Saint Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne
Que personne ne croie qu’il est injurieux à Dieu d’être venu vers les hommes par l’homme [sermon 147]
Je ne souffrirai donc pas que vous ignoriez ce que Dieu m’a donné de comprendre
Qu’est-ce qui a fait, mes frères, que le Christ notre Seigneur entreprenne un échange avec notre corps, entre dans les replis de notre chair, habite la demeure d’un sein virginal ? Pour pouvoir commencer à comprendre ces choses, écoutons-les plus pleinement aujourd’hui. Vous êtes ma vie, vous êtes mon salut. Je ne souffrirai donc pas que vous ignoriez ce que Dieu m’a donné de comprendre. L’évangéliste avait compris ce qu’est Dieu quand il a dit : Personne n’a jamais vu Dieu. Il faisait donc connaître le Dieu qu’il avait connu, qu’il avait perçu avec ses sens.
Parce qu’elle ne pouvait pas Le voir, la créature éprouvait une dure servitude ; c’est dans la tristesse qu’elle rendait hommage à une Majesté invisible. Tous étaient obsédés par la peur. La crainte enchaînait tout l’univers. La terreur écrasait tout le monde. Au ciel, la splendeur divine prostrait les anges. Sur la terre, les coups de tonnerre et les éclairs battaient en brèche les cœurs des mortels. C’est ainsi qu’insensiblement, la crainte a évacué l’amour du Dominateur. Elle a fait fuir les anges sur la terre. Elle a affriolé les hommes vers les idoles. Elle a rempli le monde de la vanité de l’erreur. Elle vit à ce que tous fuient leur Créateur et adorent les idoles. Celui qui est dominé par la peur ne peut pas aimer. C’est ainsi que le monde a préféré périr plutôt que de craindre, car la mort elle-même est plus légère que la crainte.
Quand Caïn commença à être tourmenté par le remords d’avoir tué son frère, il demanda la mort. Il croyait qu’il trouverait le repos en mourant. Élie lui-même, quand il se sentit complètement submergé par la peur, redemandait la mort qu’il avait fuie, estimant qu’il était préférable de succomber à la mort plutôt qu’à la peur. Et même Pierre, troublé de crainte par la puissance du Seigneur, suppliait le Christ de s’éloigner de lui. Éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur. Il disait cela parce que la pesanteur de la peur avait éteint ce qu’il y avait d’amour et de confiance. Si donc la crainte n’est pas tempérée par l’amour, elle rend récalcitrante toute servitude pieuse.
Voyant le monde s’écrouler à cause de la crainte, Dieu a immédiatement pourvu à le rappeler par l’amour, à l’inviter à la grâce, à le tenir par la charité, à se l’attacher par l’affection. La terre encroûtée de vices, Il l’a noyée dans un déluge justicier. Mais Il appelle Noé pour en faire le père du nouveau monde ; Il s’adresse à lui avec une parole affable ; Il lui donne confiance par Sa familiarité ; Il lui parle avec débonnaireté de ce qu’il y a à faire maintenant, et le console en lui donnant la grâce d’espérer dans les biens futurs. Et non sous les ordres de quelqu’un, mais dans un travail communautaire, ils enfermèrent ensemble dans l’arche la naissance de tout un monde, pour que l’amour communautaire enlève la crainte de la servitude, et pour que l’amour de tous pour tous sauvegarde ce que le travail en commun avait sauvé.
Dieu appelle Abraham du milieu des Gentils ; Il l’agrandit en ajoutant une syllabe à son nom ; Il le fait père de la foi ; Il l’accompagne sur son chemin ; Il le conserve au milieu des étrangers ; Il l’enrichit, Il l’honore de victoires guerrières ; Il lui donne des promesses en gage ; l’arrache des mains des injustes ; le glorifie par une naissance qu’il n’espérait plus. Pour que comblé de tant de biens, alléché par toute la douceur de la charité divine, il apprenne à aimer Dieu et non à Le craindre, à L’adorer par amour, non par crainte.
C’est pour cela également que Dieu console dans un songe Jacob en fuite, le provoque au combat quand Il revient, et le serre de l’étreinte d’un lutteur, pour qu’il aime le Père du combat et ne Le craigne pas.
Voilà pourquoi Dieu appelle Moïse avec une voix paternelle. Il lui parle avec une charité paternelle, et l’invite à être le libérateur de son peuple. Que dire de plus ? Il le fait, pour ainsi dire, dieu ; Il l’a donné comme le dieu de Pharaon. Il fait de lui un dieu, Il le munit de miracles, Il l’arme de prodiges, Il triomphe des guerres par ses ordres. Il lui accorde de vaincre le soldat par une seule parole. Il lui concède de triompher par son ordre. Et par toutes les couronnes des vertus, Il le promeut à Son amitié, lui accorde de participer au royaume céleste, et a la complaisance de lui permettre d’être lui aussi législateur. Mais la raison pour laquelle il a tout reçu cela de Dieu, c’est pour qu’il L’aime. Et à la fin, il a été tellement embrasé de l’amour de Dieu qu’il L’a aimé avec ardeur, et qu’il a enseigné aux autres à L’aimer ainsi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. Tout ce qu’ont le cœur, l’esprit et les forces humaines Il a voulu qu’ils soient possédés de l’amour de Dieu, pour que l’affection mondaine de l’homme n’ait rien à violer.
L’amour ignore le jugement
La flamme de la charité divine avait donc embrasé les cœurs humains, et toute l’ébriété de l’amour divin s’était répandue dans les sens humains. Mais, comme nous l’avons déjà mentionné, l’esprit a été blessé, et les hommes ont commencé à vouloir voir Dieu avec des yeux charnels. Le Dieu que le monde ne peut contenir, comment la petitesse du regard humain pourrait-elle l’apercevoir ? Le droit de l’amour n’a rien à voir avec le dû et le possible. L’amour ignore le jugement, il n’est pas raisonnable, et il est démesuré. L’impossibilité d’une chose ne console pas l’amour ; la difficulté d’une chose ne guérit pas l’amour. L’amour fait mourir l’amant s’il ne parvient pas à ses désirs. Et c’est pourquoi il va où le vent le pousse, non là où il doit aller. L’amour enfante le désir, son ardeur le fait croître, et le fait tendre à ce qui ne lui est pas accordé. Que dire de plus ? L’amour ne peut pas ne pas voir ce qu’il aime. Voilà pourquoi tous les saints ont estimé peu de chose tout ce qu’ils méritaient, s’ils ne voyaient pas Dieu. Et en toute vérité, mes frères, comment quelqu’un rendrait-il hommage pour les biens reçus, s’il ne voyait pas le Donateur des bienfaits ? Ou comment peut-il croire être aimé par Dieu s’il ne mérite pas d’en voir le visage? Voilà pourquoi l’amour qui désire voir Dieu a tout au moins le zèle de la piété, s’il manque de jugement. Voilà pourquoi Moïse ose dire : Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, montre-moi ta face. De là vient qu’un autre a dit : Montre ta face. Et enfin, les Gentils eux-mêmes ont fabriqué des idoles pour voir de leurs yeux ce qu’ils adoraient de façon erronée. Sachant donc que les hommes étaient tourmentés du désir de Le voir, et qu’ils étaient las de ce qui est mortel, Dieu a choisi de Se rendre visible, ce qui serait une grande chose pour la terre, et une non moindre pour les cieux. Car ce qui sur la terre avait été fait par Dieu semblable à Lui ne pouvait-il pas être honoré au Ciel ? Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. La dévotion parfaite doit à l’image ce qu’elle doit au roi. Si, du haut du ciel, Il avait assumé un ange, Il n’en serait pas moins demeuré invisible. S’Il avait, de la terre, assumé un être inférieur à l’homme, une injure aurait été commise envers la Divinité, et l’homme en aurait été abaissé, non surélevé. Que personne donc ne croie, très chers, qu’il est injurieux à Dieu d’être venu vers les hommes par l’homme, et qu’Il ait assumé l’Un d’entre nous, pour que nous puissions Le voir, Lui qui vit et règne, Dieu, maintenant et par tous les siècles des siècles. Amen.
La naissance du Christ ne s’explique pas par les lois de la nature, mais par la toute-puissance divine [sermon 148]
Aujourd’hui, mes frères, nous devons revenir au sermon d’hier. Nous devons aujourd’hui revivre la joie de la nativité du Seigneur. Quand la vierge conçoit ou enfante tout en demeurant vierge, ce n’est pas la coutume qui le veut, mais le miracle; non la raison, mais la vertu; non la nature, mais Son Auteur. Ce n’est pas un évènement commun, mais unique; quelque chose de divin, non d’humain. Que le philosophe cesse donc de se pressurer le cerveau : la naissance du Christ ne s’explique pas par les lois de la nature, mais par la toute-puissance divine. Elle est honorable à Dieu, non injurieuse. Ce n’est pas au détriment de la Déité qu’elle a été le sacrement de la miséricorde. Elle a été la réparation du salut humain, mais ne fut jamais une diminution de la substance divine. Celui qui, sans naître, a fait l’homme d’un limon intact, c’est le Même qui, en naissant, a fait l’Homme d’un corps intact. La main qui, avec bonté, prit du limon pour façonner notre corps, a pris également la chair avec bonté pour restaurer notre être. Que le Créateur soit dans sa créature, que Dieu se trouve dans la chair, c’est un honneur qui est rendu à la créature, sans porter aucun préjudice au Créateur. Celui qui voit là-dedans un outrage à la divinité, croit donc que le limon est plus précieux que la chair. Peut-être regrette-t-il que l’outrage apporté par le limon à la divinité se soit changé en un ennoblissement de la chair et en une glorification de l’homme !
Bien que tu proviennes de la terre, tu es l’égal des créatures célestes.
Homme, pourquoi es-tu si vil à tes yeux, toi qui es si précieux aux yeux de Dieu? Puisque tu es si honoré par Dieu, pourquoi t’avilis-tu ainsi ? Pourquoi cherches-tu d’où tu viens, au lieu d’essayer de découvrir pourquoi tu as été fait ? Toute cette maison du monde que tu vois n’a-t-elle pas été faite pour toi ? C’est pour toi que la lumière resplendit afin de chasser les ténèbres qui t’entourent de toute part. C’est pour toi que la nuit est plus fraîche. C’est pour toi que les jours sont mesurés. C’est pour toi que le ciel brille de l’éclat du soleil, de la lune et des étoiles. C’est pour toi que la terre est remplie de fleurs, de bosquets et de fruits. C’est pour toi qu’a été crée dans l’air, dans les champs, dans les cours d’eau magnifiques une multitude admirable d’êtres vivants, pour que la solitude d’un triste monde ne déteigne pas sur la joie du nouveau monde. La raison pour laquelle Dieu t’a fait à partir de la terre, c’est pour que tu sois le maître des choses terrestres; et que tu leur sois apparenté, en partageant la même substance. Bien que tu proviennes de la terre, Il ne t’a quand même pas mis sur un pied d’égalité avec les choses terrestres, puisque, avec ton âme céleste, tu es l’égal des créatures célestes. Et pour que, avec Dieu, tu possèdes une raison en commun, et que tu aies un corps semblable à celui des animaux, Dieu t’a donné une âme qui vient du ciel, et un corps qui provient de la terre. Pour qu’en toi, une concorde soit nouée entre le Ciel et la terre.
Se demandant ce qu’Il pouvait bien encore ajouter pour te faire honneur, ton Créateur à inventer ceci : Il a incrusté en toi Son image, pour que le Créateur invisible soit rendu présent sur la terre par Son image visible. Et Il t’a donné à toi Son pouvoir sur les choses terrestres, pour que le vicaire du Seigneur ne soit pas frustré de la possession du monde dans toute son étendue. Et s’il en est bien ainsi, pourquoi penses-tu que Dieu subit une avanie quand Il tire avec clémence de Lui-même ce qu’Il fait en toi par Lui-même; et quand Il a voulu, en toute vérité, être vu dans l’homme, dans lequel Il avait voulu auparavant qu’on voit Son image ? À celui qui avait autrefois reçu d’être la similitude divine, Dieu lui donne d’être lui-même Celui que représente l’image. La vierge a conçu, la vierge a enfanté. Que cette conception ne te bouleverse pas; que cette naissance ne te déboussole pas, puisque la pudeur virginale rachète tout ce qu’il y a d’humain. Où se trouve la lésion de la pudeur, là où la Déité s’est associé l’intégrité qui lui est toujours amie ; là où l’entremetteur est un ange; où le chaperon est la fidélité, où le mariage est la chasteté, où l’engagement réciproque est la vertu, où le juge est la conscience, ou la cause est celle de Dieu, où la conception se fait dans le respect de l’intégrité, l’enfantement dans la virginité, où la mère est en même temps vierge ?
Il a peur de tous celui qui était craint par tous
Que personne donc ne juge à l’humaine ce qui s’accomplit par un sacrement divin ! Que personne ne discute un mystère céleste avec sa raison raisonnante ! Que personne ne cherche des exemples anciens pour rendre compte de la nouveauté du secret divin ! Que personne ne juge l’exception par la règle générale ! Que personne ne tourne la miséricorde divine en affront à la nature divine ! Que le salut n’entraîne la perte de personne ! Il est certain que celui qui désire connaître en profondeur recourt à la loi. C’est par la loi qu’il acquiert la science juridique. C’est l’autorité ou la crédibilité d’un auteur qui fera qu’on admet un fait rapporté par cet auteur. Or c’est est la loi qui rapporte que Dieu a créé l’homme à une vie qui lui est propre; que c’est pour l’homme qu’Il a ordonné à la terre de produire des fruits dans une servitude volontaire. Que les bêtes sauvages et les animaux domestiques Il a voulu les soumettre au pouvoir de l’homme, non à son industrie, pour qu’en ignorant le travail pénible, et ne connaissant pas la souffrance, il possède dans une joie paradisiaque, tout ce qu’il y a de délicieux.
Mais pour que l’homme n’aie pas toute ces choses, l’ange, qui était parmi les tout premiers, éprouva de l’envie, et préféra dégénérer en démon plutôt que de voir l’homme dans tout l’éclat de sa gloire. Enflammé de jalousie, il assaille ensuite la femme avec les armes de la ruse, et incite la vierge à déguster le fruit défendu. La vierge tentée tente la vierge et bientôt son mari, et elle rejette le statut de la vie en administrant la nourriture de la mort, l’aliment du péché. Et elle fut la cause de la ruine du genre humain celle qui avait été faite, d’une façon toute particulière, pour en être sa consolation. C’est de là que vient le premier péché, l’origine de la mort, le travail à la sueur de son front, la douleur, les gémissements. C’est à partir d’ici que s’est propagée l’amère condition de notre servitude. Car l’homme qui auparavant était le seigneur de l’univers, a été dégradé à n’être plus que le serviteur de tous. Et il a peur de tous celui qui était craint par tous. Et c’est à peine si, avec toute son industrie, il arrive à faire ce qu’il avait le pouvoir de faire sans effort.
Voilà pourquoi, mes frères, le mode de naissance du Christ est tel. Le diable était venu à une vierge; l’ange vient à Marie, pour que ce que le mauvais ange avait abattu, le bon ange le relève. Le mauvais ange a persuadé Ève d’être infidèle à son Dieu; le bon ange encouragea Marie à croire en Lui. Ève crut au tentateur, Marie à son Auteur. Le Christ naît pour régénérer, en naissant, la nature corrompue. Il a accueilli l’enfance, Il s’est soumis à la nécessité de manger, Il a vieilli d’un an à chaque année, pour pouvoir instaurer l’âge parfait permanent, que Lui-même avait fait. Il porte l’homme pour que l’homme ne puisse pas tomber. Il rend céleste celui qu’Il avait créé terrestre. Celui qui était animé par un esprit humain, Il le vivifie dans un esprit divin. Et Il le projette ainsi au complet en Dieu, pour qu’il ne reste rien en lui qui ait trait au péché, à la douleur et à la terre. C’est notre Seigneur Jésus-Christ qui accorde tout cela, Lui qui vit et règne avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu maintenant et toujours, et pendant les siècles immortels des siècles. Amen.
Pierre Chrysologue — Sermon 147, Ve siècle(s) —Texte original en latin —Sermones —CPL 227— Edition originale: PL 52, 594–596
Pierre Chrysologue—Sermon 148, Ve siècle(s)— Texte original en latin —Sermones —CPL 227 —Edition originale: PL 52, 596–598
Traduction: jesusmarie.free.fr
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