Catéchèse, Orthodoxie, Seraphim Rose

L’âme après la mort – chapitre dixième

26 novembre 2020

Abrégé de la doctrine orthodoxe sur le destin de l’âme après la mort

 

Dans les neuf premiers chapitres de ce livre, nous avons essayé d’exposer certains aspects fondamentaux de la vision chrétienne orthodoxe de la vie après la mort, par contraste avec la conception contemporaine répandue, de même qu’avec des visions occidentales plus anciennes, qui, à plusieurs égards, se sont éloignées de l’antique enseignement chrétien.

Icône syriaque de la Dormition de la Mère de Dieu

En Occident, les doctrines orthodoxes authentiques des anges, du royaume aérien des esprits déchus, de la nature des contacts humains avec des esprits, du Ciel et de l’enfer ont été soit perdues, soit déformées, avec le résultat qu’une interprétation complètement trompeuse est donnée aux expériences « après la mort » qui surviennent de nos jours. La seule réponse adéquate à cette fausse interprétation est la doctrine chrétienne orthodoxe.

Ce livre est d’une étendue trop limitée pour offrir la doctrine orthodoxe complète sur l’autre monde et la vie après la mort ; notre essai s’est borné à exposer assez de cette doctrine pour répondre aux questions soulevées par les expériences « après la mort » de nos jours, et à orienter les lecteurs vers les textes orthodoxes qui la contiennent. Ici, en guise de conclusion, nous présentons un résumé final de la doctrine orthodoxe spécifiquement sur le destin de l’âme après la mort. Ce résumé consiste en un article, écrit un an avant sa mort, par un des derniers grands théologiens russes orthodoxes de notre temps, l’archevêque Jean Maximovitch. Ses paroles sont ici imprimées en italique, les titres explicatifs, commentaires et comparaisons, ainsi que les citations de divers saints pères, ont été insérés entre les paragraphes en romain régulier.

 

La vie après la mort

par l’archevêque Jean Maximovitch

 

J’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir

– Credo de Nicée —

 

Sans borne et sans consolation aurait été notre regret pour nos proches qui meurent, si le Seigneur ne nous avait pas donné la vie éternelle. Notre vie n’aurait aucun sens si elle se terminait par la mort. Quelle serait alors l’utilité de la vertu et des bonnes œuvres ? Ils auraient raison alors, ceux qui disent : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! » Mais l’homme a été créé pour l’immortalité, et par sa résurrection, le Christ a ouvert les portes du royaume céleste, de l’éternelle béatitude pour ceux qui ont cru en lui et ont vécu vertueusement. Notre vie terrestre est une préparation à la vie future, et la fin de cette préparation est le    moment de la mort. « Il est établi que les hommes meurent une fois, et qu’ensuite vient le jugement » (Hébr 9,27). Alors l’homme abandonne tous ses soucis terrestres ; le corps se décompose pour revivre de nouveau à la Résurrection générale.

Mais son âme continue à vivre, et son existence ne cesse pas pour un instant. Par de nombreuses manifestations des défunts, il nous a été donné de savoir en partie ce qui arrive à l’âme lorsqu’elle quitte le corps. Quand sa vision par les yeux corporels cesse, sa vision spirituelle commence.


 

L’évêque Théophane le Reclus, dans un message à une femme mourante, écrit : « Tu ne vas pas mourir. Ton corps va mourir, mais toi, toujours vivante, tu passeras dans un monde différent, où tu te souviendras de toi-même, et tu reconnaîtras le monde entier qui t’entoure. » 1

Après la mort, l’âme est plus, et non pas moins vivante et consciente qu’avant la mort. St Ambroise de Milan enseigne :

Si […] nous pouvons, même après la mort, recevoir des impressions, comme l’âme seule est capable de les éprouver, il s’ensuit qu’il n’y a pas eu destruction pour elle. La vie, qu’on regarde comme une source de bonheur, n’a donc pas disparu; l’âme doit, au contraire, sentir des jouissances beaucoup plus vives : la mort ne saurait lui faire obstacle. Son action est plus vive, parce qu’elle ne s’exerce que sur elle-même, sans aucune participation du corps, qui lui est plus à charge qu’utile.2

Le saint abba Dorothée de Gaza, père monastique du VIe siècle, résume ainsi l’enseignement des premiers pères sur ce sujet :

Selon les pères, en effet, les âmes se souviennent de toutes les choses d’ici-bas : paroles, actions, pensées; elles n’en peuvent alors rien oublier. Ce que dit le Psaume : ‹En ce jour-là s’évanouiront toutes leurs pensées› [Ps CXLV.4], concerne les pensées de ce monde, celles par exemple qui ont pour objet les constructions, les propriétés, les parents, les enfants, et tout commerce. Cela s’évanouit, quand l’âme sort du corps; elle n’en garde aucun souvenir et ne s’en soucie plus. Mais ce qu’elle a fait par vertu ou par passion, demeure dans sa mémoire, et rien n’en est perdu. […] Je le répète, rien de ce qu’elle a fait en ce monde ne périt; de tout, l’âme se souviendra après avoir quitté le corps : elle en a même une connaissance encore plus pénétrante et plus lucide, étant affranchie de ce corps terrestre.3

L’illustre père monastique du Ve siècle, saint Jean Cassien, expose tout à fait clairement l’état actif de l’âme après la mort du corps, en réponse aux premiers hérétiques, qui croyaient que l’âme était inconsciente après la mort :

Que les âmes séparées de leur corps ne demeurent point inactives ni privées de sentiment, c’est ce que la parabole évangélique du pauvre Lazare et du riche vêtu de pourpre nous montre bien […] Les âmes des défunts ne sont point privées de leurs facultés intellectuelles, et qu’elles ne laissent pas non plus d’éprouver le sentiment de l’espérance et de la tristesse, de la joie et de la crainte : qu’elles possèdent déjà un avant-goût de ce qui leur est réservé après le jugement général […] Et en vérité, s’il est permis un instant de ne plus songer aux témoignages des Écritures, afin de raisonner quelque peu sur la nature de l’âme, pour autant qu’il est possible à la médiocrité de mon intelligence, n’est-ce point le comble, je ne dirai pas seulement de la sottise, mais de la démence, de supposer le moins du monde que la partie de l’homme la plus précieuse, celle qui porte en soi, selon le bienheureux Apôtre, l’image de Dieu et sa ressemblance, puisse, une fois déposé le fardeau du corps, lequel émousse présentement sa vigueur, devenir insensible, elle qui, possédant en soi seule toute la puissance raisonnable, donne par participation de soi la sensibilité à la matière même inanimée et insensible? La logique et la raison n’exigent-elles pas, au contraire, absolument que, libre de cette chair grossière qui maintenant l’alourdit, elle retrouve en mieux ses facultés intellectuelles, et plus limpides, et plus délicates, plutôt qu’elle ne les perde? » 4

Les expériences « après la mort » d’aujourd’hui ont rendu les hommes extrêmement informés de l’état de conscience de l’âme en dehors du corps, de l’état plus vif et plus rapide de ses facultés mentales. Mais cette connaissance en elle-même ne suffit pas pour être protégé dans cet état des apparitions trompeuses du royaume « extracorporel » ; on doit être en possession de la doctrine chrétienne intégrale à ce sujet.

 

Le début de la vision spirituelle

 

Souvent, (cette vision spirituelle) commence chez les mourants avant même la mort, et pendant qu’ils voient ceux qui les entourent et parlent même avec eux, ils voient ce que d’autres ne voient pas.

Cette expérience des mourants a été observée à travers les âges, et ce n’est rien de nouveau chez les mourants d’aujourd’hui. Ce qui a été affirmé cependant 5, doit être répété ici : c’est seulement dans les visitations accordées aux justes par la Grâce, quand des saints et des anges apparaissent, que nous pouvons être sûrs que ce sont réellement des êtres de l’autre monde qui viennent. Dans les cas ordinaires, quand la personne mourante commence à voir des parents et des amis défunts, l’expérience est peut-être seulement une introduction naturelle au monde invisible dont elle est sur le point de franchir le seuil ; la nature exacte des images des défunts qui apparaissent alors n’est connue peut-être que de Dieu seul — nous n’avons pas besoin de nous en soucier indiscrètement.

Apparemment, Dieu accorde cette expérience comme la manière la plus évidente d’informer la personne mourante que l’autre monde n’est pas, après tout, un endroit totalement étranger, que la vie dans l’autre monde comprend aussi l’amour que l’on a pour ses proches. L’évêque Théophane exprime cela de façon touchante dans ses paroles à la femme mourante :

Là-bas, tu verras ton père et ta mère, tes frères et sœurs. Incline-toi devant eux, salue-les de notre part, et demande leurs prières pour nous. Tes enfants t’entoureront de leurs salutations joyeuses. Ce sera mieux pour toi là-bas qu’ici.

 

Le Jugement dernier, XVe-XVIe siècle.

Rencontre avec des esprits

 

Mais quand l’âme quitte le corps, elle se trouve parmi d’autres esprits, bons et mauvais. En général, elle se penche vers ceux qui lui ressemblent davantage, et si, étant encore dans le corps, elle était sous l’influence de certains, elle restera dépendante d’eux quand elle quitte le corps, même s’il s’avèrent désagréables lors de cette rencontre.

Ici on nous rappelle solennellement que l’autre monde, bien qu’il ne nous soit pas totalement étranger, ne sera pas une simple rencontre agréable avec des amis dans un bonheur de printemps éternel, mais une rencontre spirituelle, qui testera la disposition de notre âme dans cette vie, — si elle est devenue plus proche des anges et des saints par une vie de vertu et d’obéissance aux commandements de Dieu, ou si, par sa négligence ou manque de foi, elle s’est rendue plus appropriée à la compagnie des esprits déchus. L’évêque Théophane le Reclus a bien dit que même l’épreuve aux postes de péage peut bien s’avérer être faite moins d’accusations que de tentations.

Tandis que le fait du jugement dans la vie future est tout à fait indubitable — aussi bien le Jugement particulier immédiatement après la mort que le jugement dernier à la fin du monde — la sentence extérieure de Dieu ne sera qu’une réponse à la disposition intérieure que l’âme a développée en elle-même envers Dieu et les êtres spirituels.

 

Les deux premiers jours après la mort

 

Pendant deux jours, l’âme jouit d’une liberté relative et peut visiter des endroits qu’elle chérissait sur terre, mais le troisième jour, elle entre dans d’autres sphères.

Ici, l’archevêque Jean ne fait que répéter l’enseignement connu de l’Église depuis le 4e siècle, quand un ange qui accompagna saint Macaire d’Alexandrie dans le désert, lui dit pour expliquer la commémoration des morts le troisième jour après le décès

Quand on fait l’offrande dans l’église le troisième jour, l’âme du défunt reçoit de son ange gardien un soulagement de la tristesse qu’elle ressent du fait de la séparation du corps.… Au cours des deux jours, l’âme est autorisée à parcourir la terre, où qu’elle veuille aller, en compagnie des anges qui sont avec elle. Par conséquent, l’âme, qui aime le corps, se promène autour de la maison où la toilette du corps a été faite, et passe ainsi deux jours comme un oiseau cherchant son nid. Mais l’âme vertueuse visite les endroits où elle faisait de bonnes œuvres. Le troisième jour, Celui qui ressuscita le troisième jour ordonne à l’âme chrétienne, en imitation de sa résurrection, de monter aux Cieux pour adorer le Dieu de tous.  6

Saint Jean Damascène, dans l’office des funérailles orthodoxe décrit de façon frappante l’état de l’âme, séparée du corps, mais encore sur terre, impuissante à contacter ses proches, qu’elle voit :

Pauvre de moi ! Quelle épreuve terrible subit l’âme quand elle est sortie du corps ! Hélas ! Combien elle verse de larmes et il n’y a personne pour lui montrer de la compassion ! Elle lève son regard vers les anges ; et vaine est sa prière. Elle tend ses mains aux hommes, et ne trouve personne pour la secourir. C’est pourquoi, frères bien-aimés, méditant sur la brièveté de la vie, implorons du Christ le repos pour celui qui est parti d’ici, et pour nos âmes la grande miséricorde. 7

L’évêque Théophane le Reclus, dans une lettre au frère de la femme mourante mentionnée plus haut, écrit :

Ta sœur ne va pas mourir : le corps meurt, mais la personne du mourant reste. Elle passe seulement dans un autre ordre de vie… Ce n’est pas elle que l’on va mettre dans la tombe. Elle est ailleurs. Elle sera aussi vivante qu’elle est maintenant. Les premiers heures et jours, elle sera autour de vous. Seulement, elle ne dira rien et tu ne pourras pas la voir ; mais elle sera bien là. Mets-toi bien cela dans la tête. Nous qui restons pleurons les défunts, mais eux, ils sont immédiatement soulagés ; leur condition est plus heureuse. Ceux qui sont morts et sont revenus ensuite dans le corps l’ont trouvé très inconfortable comme habitation. Ta sœur ressentira aussi du soulagement. Elle est mieux là-bas ; et nous sommes tourmentés comme s’il lui était arrivé quelque tragédie ! Quand elle verra cela, elle en sera sûrement très étonnée  8

Il ne faut pas oublier que cette description des deux premiers jours de la mort constitue une règle générale, qui est loin de couvrir tous les cas. En fait, la plupart des exemples de la littérature orthodoxe cités dans ce livre ne correspondent pas à cette règle et pour cause : les saints, n’étant pas du tout attachés aux choses de ce monde et vivant en une attente constante de leur passage à l’autre monde, ne sont même pas attirés par la scène de leurs bonnes œuvres, mais commencent immédiatement leur ascension au Ciel. D’autres, comme K. Uekskuell, commencent leur montée avant les deux jours accomplis pour une raison particulière de la Providence divine. D’un autre côté, les expériences contemporaines « après la mort », aussi fragmentaires qu’elles soient, correspondent toutes à cette règle : l’état « extracorporel » n’est que le début de la période initiale de l’« errance » de l’âme sans corps aux endroits de ses attachements terrestres ; mais aucune de ces personnes n’a été morte depuis assez longtemps pour rencontrer les anges qui doivent venir les accompagner.

Certains critiques de l’enseignement orthodoxe sur la vie après la mort trouvent que de telles divergences de la règle générale des expériences après la mort sont une preuve de « contradictions » dans la doctrine orthodoxe ; mais ces critiques prennent simplement trop les choses au pied de la lettre. La description des deux premiers jours (et aussi des jours suivants) n’est absolument pas un dogme ; elle n’est qu’un « modèle », qui montre en effet l’ordre le plus commun des expériences de l’âme après la mort. Les nombreux cas, aussi bien dans la littérature orthodoxe que dans les récits des expériences modernes, où des défunts apparaissent momentanément à des vivants pendant les deux premiers jours après la mort (parfois en rêve) sont des exemples illustrant la vérité que l’âme reste en général effectivement près de la terre pendant une courte période. 9 Mais le troisième jour (ou plus tôt), cette période prend fin.

 

Les postes de péage

 

À ce moment (le troisième jour), elle passe par les légions des esprits malins, qui obstruent son passage et l’accusent de divers péchés, auxquels eux-mêmes l’avaient tentée. Selon diverses révélations, il y a vingt de ces obstacles, les nommés « postes de péage », et à chacun, une autre forme de péché est testée ; après en avoir franchi un, l’âme rencontre le suivant, et c’est seulement après les avoir traversés tous avec succès que l’âme peut continuer son chemin sans être jetée immédiatement dans la géhenne. On peut voir combien terribles sont ces démons avec leurs postes de péage par le fait que la mère de Dieu elle-même, lorsque l’archange Gabriel lui annonça sa mort prochaine, supplia son Fils de délivrer son âme de ces démons et, en réponse à sa prière, le Seigneur Jésus Christ Lui-même apparut du Ciel pour accueillir l’âme de sa toute-pure Mère et la conduire au Ciel. Terrible en effet est le troisième jour pour le défunt, et c’est pour cela qu’il a particulièrement besoin de prières alors pour lui-même.

Le chapitre sixième plus haut a exposé un certain nombre des textes patristiques et hagiographiques sur les postes de péages, et il n’est pas besoin d’en ajouter ici. Ici cependant nous devons remarquer encore une fois que les descriptions des postes de péages constituent un « modèle » des expériences de l’âme après la mort, et les expériences individuelles peuvent varier considérablement. Des détails mineurs comme le nombre des postes de péage sont, bien sûr, tout à fait secondaires par rapport au fait primordial que l’âme subit en effet un jugement (le Jugement particulier) bientôt après la mort, comme un résumé final du « combat invisible » qu’elle a mené (ou a manqué à mener) sur terre contre les esprits déchus.

L’évêque Théophane le Reclus continue la lettre au frère de la femme qui était sur le point de mourir en écrivant :

Chez la défunte, commencera bientôt la lutte du passage par les postes de péage. Là, elle aura besoin d’aide ! Pense à cela, et tu l’entendras te crier : ‹ Au secours ! › C’est à cela que tu dois concentrer toute ton attention et tout ton amour pour elle. Je crois que cela sera le témoignage d’amour le plus authentique si, dès l’instant du départ de l’âme, laissant le soin du corps à d’autres, tu t’en vas, et, trouvant un lieu solitaire où tu peux, tu te plonges dans la prière pour elle dans sa nouvelle condition et ses nouveaux besoins inattendus. Ayant commencé ainsi, ne cesse pas de supplier Dieu de l’aider pendant six semaines, et même plus longtemps. Dans le récit de Théodora, le sac dans lequel les anges ont puisé pour être débarrassés des percepteurs était les prières de son ancien. Tes prières seront pareilles ; n’oublie pas de faire cela. C’est de l’amour !

Le « sac d’or » avec lequel les anges « payèrent les dettes » de la bienheureuse Théodora aux postes de péage a souvent été mal compris par des critiques de l’enseignement orthodoxe ; il est parfois comparé, à tort, à la notion latine de « mérites surérogatoires » des saints. Encore une fois, ces critiques ont une façon trop littérale de lire les textes orthodoxes. Il ne s’agit ici de rien d’autre que des prières de l’Église pour les défunts, en particulier les prières d’un homme saint et père spirituel. La description — il devrait être inutile de le dire — est métaphorique.

L’Église orthodoxe considère l’enseignement sur les postes de péage d’une telle importance qu’elle a inclus des références à eux dans nombre de ses offices divins (voir quelques-uns plus haut dans le chapitre sur les postes de péage). En particulier, l’Église s’efforce de présenter cet enseignement à chacun de ses enfants mourants ; dans le « Canon sur le départ de l’âme », que le prêtre lit au chevet de chaque fidèle mourant, il y a les tropaires suivants :

« Quand je m’en irai de la terre, accorde-moi de passer sans être retenu par le prince de l’air, le persécuteur, le tourmenteur, lui qui se tient sur les chemins épouvantables et est leur interrogateur injuste » (Ode 4).
« Transporte-moi, ô Souveraine, dans les mains sacrées et précieuses des saints anges, afin que, couvert de leurs ailes, je ne puisse voir la forme impudente et odieuse des noirs démons. » (Ode 6).
« Ô toi qui donnas naissance au Seigneur tout-puissant, ôte loin de moi le chef des amers postes de péages, le prince du monde, quand je serai sur le point de mourir, afin que je te glorifie pour toujours, ô sainte Enfantrice de Dieu. » (Ode 8)

Ainsi, le chrétien orthodoxe mourant est préparé par les paroles de l’Église aux épreuves qui l’attendent.

 

Les quarante jours

 

Puis, ayant franchi avec succès les postes de péage et s’étant prosternée devant Dieu, l’âme, pendant les 37 jours suivants, visite les demeures célestes et les abîmes de l’enfer, ne sachant pas encore où elle va rester, et c’est seulement le quarantième jour que sa place lui est fixée jusqu’à la résurrection des morts.

Il n’est sûrement pas étrange que l’âme, ayant franchi les postes de péage et ayant terminé pour de bon avec les choses terrestres, soit alors introduite au véritable autre monde, dans une partie duquel elle passera l’éternité. Selon la révélation de l’ange à saint Macaire d’ Alexandrie, la commémoration spéciale des défunts le neuvième jour après la mort (à part le symbolisme des neuf ordres des anges) se fait parce que jusqu’alors, l’âme visite les beautés du paradis, et seulement après cela, pour le reste des quarante jours, elle visite les tourments et les horreurs de l’enfer, avant d’être assigné, le quarantième jour, à la place où elle attendra la résurrection des morts et le Jugement dernier. Ces chiffres, encore une fois, constituent une règle générale, ou « modèle », de la réalité après la mort, et il est indubitable que tous les défunts ne complètent pas leur parcours exactement selon la « règle ». Nous savons que Théodora, en effet, termina son « tour de l’enfer » juste le quarantième jour — selon la mesure terrestre du temps 10

 

L’état des âmes en attendant le Jugement dernier

 

Certaines âmes se trouvent (après quarante jours) dans une situation d’avant-goût de la joie et de la béatitude éternelles, et d’autres dans la crainte des supplices éternels, qui s’accompliront intégralement après le Jugement dernier. Jusqu’alors, des changements peuvent encore survenir dans la condition des âmes, surtout par l’offrande du sacrifice non sanglant pour eux (commémoration à la divine Liturgie), et de même par d’autres prières.

L’enseignement de l’Église sur l’état des âmes au Ciel et en enfer avant le Jugement dernier est exposé plus bas de façon plus détaillée avec les paroles mêmes de saint Marc d’ Éphèse 11

Le bienfait de la prière, publique aussi bien que privée, pour les âmes en enfer a été décrit dans beaucoup de Vies de saints et ascètes, et dans les écrits patristiques. Dans la Vie de Perpétue, martyre du troisième siècle, par exemple, le sort de son frère Dinocrate lui fut révélé par l’image d’un puits rempli d’eau, qui était trop haut pour qu’il l’atteigne depuis l’endroit répugnant et d’une chaleur intense où il était confiné. Grâce à la prière instante de sainte Perpétue pendant un jour et une nuit entiers, le puits lui devint accessible, et elle le vit dans un endroit radieux. Par là, elle comprit qu’il avait été libéré du châtiment. 12

Dans la Vie d’une ascète, morte au XXe siècle, il y a un récit semblable. La Vie de la moniale Athanasie (Anastasia Logatcheva), fille spirituelle de saint Séraphim de Sarov, raconte :

Elle entreprit alors un labeur de prière pour son propre frère de sang, Paul, qui s’était pendu en état d’ivresse. Elle alla voir d’abord Pélagie Ivanovna, la bienheureuse qui vivait au monastère de Diveyevo, pour prendre conseil d’elle sur ce qu’elle pourrait faire pour rendre plus aisé le sort outre-tombe de son frère, qui avait terminé sa vie terrestre de façon malheureuse et dans le déshonneur. Après discussion du sujet, la décision suivante fut prise : Anastasia s’enfermerait dans sa cellule pour jeûner et prier pour lui, en lisant tous les jours 150 fois la prière : ‹ Réjouis-toi, Vierge Enfantrice de Dieu ›… Au bout de quarante jours, elle vit un abîme immense ; au fond de cet abîme il y avait un rocher couvert de sang, et sur ce rocher, deux hommes étaient couchés, chacun avec une chaîne de fer au cou ; l’un des deux était son frère. Quand elle informa la bienheureuse Pélagie de cette vision, celle-ci lui conseilla de recommencer le même labeur. Au bout de la deuxième quarantaine, elle vit le même abîme, le même rocher, sur lequel se tenaient les deux mêmes hommes avec la chaîne autour de leur cou, mais son frère était maintenant debout et pouvait marcher un peu autour du rocher, mais il retombait dessus ensuite ; la chaîne à son cou le retenant toujours. Après avoir informé Pélagie Ivanovna de ce songe, celle-ci lui conseilla d’accomplir le même labeur une troisième fois.

Après une nouvelle quarantaine, Anastasia vit le même abîme et le même rocher, mais cette fois il n’y avait plus qu’un homme, l’inconnu, tandis que son frère était parti du rocher et n’était pas visible. Celui qui était sur le rocher, dit : ‹ Tu as de la chance ; tu as des intercesseurs puissants sur terre. › Après cela, la bienheureuse Pélagie dit : ‹ Ton frère a été délivré des supplices, mais n’a pas obtenu la béatitude. ›  13

Il existe beaucoup d’exemples semblables dans les Vies des saints et ascètes orthodoxes.

À l’adresse de certains, qui auraient tendance à prendre ces visions au pied de la lettre, il faut dire peut-être que, bien sûr, les formes que prennent ces visions (généralement en rêve) ne sont pas nécessairement des vues « photographiques » de la manière dont l’âme apparaît dans l’autre monde, mais plutôt des images qui traduisent la vérité spirituelle assurant que le sort de l’âme dans l’autre monde est amélioré par les prières de ceux qui vivent sur terre.

Anastasis (intitulée à tort Descente dans les Limbes), XVe siècle. Détail.

Prières pour les morts

 

Combien importante est la commémoration à la Liturgie peut se voir dans l’événement suivant : Avant la découverte (l’invention) des reliques de saint Théodose de Tchernigov (1896), le hiéromoine (le célèbre starets Alexis de l’ermitage Goloseyevski des Laures de Kiev, qui mourut en 1916) qui dirigea la translation et et la vêture des reliques s’assoupit et vit devant lui le saint, qui lui dit : « Je te remercie de peiner pour moi. Je te supplie aussi, quand tu célébreras la Liturgie, de commémorer mes parents » — et il lui donna leurs noms (prêtre Nikita et Maria). 14 « Comment peux-tu, ô saint, me demander mes prières, toi qui te tiens toi-même devant le Trône céleste et accordes à des gens la Miséricorde divine ? » demanda le hiéromoine. « Oui, c’est vrai, » répondit saint Théodose, « mais l’offrande à la Liturgie est plus puissante que ma prière. »

Par conséquent, des pannikhides et prières privées pour les morts leur sont profitables, comme le sont les bonnes actions faites en leur mémoire, tels que les aumônes et des dons à l’Église. Mais leur commémoration à la divine Liturgie leur est particulièrement bénéfique. Il y a eu beaucoup d’apparition de morts et d’autres faits, qui confirment combien est utile la commémoration des morts. Plusieurs personnes qui moururent repenties, mais qui furent incapables de le manifester de leur vivant, ont été libéré des supplices et ont obtenu le repos. Dans l’Église, des prières sont toujours offertes pour le repos des morts, et le jour de la Descente du saint Esprit, lors des prières vespérales à genoux, il y a même une supplique spéciale « pour ceux qui sont en enfer ».

Saint Grégoire le Grand, dans ses Dialogues, en réponse à la question,

Qu’est-ce qui pourrait donc rendre service efficacement aux âmes des morts ? », enseigne : « Si après la mort les fautes ne sont pas impardonnables, l’offrande de l’hostie salutaire aide beaucoup les âmes même après la mort, à ce point que parfois les âmes elles-mêmes des trépassés font voir qu’elles la demandent. […] Il faut penser que le plus sûr est de faire soi-même, quand on est vivant, le bien qu’on pourrait espérer pour soi après sa mort de la condescendance d’autrui. On est plus heureux de sortir libre que de soupirer après la liberté au sortir de chaînes. Nous devons donc mépriser de tout cœur le siècle présent, au moins parce que nous le voyons déjà écoulé, immoler à Dieu des sacrifices de larmes chaque jour et chaque jour immoler les hosties de sa chair et de son sang. D’une manière incomparable, cette victime sauve l’âme de la mort éternelle, car elle renouvelle pour nous dans le mystère la mort du Fils unique.  15

Saint Grégoire donne plusieurs exemples de morts apparaissant aux vivants, leur demandant une célébration de la Liturgie pour leur repos ou les remerciant de l’avoir fait ; une fois même un prisonnier, que sa femme croyait mort et pour qui elle faisait célébrer la Liturgie certains jours, revint de captivité et lui apprit qu’il fut libéré de ses chaînes certains jours — ceux-là mêmes où la Liturgie était offerte pour lui 16.

Les protestants trouvent en général que la prière de l’Église pour les morts est plutôt incompatible avec la nécessité de rechercher le salut avant tout en cette vie : « Si l’on peut être sauvé par l’Église après la mort, pourquoi se tracasser à lutter ou à trouver la foi dans cette vie? Mangeons, buvons et réjouissons-nous… » Évidemment, personne ayant une telle philosophie n’a jamais obtenu le salut par les prières de l’Église, et il est évident qu’un tel argument est assez artificiel et même hypocrite. La prière de l’Église ne peut sauver personne qui ne souhaite point son propre salut, ou qui n’a jamais lutté lui-même pour l’obtenir pendant sa vie. En un sens, on pourrait dire que les prières de l’Église ou des chrétiens en privé pour une personne décédée ne sont que des effets parmi d’autres de la vie de cette personne ; on ne prierait pas pour elle si elle n’avait pas fait quelque chose pendant sa vie qui incite à de telles prières après sa mort.

Saint Marc d’ Éphèse parle aussi de cette question de la prière de l’Église pour les morts et de l’amélioration qu’elle apporte à leur condition, citant l’exemple de saint Grégoire le Dialogue pour l’empereur romain Trajan — une prière inspirée par une bonne action de cet empereur païen 17

 

Ce que nous pouvons faire pour les morts

 

Chacun de nous désirant manifester son amour pour les morts et leur offrir un vrai secours peut le faire le mieux par la prière pour eux, et en particulier par leur commémoration à la Liturgie. Alors, les parcelles découpées pour les vivants et les morts sont mêlées au Sang du Seigneur avec ces paroles : « Lave, ô Seigneur, avec ton précieux Sang, les péchés de ceux qui sont ici commémorés, par les prières de tes saints. » Nous ne pouvons rien faire de mieux ou de plus grand pour les morts que de prier pour eux, et d’offrir une commémoration pour eux à la Liturgie. Ils en ont toujours besoin, et particulièrement pendant ces quarante jours où l’âme du défunt fait son cheminement vers les demeures éternelles. Le corps ne sent rien alors : il ne voit pas ses proches qui se sont assemblés, ne sent pas le parfum des fleurs, n’entend pas les oraisons funèbres. Mais l’âme sent les prières offertes pour elle, est reconnaissante à ceux qui les font et reste spirituellement proche d’eux.

Ô parents et proches des défunts ! Faites pour eux ce qui leur est nécessaire et ce qui est en votre pouvoir. Utilisez votre argent non pas pour orner l’extérieur du cercueil et de la tombe, mais pour aider les nécessiteux, en mémoire de vos proches qui sont morts, pour les églises où des prières sont offertes pour eux. Montrez de la miséricorde envers les morts, prenez soin de leur âme. Le même chemin nous attend tous, et ô combien nous désirerons alors être commémorés par la prière ! Soyons donc compatissants envers les morts nous-mêmes.

Dès que quelqu’un est décédé, appelez ou informez immédiatement un prêtre, pour qu’il lise les « Prières pour le départ de l’âme », qui sont prescrites pour être lues sur tous les chrétiens orthodoxes après la mort. Essayez d’avoir les funérailles à l’église, et de faire lire le Psautier sur le défunt en attendant. Les funérailles n’ont pas besoin d’être accomplies de façon très élaborée, mais elles doivent certainement être complètes, pas abrégées. ; pensez à ce moment non pas à vous-même et à votre confort, mais au défunt de qui vous vous séparez pour toujours. S’il y a plusieurs défunts dans l’église en même temps, ne refusez pas la proposition de funérailles communes pour tous ensemble. Il vaut mieux que l’office soit fait pour deux ou davantage de défunts en même temps, quand la prière des proches qui se sont assemblés sera d’autant plus fervente, que de faire plusieurs offices à la suite, qui seraient abrégés par manque de temps et d’énergie ; car chaque parole de prière est au défunt comme une goutte d’eau à un homme assoiffé. Prévoyez surtout tout de suite pour l’office commémoratif des quarante jours, c’est-à-dire la commémoration quotidienne à la Liturgie pendant quarante jours.

Généralement, dans les églises où il y a des offices tous les jours, les défunts dont les funérailles y ont eu lieu sont commémorés pendant quarante jours et plus. Mais si les funérailles ont lieu eu dans une église où il n’y a pas d’office tous les jours, les parents eux-mêmes doivent avoir soin de faire célébrer les quarante jours là où il y a des offices quotidiens. Il est bon aussi d’envoyer des dons pour la commémoration à des monastères, de même qu’à Jérusalem, où il y a la prière perpétuelle aux Lieux saints. Mais les offices commémoratifs des quarante jours doivent commencer immédiatement après la mort, quand l’âme a particulièrement besoin du secours de la prière, et il faut donc commencer la commémoration à l’endroit le plus proche où il y des offices quotidiens.

Prenons soin de ceux qui sont partis avant nous pour l’autre monde, veillons à faire tout ce que nous pouvons pour eux, nous souvenant que « Bienheureux sont les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ».

 

La résurrection du corps

 

Un jour, ce monde corruptible en entier prendra fin, et se lèvera l’aube du royaume éternel des Cieux, où les âmes des rachetés, unies à leurs corps ressuscités, vivront éternellement avec le Christ, immortel et incorruptible. Alors la joie et la gloire partielles que les âmes connaissent dès maintenant au Ciel seront remplacées par la plénitude de la joie de la nouvelle création, pour laquelle l’homme a été fait ; mais ceux qui n’auront pas accepté le salut que le Christ a offert à l’humanité en venant sur terre seront tourmentés éternellement — avec leurs corps ressuscités — en enfer. Saint Jean Damascène, dans le dernier chapitre de La Foi orthodoxe, décrit bien cet état final de l’âme après la mort :

Nous avons foi également en une résurrection des morts, car cela sera effectivement : il y aura une résurrection des morts. En disant résurrection, nous entendons résurrection des corps. La résurrection, c’est quand se dressent pour la deuxième fois ceux qui sont tombés, car les âmes étant immortelles comment ressusciteraient-elles ? Si l’on définit la mort séparation de l’âme et du corps, la résurrection est une nouvelle coaptation de l’âme et du corps, un second « dressement » de l’être dissous et tombé. Le corps même qui a été corrompu et dissous se redressera incorruptible. Car il n’est pas impossible à celui qui, l’ayant formé au commencement de la poussière de la terre, l’a dissous à nouveau et l’a reversé à la terre d’où il avait été pris, de le faire par un retour du démiurge, surgir à nouveau. […]

Si c’était en effet la seule âme qui eût lutté dans les combats de la vertu, l’âme seule serait couronnée ; si l’âme seule se roulait dans les plaisirs, seule elle serait châtiée. Mais comme l’âme n’a marché ni dans la vertu ni dans le vice sans le corps, les deux recevront en même temps la rétribution. […]

C’est pourquoi, à la résurrection, nos âmes seront réunies à des corps devenus incorruptibles et nous comparaîtrons au redoutable tribunal du Christ ; y seront cités aussi le diable, ses démons et son homme à lui, l’Antichrist, avec les impies et les pécheurs, pour être livrés au feu éternel. Non pas un feu matériel comme le nôtre, mais celui que Dieu connaît. Ceux qui auront fait le bien brilleront comme le soleil en compagnie des anges avec notre Seigneur Jésus-Christ, nos yeux constamment sur Lui et les siens sur nous, portant le fruit de la joie sans fin qu’il donne, et le louant avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles infinis des siècles. Amen ! » 18.

 


 

Traduction de Catherine Pountney

Publié en format numérique sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

Nous tenons à remercier l’archimandrite Cassien pour la permission de reproduire ici cet ouvrage.

 


 

 

 

  1. Soul-Profiting Reading, August 1894
  2. Saint Ambroise de Milan, Des avantages de la mort, § IV.13
  3. Abba Dorothée de Gaza, Les instructions, § XII.128
  4. Première conférence de l’abbé Moise – Du but et de la fin du moine §XIV — De l’immortalité de l’âme
  5. Chapitre premier, 2e partie
  6. The Church’s Prayer for the Dead, Orthodox Life, 1978, no. 1, p. 16
  7. Orthodox Funeral Service for laymen, sticheron, tone 2; Hapgood Service Book, p. 385
  8. Lectures profitables à l’âme, août 1894
  9. Eternal Mysteries Beyond the Grave, pp. 189–96
  10. Eternal Mysteries, pp. 83-84
  11. Appendice 1
  12. Martyre de sainte Perpétue et de ses compagnons mis à mort en Afrique : quatre jours avant les nones de février
  13. Soul-Profiting Reading, June, 1902, p. 281.
  14. La vie du starets Alexis in Pravoslavny Blagovestnik, San Francisco, 1967, no. 1 – en Russe
  15. Dialogues, Livre IV, §57 et 60
  16. Dialogues, Livre IV, §57 et 59
  17. Voir plus bas, Appendice 1
  18. La Foi orthodoxe, Livre IV § 27 — De la Résurrection

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