Iconographie, Orthodoxie, Théotokos

LA VÉNÉRATION ORTHODOXE DE LA MÈRE DE DIEU – INTRODUCTION

15 octobre 2020

La théologie orthodoxe de l’archevêque Jean Maximovitch
par hiéromoine Seraphim Rose de Platine

 

Vierge à l’Enfant, entre deux anges, VIe-VIIe siècle. Détail.

Il y a quelques années, l’abbesse d’un couvent de l’Église orthodoxe russe hors de Russie, une femme qui menait une vie vertueuse, a prononcé un sermon dans l’église du couvent pour la fête de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Les larmes aux yeux, elle a supplié les moniales et les pèlerins venus pour la fête d’accepter sans réserve et dans son intégralité ce que l’Église nous transmet, la tradition préservée avec d’ innombrables peines pendant des siècles – et à ne pas choisir nous-mêmes ce qui est « important » et ce qui peut être « dispensable » ; car en se considérant plus sage que la tradition, on peut finir par perdre la tradition. Ainsi, lorsque l’Église nous transmet dans ses hymnes et ses icônes que les apôtres ont été miraculeusement rassemblés des extrémités de la terre afin d’être présents au repos et à l’enterrement de la Mère de Dieu, nous, chrétiens orthodoxes, n’avons pas la liberté de nier ou de réinterpréter ces faits, mais nous devons les croire tels que l’Église nous les transmet, avec simplicité de cœur.

Un jeune converti occidental qui avait appris le russe était présent lors de ce sermon. Lui-même avait pensé à ce sujet même, après avoir vu des icônes dans le style iconographique traditionnel représentant les apôtres être transportés sur des nuages pour assister à la Dormition des Theotokos ; et il s’était posé la question : devons-nous réellement comprendre cela « littéralement », comme un événement miraculeux, ou est-ce seulement une manière « poétique » d’exprimer le rapprochement des Apôtres pour cet événement… ou peut-être même une représentation imaginaire ou « idéale » d’un événement qui ne s’est jamais produit en réalité ? (Telles, en effet, sont certaines des questions dont s’occupent les « théologiens orthodoxes » de nos jours.) Les paroles de l’Abbesse le frappèrent donc au cœur, et il comprit qu’il y avait quelque chose de plus profond dans la réception et la compréhension de l’Orthodoxie que ce que notre propre esprit et nos propres sentiments nous communiquent. A cet instant, la tradition lui était transmise, non par des livres, mais par un récipient vivant qui la contenait ; et elle devait être reçue, non seulement de manière cérébrale ou sentimentale, mais surtout avec le cœur, qui commençait ainsi son apprentissage des profondeurs de l’orthodoxie.

Plus tard, ce jeune converti a rencontré, en personne ou par l’intermédiaire de ses lectures, de nombreuses personnes instruites dans la théologie orthodoxe. Ils étaient les « théologiens » de notre temps, ceux qui avaient fréquenté les écoles orthodoxes et qui étaient devenus des « experts en théologie ». Ils étaient généralement très désireux de parler de ce qui était orthodoxe et non orthodoxe, de ce qui était important et de ce qui était secondaire dans l’orthodoxie elle-même ; et un certain nombre d’entre eux se vantaient d’être « conservateurs » ou « traditionalistes » dans la foi. Mais dans aucun d’eux, il ne sentit l’autorité de la simple abbesse qui avait parlé à son cœur, ignorante d’une telle « théologie ».

Et le cœur de ce converti, qui faisait ses premiers pas dans l’orthodoxie, aspirait à savoir comment croire, ce qui signifie également qui croire. Il était trop influencé par son temps et par sa propre éducation pour pouvoir nier simplement son propre pouvoir de raisonnement afin de croire aveuglément tout ce qu’on lui disait ; et il est bien évident que l’Orthodoxie n’exige pas du tout cela de nous — les écrits mêmes des Saints Pères sont un témoignage vivant de l’œuvre de la raison humaine éclairée par la grâce de Dieu. Mais il était également évident que quelque chose manquait aux « théologiens » de notre temps, qui, malgré toute leur logique et leur connaissance des textes patristiques, ne communiquaient pas le sentiment ou la saveur de l’orthodoxie tout aussi bien qu’une simple Abbesse dépourvue d’éducation théologique.

 

 

Notre converti a trouvé la fin de sa quête — la quête d’un lien direct avec la vraie tradition vivante de l’orthodoxie — en Mgr Jean Maximovitch. Dans la personne de Mgr Jean Maximovitch il a rencontré un théologien savant selon l’« ancienne » école et en même temps une personne très consciente de toutes les critiques de cette théologie présentées par les érudits de notre siècle, et qui a utilisé sa vive intelligence pour trouver la vérité là où elle pourrait être contestée. Mais il possédait également quelque chose qu’aucun de « théologiens » savants de notre temps ne semble posséder : la même simplicité et la même autorité que l’abbesse pieuse avait transmises au cœur du jeune chercheur de Dieu. Il a gagné le cœur et l’esprit du jeune converti : non pas parce que Mgr Jean est devenu pour lui un « expert infaillible » — car l’Église du Christ ne connaît pas cela — mais parce qu’il a vu en ce saint pasteur un modèle d’orthodoxie, un véritable théologien dont la théologie était le résultat d’une vie sainte et d’un enracinement total dans la tradition orthodoxe. Lorsqu’il parlait, on pouvait se fier à ses paroles — bien qu’il distinguât attentivement l’enseignement de l’Église, qui est certain, et ses propres opinions, qui pourraient être erronées. Et notre jeune converti a découvert que, malgré toute la finesse intellectuelle et la capacité critique de l’archevêque Jean, ses paroles concordaient beaucoup plus souvent avec celles de la simple abbesse qu’avec celles des savants théologiens de notre temps.

Les écrits théologiques de l’archevêque Jean n’appartiennent à aucune « école » particulière, et ils ne révèlent pas « l’influence » extraordinaire d’aucun théologien du passé récent. Il est vrai que l’archevêque Jean a été inspiré dans sa théologie, ainsi que dans sa vocation religieuse par son grand maître, le métropolite Anthony Khrapovitsky ; et il est également vrai que l’élève a fait sienne l’insistance du professeur sur un « retour aux Pères » et sur une théologie étroitement liée à la vie spirituelle et morale plutôt qu’au milieu académique. Mais les propres écrits théologiques du métropolite Anthony sont assez différents dans le ton, l’intention et le contenu : il était très impliqué dans le monde académique théologique et auprès de l’intelligentsia de son temps, et une grande partie de ses écrits est consacrée à des arguments et des démonstrations qui seraient compréhensibles à ce public précis. Les écrits de l’archevêque Jean, en revanche, sont tout à fait dépourvus de cet aspect apologétique et raisonneur. Il n’argumentait pas, il présentait simplement l’enseignement orthodoxe ; et quand il a fallu réfuter les fausses doctrines, comme surtout dans ses deux longs articles sur la Sophiologie de Boulgakov, ses paroles étaient convaincantes non pas en vertu d’une argumentation logique, mais plutôt par la puissance de la présentation de l’enseignement patristique à travers les textes originaux. Il ne s’adressait pas au monde académique ou savant, mais à la conscience orthodoxe non corrompue ; et il n’avait pas besoin de mentionner un « retour aux Pères », car dans ses écrits il n’a fait que transmettre la tradition patristique, sans justifications ni excuses.

Les sources de la théologie de l’archevêque Jean sont, tout simplement : les Saintes Écritures, les Saints Pères (en particulier les grands Pères des IVe et Ve siècles) et, plus distinctement, les offices divins de l’Église orthodoxe. Cette dernière source, utilisée rarement à ce point par les théologiens des siècles récents, nous donne un indice sur l’approche pratique et non académique de l’archevêque Jean de la théologie. Il est évident qu’il était complètement immergé dans les offices divins de l’Église et que son inspiration théologique provenait principalement de cette source patristique primaire qu’il absorbait, non pas pendant les heures réservées aux études théologiques, mais pendant sa présence quotidienne à chaque office divin. Il absorbait la théologie comme une partie intégrante de sa vie quotidienne, et cela faisait de lui un théologien plus que ses études théologiques formelles.

ll est donc compréhensible que l’on ne trouve chez Mgr Jean aucun « système » théologique. Certes, il ne protesta pas contre les grands ouvrages de « théologie systématique » que le XIXe siècle produisit en Russie, et il utilisa librement dans son œuvre missionnaire les catéchismes systématiques de cette période (comme, en général, les grands hiérarques des XIXe et XXe siècles ont fait, à la fois en Grèce et en Russie, se servant de ces catéchismes comme aides au travail d’éducation orthodoxe du peuple) ; à cet égard, il était au-dessus des modes et des partis des théologiens et des étudiants, passés et présents, qui sont un peu trop attachés à la manière particulière dont la théologie orthodoxe est présentée. Il a montré le même respect pour le métropolite Anthony Khrapovitsky avec son accent « anti-occidental », que pour le métropolite Pierre Moghila  avec sa prétendue « influence occidentale » excessive. Quand les défauts de l’un ou de l’autre de ces grands hiérarques et défenseurs de l’orthodoxie lui étaient présentés, il faisait un geste désapprobateur de la main et disait : « sans importance » — parce qu’il avait toujours en vue, avant tout, la grande tradition patristique que ces théologiens réussissaient à transmettre malgré leurs erreurs. À cet égard, il a beaucoup à enseigner aux jeunes théologiens de nos jours, qui abordent la théologie orthodoxe dans un esprit souvent trop théorique et aussi trop polémique et partisan.

Pour l’archevêque Jean, les « catégories » théologiques des savants les plus réputés étaient également « sans importance » – ou plutôt, elles n’étaient importantes que dans la mesure où elles transmettaient un sens réel et ne devenaient pas de simples questions à mémoriser. Un incident de ses années à Shanghai révèle vivement la liberté de son esprit théologique : une fois, alors qu’il assistait aux examens oraux de la classe de catéchisme de l’école de la cathédrale, il interrompit la récitation parfaitement correcte de la liste des petits prophètes de l’Ancien Testament, par un élève, avec l’affirmation abrupte et catégorique : « Il n’y a pas de petits prophètes ! » Le prêtre-enseignant de cette classe était naturellement offensé par ce dénigrement apparent de son autorité, mais probablement les étudiants se souviennent encore de cette étrange perturbation des « catégories » normales du catéchisme, et peut-être quelques-uns d’entre eux ont compris le message que l’archevêque Jean essayait de transmettre : avec Dieu tous les prophètes sont grands, sont « majeurs », et ce fait est plus important que toutes les catégories de nos classifications, aussi valables soient-elles. Dans ses écrits et sermons théologiques également, Mgr Jean donne souvent une tournure surprenante à son discours, nous révélant un aspect inattendu ou une signification plus profonde du sujet en discussion. Il est évident que pour lui la théologie n’est pas une simple discipline humaine et terrestre dont les richesses sont épuisées par nos interprétations rationnelles, et qui nous permettrait de devenir des « experts » satisfaits de nous-mêmes, – mais plutôt quelque chose qui pointe vers le ciel et devrait attirer notre esprit vers Dieu et les réalités célestes, insaisissables par les systèmes logiques de pensée.

 

 

Un historien renommé de l’Église russe, N. Talberg, a suggéré (dans la Chronique de l’évêque Savva, ch. 23) que l’archevêque Jean devait être compris tout d’abord comme « fol-en — Christ qui est resté tel même dans le rang épiscopal » et à cet égard, il le compare à saint Grégoire le Théologien, qui ne se conformait pas non plus à « l’image » type d’un évêque, d’une manière proche de celle de l’archevêque Jean. Cette « folie » (selon les normes du monde) donne un ton caractéristique aux écrits théologiques de saint Grégoire et de l’archevêque Jean : un certain détachement de l’opinion publique, de ce que « tout le monde pense » et donc l’appartenance ou non à un « parti » ou une « école » ; l’approche des questions théologiques d’un point de vue exalté et non académique et donc l’évitement sain des disputes mesquines et de l’esprit querelleur ; les tournures de pensée fraîches et inattendues qui font de leurs écrits théologiques avant tout une source d’inspiration et d’une compréhension vraiment plus profonde de la révélation de Dieu.

Avant tout, on peut être impressionné par la grande simplicité des écrits de l’archevêque Jean. Il est évident qu’il accepte la tradition orthodoxe directement et entièrement, sans se poser des questions sur la façon dont on peut croire à la tradition tout en restant un homme moderne « raffiné ». Il était au courant de la « critique » moderne et, si on les lui demandait, il pouvait présenter les raisons qui le poussaient à ne pas accepter une grande partie de ses points. Il a étudié en profondeur la question de « l’influence occidentale » dans l’orthodoxie au cours des derniers siècles et en avait une vision bien équilibrée, distinguant soigneusement ce qui doit être rejeté comme étranger à l’orthodoxie, ce qui doit être découragé, mais sans « trop s’en inquiéter », et ce qui doit être accepté comme favorable à la vraie vie orthodoxe et à la piété (un point qui est particulièrement révélateur du manque « d’opinions préconçues » de l’archevêque Jean et de son emploi de l’orthodoxie comme critère de jugement). Mais malgré toutes ses connaissances et l’exercice de ses facultés critiques, il a continué à croire simplement à la tradition orthodoxe, tout comme l’Église nous l’a transmis. La plupart des théologiens orthodoxes de notre temps, même s’ils ont échappé aux pires effets de la mentalité protestante-réformatrice, regardent encore la tradition orthodoxe à travers les lentilles du milieu académique qui leur sert de maison ; mais l’archevêque Jean était « chez lui » d’abord et avant tout dans les offices religieux auxquels il passait de nombreuses heures chaque jour, et ainsi la teinte de rationalisme (pas nécessairement dans un mauvais sens) même des meilleurs théologiens universitaires était totalement absente de sa pensée. Dans ses écrits, il n’y a pas de « problèmes » ; ses notes de bas de page, généralement nombreuses, sont uniquement destinées à indiquer où trouver l’enseignement de l’Église. À cet égard, il est en union avec « l’esprit des Pères », et il apparaît parmi nous comme l’un d’eux, et non comme un simple commentateur de la théologie du passé.

Les écrits théologiques de l’archevêque Jean, imprimés dans divers périodiques de l’Église pendant quatre décennies, n’ont pas encore été rassemblés en un seul endroit. Ceux qui sont actuellement disponibles à la St. Herman of Alaska Brotherhood rempliraient un volume de plus de 200 pages. Ses écrits plus longs appartiennent pour la plupart à ses premières années en tant qu’hiéromoine en Yougoslavie, où il était déjà remarqué comme un théologien exceptionnel parmi ses confrères. Particulièrement précieux sont ses deux articles sur la Sophiologie de Boulgakov, l’un d’entre eux révélant de manière convaincante, d’une façon très objective, l’incompétence totale de Boulgakov en tant qu’érudit patristique, et l’autre étant d’une valeur encore plus grande en tant qu’exposition classique de la vraie doctrine patristique de la Sagesse Divine. Parmi ses écrits ultérieurs, il faut mentionner son article sur l’iconographie orthodoxe (où, d’ailleurs, il se montre beaucoup plus conscient que son professeur, le métropolite Anthony, de la question de « l’influence occidentale » dans le style iconographique) ; la série de sermons intitulée « Trois fêtes évangéliques », où il découvre le sens plus profond de quelques fêtes de l’Église « de moindre importance » ; et l’article « L’Église : le Corps du Christ ». Ses articles courts et ses sermons sont également profondément théologiques. Un de ses sermons commence par un « Hymne à Dieu » de saint Grégoire le Théologien et se poursuit, sur le même ton élevé et patristique, comme une accusation inspirée contre l’impiété contemporaine ; un autre, prononcé le vendredi de la Passion, 1936, est une allocution émouvante au Christ couché dans la tombe, sur un ton digne du même Saint-Père.

Nous commençons cette série de traductions par l’exposition classique de l’archevêque Jean sur la Vénération orthodoxe de la Mère de Dieu et des principales erreurs dont elle a été la cible. Son plus long chapitre est une réfutation claire et frappante du dogme latin de « l’Immaculée Conception ».

 

The Orthodox Word, 1976, vol. 12, no. 2 (67), p. 47-52

traduction: hesychia.eu

 

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