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L’Évangile, la Philocalie et le monde

3 octobre 2020

Lorsqu’il est rentré chez lui il y a 20 ans, le détenu n’a rien trouvé dans sa belle bibliothèque : elle avait été pillée, détruite et expédiée à l’usine pour en faire de la cellulose. Il a donc rassemblé à nouveau quelques livres, dont les dix volumes de la Philocalie roumaine. Il les caresse des yeux, en prend un et le feuillette, puis un autre et un autre, avant de les remettre sur l’étagère.

Mandylion ou La Sainte Face, Novgorod, XVIe siècle. Détail.

Lorsqu’il a lu le premier volume, il était au début de sa vie intérieure. Il eut alors le sentiment d’une révélation et se révolta au fait que jusqu’à cette date ce chef-d’œuvre de la spiritualité chrétienne n’avait pas été mis à la disposition de l’âme roumaine. Puis, son âme inassouvie s’est approprié chaque mot de la Philocalie, le traduisant immédiatement en un acte vivant de son esprit.

Depuis, quarante ans se sont écoulés. Pendant ce temps, il a beaucoup souffert, beaucoup lu, débattu de la plupart des problèmes de l’existence humaine. Il est toujours resté croyant et son état de prière ne l’a jamais quitté. Il a donné la priorité aux études théologiques. Il s’efforce encore maintenant que tout ce qu’il pense a une base évangélique, apostolique et patristique. Il veut être un fils fidèle de l’Église. Il a atteint une vision intérieure et son esprit est d’une extraordinaire clarté. Ainsi, il saisit les exigences du monde et leur ordre divin.

Il est un ermite du monde moderne. Il contemple le monde en Christ et glorifie le Christ dans le monde, en remplissant le monde du Saint-Esprit. Il se sent flotter comme une pensée au-dessus du monde, et le monde est une pensée et ainsi il rencontre la Pensée incréée.

Il ne fait pas de synthèses, car il a oublié tout ce qu’il a lu, mais voit la synthèse du monde dans ses symboles. Il est attentif à toutes les dimensions de la condition humaine, il veut les contenir, mais il sait qu’il manquera toujours quelque chose. C’est pourquoi il ne peut penser le monde qu’ancré en Christ.

Dans toute sa solitude, il ne se sent pas seul. Dans toute sa défaite humiliante, il a la certitude du triomphe du Christ dans le monde.

Est-il un mystique, un philosophe, un homme politique, un poète, un scientifique, un économiste ? Non. Il se considère simplement comme un chrétien. Dans cette perspective, il pense à la Philocalie, à la théologie, et à la chrétienté.

Il sait que son âme doit beaucoup à la Philocalie, que sa pensée a été formée par la théologie, et pourtant il prend de la distance par rapport à elles, les juge toutes avec attention et cherche à les voir toutes en Christ. Le salut du monde l’intéresse : ce qu’il est, comment il est et comment il peut se matérialiser.

La philocalie, de ce point de vue, lui semble une réduction de la vision divine du monde à la vision de l’ermite du monachisme. La Philocalie est une réduction de la spiritualité chrétienne à la spiritualité personnelle ou, tout au plus, monastique. L’introspection des moines a fait qu’ils aient cessé de regarder le monde comme monde. La vision de la Philocalie est un combat invisible avec les esprits, un combat avec les passions et un combat avec le monde considéré comme péché, or il voit la guerre, le péché et le monde comme un tout. Le discours philocalique ne ressemble pas au discours évangélique, car dans celui-là le combat se déroule dans le monde, pour le changement du monde et pour la défaite des forces des ténèbres qui agissent dans le monde. La philocalie a été écrite au Moyen Âge, lorsque les problèmes du monde étaient transmis aux États, et que les États les résolvaient dans la mesure où ils étaient ou n’étaient pas une expression du christianisme, et les moines se consacraient à la vie purement spirituelle. Une partie des vertus et valeurs évangéliques n’apparaissent même pas dans la Philocalie : le courage, l’affirmation, le combat, la justice, l’honnêteté, la rétribution, etc.
Il comprend la spécialisation selon les différents domaines du christianisme, mais dans l’unité donnée par les membres du même corps. Il cherche donc à retrouver le corps mystique du Christ comme une réalité qui intègre le monde, le remplit et le sanctifie.

S’il devait présenter les conclusions de sa vie lors d’une brève conférence, il prendrait comme exemple le sermon du Sauveur sur la montagne.

 

Ioan Ianolide, Deținutul profet, pp.24-27, Editura Bonifaciu, București, 2009

Traduction : hesychia.eu

 

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