Un aigle volait dans les hauteurs ; il jouissait de la beauté du monde et pensait :
« Je survole d’immenses espaces et vois des vallées et des montagnes, des mers et des fleuves, des prairies et des forêts ; je vois une multitude d’animaux et d’oiseaux ; je vois des villes et des villages, et comment vivent les hommes ; mais le coq, à la campagne, ne connaît rien, excepté la cour de la ferme où il vit et où il ne voit que quelques personnes et quelques animaux. Je volerai vers lui et lui parlerai de la vie du monde. »
L’aigle vint se poser sur le toit de la ferme et vit comment le coq se promenait bravement et gaiement au milieu de ses poules, et il songea : « Ainsi donc, il est satisfait de son sort ! Mais, malgré tout, je lui parlerai de ce que je connais. »
Et l’aigle se mit à parler au coq de la beauté et de la richesse du monde. Au début, le coq écouta avec attention, mais il ne comprenait rien. En voyant que le coq ne comprenait rien, l’aigle était attristé, et il lui était pénible de parler avec le coq ; le coq, de son côté, ne comprenant pas ce que lui racontait l’aigle, s’ennuyait, et il lui était pénible d’écouter l’aigle. Mais chacun demeura content de son sort.
C’est ce qui se passe quand un homme instruit parle avec un ignorant ; mais c’est encore bien davantage le cas quand un homme spirituel parle avec un homme non-spirituel. Le spirituel est semblable à l’aigle, le non-spirituel au coq. L’esprit du spirituel s’instruit jour et nuit dans la loi du Seigneur et s’élève vers Dieu par la prière ; mais l’esprit du non-spirituel est attaché à la terre ou agité par les pensées. L’âme du spirituel jouit de la paix, mais l’âme du non- spirituel reste vide et dispersée. Le spirituel vole comme un aigle dans les hauteurs ; son âme ressent la présence de Dieu, et il voit le monde entier, quand bien même il prierait dans l’obscurité de la nuit ; mais le non-spirituel jouit de la vanité ou des richesses, ou bien il recherche les jouissances charnelles. Et lorsqu’un spirituel et un non-spirituel se rencontrent, tous deux s’ennuient, et le contact est pénible.
Archimandrite Sophrony, Starets Silouane – Moine du Mont-Athos / 1866-1938, Vie-Doctrine-Écrits, Traduit du russe par le hiéromoine Syméon, Éditions Présence, Sisteron, 1973, p. 437
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