La Didaché
Doctrine du Seigneur transmise aux Nations par les douze Apôtres
Les deux voies
Il y a deux voies, l’une de la vie, l’autre de la mort [1]; mais la différence est grande entre ces deux voies.
La voie de la vie
Or la voie de la vie est la suivante : « D’abord, tu aimeras Dieu qui t’a fait ; en second lieu, ton prochain comme toi-même »[2], et tout ce que tu ne voudrais pas qu’il t’advienne, toi non plus, ne le fais pas à autrui[3][4].
La doctrine exprimée par ces mots est la suivante : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis et jeûnez » pour ceux qui vous persécutent ; car si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Même les païens n’en font-ils pas autant ? Mais vous, aimez ceux qui vous haïssent, et vous n’aurez pas d’ennemi[5].
« Abstiens-toi des désirs charnels »[6] et corporels. « Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre[7] et tu seras parfait »[8]. « Si quelqu’un te requiert pour une course d’un mille, fais-en deux avec lui[9] et si quelqu’un t’enlève ton manteau, donne-lui même ta tunique [10]; si quelqu’un t’a pris ton bien, ne le réclame pas » car tu ne le peux pas.
« À quiconque te demande, donne et ne redemande rien »[11], le Père veut qu’il soit fait part à tous de ses propres largesses. Bienheureux celui qui donne selon le commandement, car il est irréprochable. Mais malheur à celui qui reçoit ; certes si quelqu’un se trouve dans le besoin et reçoit, il est irréprochable ; mais celui qui n’est pas dans le besoin devra rendre compte du motif et du but pour lesquels il a pris ; il sera mis en prison, interrogé sur sa conduite, et « il ne sortira pas de là, qu’il n’ait payé le dernier sou »[12].
Mais il a encore été dit à ce sujet : « Que ton aumône se mouille de la sueur de tes mains, jusqu’à ce que tu saches à qui tu donnes. »[13]
Deuxième précepte de la doctrine : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère »[14], « tu ne séduiras pas de jeunes garçons, tu ne commettras pas de fornication, tu ne voleras pas »[15], tu ne t’adonneras pas à la magie, tu ne feras pas mourir par le poison, tu ne tueras point d’enfants, par avortement ou après la naissance, « Tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain »[16]. « Tu ne te parjureras pas »[17], « tu ne porteras pas de faux témoignages »[18], tu ne tiendras pas de propos médisants, tu ne garderas pas de rancune, tu n’auras pas deux manières de penser ni de parler, car la duplicité du langage est « un piège de la mort »[19]. Ta parole ne sera pas menteuse, ni vaine, mais remplie d’effet. Tu ne seras pas avide, ni rapace, ni hypocrite, ni méchant, ni orgueilleux ; tu ne formeras pas te mauvais dessein contre ton prochain. Tu ne haïras personne, mais tu corrigeras les uns, tu prieras pour certains, et les autres, tu les aimeras plus que ta propre vie.
Mon enfant, fuis tout ce qui est mal et tout ce qui lui est semblable. Ne sois pas irascible, car la colère mène au meurtre ; ne sois ni jaloux, ni querelleur, ni violent, car de tout cela viennent les meurtres. Mon enfant, ne sois pas convoiteux, car la convoitise mène à la fornication ; garde-toi des propos obscènes et des regards effrontés, car tout cela engendre les adultères. Mon enfant, n’observe pas le vol des oiseaux, car cela mène à l’idolâtrie ; garde-toi des incantations, des calculs astrologiques, des purifications magiques ; refuse même de les voir et de les entendre, car tout cela engendre l’idolâtrie. Mon enfant, ne sois pas menteur, car le mensonge mène au vol ; ni avide d’argent ou de vaine gloire, car tout cela engendre les vols. Mon enfant, ne sois pas enclin aux murmures, car ils mènent au blasphème ; ne sois ni arrogant ni malveillant ; car tout cela engendre les blasphèmes.
Mais sois doux, car « les doux recevront la terre en héritage »[20] Sois patient, miséricordieux, sans malice, paisible, bon et « tremblant aux paroles que tu as entendues »[21] Tu ne t’élèveras pas toi-même, tu ne livreras pas ton âme à l’impudence ; ton âme ne s’attachera pas aux orgueilleux, mais tu fréquenteras les justes et les humbles. Tu accueilleras les contrariétés qui t’adviennent comme autant de biens, sachant que rien n’arrive sans Dieu.
Mon enfant, souviens-toi, jour et nuit, te celui qui te fait entendre la parole de Dieu, et tu le vénéreras comme le Seigneur ; car là où sa souveraineté est annoncée, là le Seigneur est présent. Tu rechercheras chaque jour les entretiens des saints, afin de te réconforter de leurs paroles. Tu ne feras pas de dissensions, mais tu mettras la paix entre ceux qui se disputent. « Tu jugeras avec justice »[22], tu ne feras pas acception de la personne en reprenant les fautes. Tu ne te demanderas pas en doutant si une chose arrivera ou non.[23] N’aie pas les mains tendues quand il s’agit de recevoir, mais fermées quand il faut donner. Si tu possèdes quelque chose grâce au travail de tes mains, donne pour racheter tes péchés. Tu n’hésiteras pas pour donner, mais donne sans murmure. Tu reconnaîtras en effet (un jour) qui sait récompenser dignement. Ne te détourne pas de l’indigent, mets au contraire tout en commun avec ton frère et ne dis pas que tu possèdes des biens en propre, car si vous entrez en partage pour les biens immortels combien plus devez-vous y entrer pour les biens périssables ?
Tu ne retireras pas la main de dessus ton fils ou ta fille, mais dès leur enfance tu leur apprendras la crainte de Dieu. Tu ne commanderas pas avec aigreur à ton esclave ou à ta servante qui mettent leur espérance dans le même Dieu que toi, de peur qu’ils ne perdent la crainte de Dieu qui est au-dessus des uns et des autres ; car il n’appelle pas en faisant acception des personnes, mais il vient à ceux que l’Esprit a préparés.
Pour vous, esclaves, vous serez soumis à vos maîtres comme à une image de Dieu, avec respect et crainte[24]. Aie en haine toute hypocrisie et tout ce qui déplaît au Seigneur. Ne mets point de côté « les commandements du Seigneur, mais tu garderas » ceux que tu as reçus, « sans y ajouter ni en retrancher »[25] Dans l’assemblée, tu confesseras tes manquements, et tu n’iras pas à ta prière avec une conscience mauvaise. Telle est la voie de la vie.
La voie de la mort
Mais la voie de la mort est celle-ci : avant tout elle est mauvaise et pleine de malédiction : « Meurtres, adultères, convoitises, débauches, vols, idolâtrie, pratiques magiques, empoisonnements, rapines, faux témoignages »[26], hypocrisie, duplicité du cœur, « fourberie, orgueil, méchanceté », arrogance, cupidité, propos obscènes, jalousie, insolence, faste, fanfaronnade, « absence de crainte »[27].
Persécuteurs des hommes de bien, ennemis de la vérité, amis du mensonge, ignorants de la récompense de la justice, qui ne sont pas attachés au bien[28], ni au juste jugement, en éveil non pour le bien, mais pour le mal, loin de qui se tiennent la douceur et la patience, « qui aiment ce qui n’est rien »[29], « sont avides de profit »[30], qui sont sans pitié pour le pauvre et ne se mettent pas en peine de l’affligé, ne reconnaissent pas leur propre créateur, « assassins des enfants »[31], meurtriers par avortement de la créature de Dieu, qui se détournent de l’indigent, accablent l’opprimé, avocats des riches, juges iniques des pauvres, pécheurs de part en part ! Puissiez-vous, mes enfants, être préservés te tous ces gens-là !
Veille à ce que nul ne t’écarte de cette voie de la Doctrine ; car celui-là t’enseigne autrement que Dieu ne le veut. Si donc tu peux porter tout entier le joug du Seigneur, tu seras parfait. Mais si tu ne le peux pas, tu moins, ce que tu peux, fais-le.
[1] Cf. Jérémie 21,8. Jésus fait allusion à ce thème juif des deux voies dans Matthieu 7,13-14.
[2] Mt 22,37-39 ; cf. Dt. 6,5
[3] Ce précepte à caractère symétrique constitue la « règle d’or ».
[4] cf. Mt 7,12 ; Tb 4,15
[5] cf. Mt 5,44-47 ; Lc 6,7 s, 32
[6] 1 Pi 2,11
[7] Mt 5,39 ; Lc 6,29
[8] cf. Mt 5,48
[9] Mt 5,41
[10] Mt 5,40
[11] Mt 5,42 ; Lc 6,30
[12] Mt 5,26
[13] Cf. Ecclésiastique 12,1
[14] Ex 20,13-14 ; 5,1 DT 7-18 ; cf. Mt 19,18
[15] Ex 20,15 ; Dt 5,19 ; cf. Mt 19,8
[16] cf. Ex 20, 7
[17] Mt 5,33
[18] Mt 19,18 ; Ex 20,16
[19] cf. Ps 21,6
[20] Mt 5,5
[21] Is 66.2
[22] 1 DT, 16 s ; Pr. 31,9
[23] Version géorgienne : tu ne douteras pas que Dieu jugera tous les hommes selon leurs œuvres.
[24] Ep 6,5
[25] cf. Dt 4,2 ; 13,1
[26] Mt 15,19 ; Ga 5,20
[27] cf. Rm 1,29 s ; Col. 3,8
[28] cf. Rm. 12,9
[29] Ps. 4,3
[30] Is 1.23
[31] Sg. 12,5
Les écrits des Pères apostoliques, Collection Sagesses chrétiennes, Les Éditions du Cerf, Paris, 2001, pg. 45-52
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