutes ses œuvres que, dans ce premier avène­ment, il était venu pour sauver le monde, et non pour le juger.

L’impie Judas, ne pénétrant point ce mystère de grâce, s’indigna contre lui-même, non avec les sen­timents d’un cœur pénitent, mais avec la fureur d’un homme qui veut périr; de sorte que celui qui avait vendu l’auteur de la vie à des meurtriers, par le crime de sa mort, rendit encore son jugement plus redoutable. Ainsi, mes chers frères, tout ce que les faux témoins, la cruauté des Princes de la Sy­nagogue, l’impiété des Prêtres favorisée par la lâ­cheté du Président et le concours d’une populace insensée, ont fait souffrir à Jésus-Christ pour l’ac­complissement du mystère de notre salut, est de­venu le sujet de l’exécration de tous les siècles, et en même temps le fondement de toutes nos espé­rances. Car la croix du Sauveur, qui, dans l’esprit des Juifs, servait d’instrument à leurs desseins san­guinaires, est devenue aujourd’hui l’objet de notre admiration, par la puissance de celui qui y a été attaché. La fureur du peuple éclate contre un seul homme, et Jésus-Christ exerce sa miséricorde sur tous. Il souffre tout ce que la rage de ses ennemis peut imaginer contre lui, afin qu’en laissant un libre cours à leurs noirs complots, ils soient les exécuteurs de ses volontés éternelles. Le récit des circonstances dont l’Évangile nous donne un si grand détail, doit donc faire une telle impression sur l’es­prit des Fidèles, qu’en croyant la vérité des faits qui se sont accomplis dans la Passion de l’Homme- Dieu, nous comprenions que non-seulement le Sau­veur nous a mérité par sa mort, la rémission des péchés, mais encore qu’il est devenu le modèle que nous devons suivre pour parvenir à la vraie justice. Afin de traiter ce sujet avec plus de soin, nous le remettons à un autre jour. Nous espérons que vos prières nous procureront le secours de la grâce de Dieu dont nous avons besoin pour le faire avec succès, et nous l’obtiendrons si nous la demandons par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui règne avec son Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 


Homélies de Saint Léon le Grand, par l’abbé Patrice Chauvièrre, Félix Girard, Éditeur, Paris, 1866, pp. 340-347

Homélie disponible également en format électronique [pdf] sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

 


 

 

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