par saint Jean Chrysostome
La nuit n’a pas été faite pour que nous dormions et soyons oisifs pendant toute sa durée : témoins les artisans, les âniers, les marchands, et l’Église de Dieu qui se lève pendant la nuit. Levez-vous donc, vous aussi, et contemplez le chœur des astres, le silence profond, et le calme immense de la nuit; admirez avec transport la sagesse du Maître de la nature. Alors l’âme est plus pure : elle est surtout plus légère, plus subtile. Les ténèbres elles-mêmes, le profond silence sont propres à produire la componction.
Si vous contemplez le ciel comme semé d’yeux innombrables par les astres, vous goûterez une joie infinie en pensant d’abord au Créateur. Si vous pensez que ceux qui crient tout le jour, rient, dansent, sautent, commettent l’injustice, menacent, s’adonnent à l’avarice et à tous les vices; si vous pensez, dis-je, que tous ces hommes ne diffèrent plus en ce moment des morts, vous prendrez en pitié cette vie mondaine à la fois si vaine et si fastueuse. Le sommeil vient, il triomphe de la nature; il est l’image de la mort, il est l’image de la consommation de toutes choses. Vous regardez dans la rue, vous n’entendez aucune voix; si vous arrêtez vos regards sur votre demeure, vous voyez tout le monde, comme étendu dans un sépulcre. Toutes ces choses sont propres à fortifier l’âme, et à la faire penser à la consommation universelle.
Voici ce que j’ai à dire aux hommes et aux femmes. Fléchissez les genoux, gémissez, priez le Seigneur de vous être propice. Il se laisse mieux fléchir par ces prières nocturnes, lorsque vous faites du temps du repos le temps des larmes. Rappelez-vous la parole d’un roi: « Je me suis fatigué dans les gémissements, je laverai chaque nuit mon lit, j’arroserai chaque nuit ma couche de mes larmes ». Quelque opulent que vous soyez, vous ne l’êtes pas plus que ce roi; quelque riche que vous soyez, vous ne l’êtes pas plus que David. Et il dit de nouveau : « Au milieu de la nuit je me levais pour vous louer à cause des jugements de votre justice ». (Ps. VI, 7; CXVIII, 42.) Alors la vaine gloire ne vous agite plus; comment cela se pourrait-il, lorsque tous dorment et personne ne vous voit ? Alors, ni la nonchalance, ni la lâcheté ne s’emparent de vous; comment le pourraient-elles, l’âme étant occupée à de telles choses ? Après de telles veilles, le sommeil est doux, et les révélations admirables. Faites cela aussi, ô vous homme, et non la femme seulement. Que votre maison soit une église composée d’hommes et de femmes. Quand il n’y aurait qu’un homme et qu’une femme, ce ne serait pas un empêchement. « Là où deux sont réunis en mon nom », dit le Christ, « je suis au milieu d’eux ». (Matth. XVIII, 20.) Là où le Christ est au milieu, là est une grande multitude. Là où est le Christ, là sont nécessairement aussi les anges, les archanges et toutes les puissances. Vous n’êtes donc pas seul, puisque le Seigneur de tous est avec vous. Entendez encore le prophète disant : « Un seul qui fait la volonté du Seigneur vaut mieux que mille prévaricateurs ». (Eccl. XVI, 3.) Rien de plus faible que de nombreux pécheurs; rien de plus fort qu’un seul homme vivant suivant la loi de Dieu. Si vous avez des enfants, réveillez aussi vos enfants, et que la maison devienne tout à fait une église pendant la nuit. S’ils sont petits, et qu’ils ne puissent supporter la veille, qu’ils se reposent après la première ou la seconde prière. Seulement, levez-vous, et faites-vous-en une habitude. Rien de meilleur que le trésor où se déposent ces prières. Écoutez les paroles du prophète : « Si je me souvenais de vous sur ma couche, le matin je méditais sur vous ». (Ps. LXII, 7.) Mais vous direz : j’ai passé le jour à travailler, je me suis fatigué, et je ne puis me lever. Ce sont là des prétextes et des excuses. Si fatigué que vous soyez, vous ne l’êtes pas autant que le forgeron qui lève, et laisse retomber son pesant marteau sur un fer embrasé, le corps toujours exposé à la fumée. Et cependant, il passe dans ce travail la plus grande partie de la nuit. Les femmes elles-mêmes savent comment, quand on a quelquefois le désir d’aller à la campagne, ou à une fête nocturne, on y veille pendant la nuit entière. Ayez donc un atelier spirituel, non pour y fabriquer des marmites et des bassins, mais pour y édifier votre âme qui est bien meilleure qu’un forgeron ou un orfèvre. Cette âme vieillie par le péché, jetez-la dans le creuset de la confession, faites tomber le marteau sur elle d’une grande hauteur; c’est-à-dire, les paroles de blâme; allumez le feu de l’Esprit-Saint. Vous avez un art bien supérieur à exercer. En effet, vous ne façonnez pas de vases d’or; mais, comme le forgeron fabrique un ustensile, vous formez votre âme qui est plus précieuse que l’or. Vous ne façonnez pas un vase matériel, mais vous débarrassez votre âme de toutes les chimères de ce monde. Ayez avec vous une lumière, non celle qui brûle, mais celle dont le prophète a dit : « Votre loi est une lumière pour mes pieds (CXVIII, 105) ». Enflammez votre âme par la prière, et si vous voyez qu’elle est assez enflammée, enlevez-la du feu, et façonnez-la pour le mieux.
Croyez-moi, le feu ne saurait si bien enlever la rouille du fer, que la prière nocturne, la rouille de nos péchés. Imitons au moins les gardes de nuit. Ces hommes, en vertu de la loi humaine, font leurs tournées au milieu du froid, poussant de grands cris; parcourant les rues, souvent mouillés et transis, pour vous, pour votre conservation, et la garde de vos richesses. Cet homme exerce une si grande vigilance sur votre fortune ; mais vous, vous n’avez nul souci de votre âme. Je ne vous astreins pas à courir dehors comme cet homme de garde, ni à pousser de grands cris, ni à vous épuiser de fatigue; mais dans votre chambre à coucher, ou dans la partie retirée de votre demeure, fléchissez le genou devant le Seigneur, et suppliez-le. Pourquoi le Christ a-t-il veillé pendant la nuit ? N’est-ce pas pour nous donner l’exemple ? Les plantes respirent à cette heure, je veux dire la nuit; l’âme alors reçoit plus qu’elles de rosée. Celles que le soleil a brûlées pendant le jour, se ravivent pendant la nuit. Mieux encore que la rosée, les larmes de la nuit sont versées sur la concupiscence, sur toute sorte d’ardeur et de feu, et elles empêcheront que l’âme ne souffre rien de grave. Si l’âme ne jouit de cette rosée, elle sera consumée pendant le jour. Qu’aucun de vous ne devienne la proie de ce feu; mais, rafraîchis par la clémence divine, et recueillant les fruits de sa bonté, puissions-nous tous ainsi être délivrés du fardeau de nos fautes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tons les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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