Histoire, Orthodoxie, Saints de l'Occident, Seraphim Rose

Prologue aux saints orthodoxes de l’Occident – IV

1 octobre 2020

3. Les livres des miracles de saint Grégoire de Tours

 

Dans l’Occident orthodoxe de langue latine il n’y a pas eu de personnalité plus dévouée aux saints de l’Église du Christ, ni plus prolifique dans leurs louanges, que saint Grégoire, évêque de Tours (539-594).



Bien qu’il soit principalement connu aujourd’hui pour son Histoire des Francs, les chrétiens orthodoxes apprécient surtout ses huit Livres de Miracles, appelés généralement ses « œuvres mineures ». Dans cet écrivain gaulois du VIe siècle, respire l’esprit même de l’Orient orthodoxe et du Prologue. Influencé fortement par saint Martin, son propre prédécesseur au Siège de Tours, dont il reçut des guérisons miraculeuses, il consacra quatre des huit livres de cet ouvrage aux Miracles (ou plutôt aux Vertus) du bienheureux Évêque Martin. Mais il s’est intéressé également aux autres saints, écrivant un livre sur La Gloire des Bienheureux Martyrs, un autre sur La Passion et les Miracles de saint Julien le Martyr, un autre sur La Vie des Pères et un dernier sur La Gloire des confesseurs. Pris ensemble, ces livres — qui traitent principalement des saints de Gaule — constituent le plus grand matériel hagiographique sur les saints orthodoxes de tous les pays de l’Antiquité. L’objectif qu’il a poursuivi en les écrivant est moral et didactique, et il tourne consciemment le dos aux savoirs païens. Il écrit lui-même :

« Nous devons […] ne faire, ne dire et n’écrire que ce qui peut contribuer à édifier l’Église de Dieu et conduire les esprits simples à l’intelligence de la foi parfaite, en les fécondant par une sainte instruction. Ainsi, nous ne devons pas raviver le souvenir de fables trompeuses et imiter la sagesse des philosophes, sagesse ennemie de Dieu, de peur que le jugement du Seigneur ne nous fasse tomber sous le coup de la mort éternelle. […] La fuite de Saturne, la colère de Junon, les débauches de Jupiter, les offenses de Neptune […], je ne les rappellerai pas ici. […] Comme, à mes yeux, ce sont autant de monuments élevés sur le sable et promis à une ruine prochaine, je me tournerai plutôt vers les choses divines et vers ces miracles de l’Évangile qui ont servi de base à Jean l’Évangéliste, lorsqu’il a dit : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout a été fait par lui et rien n’a été fait sans lui
(De la Gloire des Martyrs, Préface).

« Miracles », en effet, sont le sujet ainsi que le titre de ces livres. Si les savants rationalistes sont offensés par les nombreux miracles de l’Histoire des Francs, ils sont absolument scandalisés par les Livres des Miracles, qui en abondent. Mais la raison pour laquelle il écrit à ce sujet encore une fois, c’est parce qu’ils sont vrais, et il prend soin de souligner qu’il n’écrit que ce qu’il sait par expérience personnelle (ayant connu beaucoup de saints lui-même et ayant été témoin de nombreux miracles) ou ce qu’il a appris du témoignage de personnes fiables. Ainsi, ces livres sont également des sources originales inestimables de la pratique chrétienne.
Bien que saint Grégoire soit connu en Orient et mentionné dans les patrologies orthodoxes, ses écrits n’ont pas été traduits ni en grec ni en slave.
Il se souciait trop de l’Occident, et l’Orient avait déjà de nombreux recueils sur les saints d’Orient exactement dans le même esprit. (L’un d’eux, l’Histoire ecclésiastique par Théodoret, évêque de Cyr [Ve siècle] — un recueil de vies des pères syriens — est un parallèle exact à la vie des pères de saint Grégoire).

Plus surprenant, cependant, c’est que les Livres des Miracles n’ont jamais été traduits en anglais (à l’exception de quelques extraits). Cela ne peut être qu’un témoignage de la superstition rationaliste qui a prévalu en Occident dans les temps modernes, et aussi de la disparition de l’intérêt pour les saints orthodoxes d’Occident, qui dure depuis plusieurs siècles. Une autre raison pour laquelle il a été dédaigné en Occident est que sa langue ne répond pas aux normes du latin classique. Il le reconnaît lui-même et déclare qu’il n’a entrepris à écrire ses Livres de Miracles que sur l’ordre du Seigneur reçu en vision. Dans un rêve, en protestant à sa mère de son manque de compétence en écriture, il a reçu d’elle cette réponse : « Ignores-tu que celui qui nous parle un langage adapté à l’intelligence du peuple, comme tu peux le faire, en est par cela même mieux compris ? Ainsi, n’hésite plus, et fais-le sans retard, car ton silence à cet égard serait coupable. » (Des Miracles de Saint Martin, évêque, Préface du Premier Livre). Même le bienheureux Augustin, comme on le sait, s’est vu reprocher ses insuffisances en latin classique, et il a donné une réponse suffisante, qui fera aussi pour une réponse aux détracteurs du latin de saint Grégoire : « Il vaut mieux que les grammairiens nous reprochent plutôt qu’être incompris par les gens »

L’archevêque Jean Maximovitch a laissé comme héritage aux chrétiens orthodoxes d’Occident son amour pour les saints des terres occidentales. En accomplissement de ce testament, nous proposons maintenant, dans un livre séparé, la première traduction anglaise de l’ensemble du septième Livre des Miracles de Saint Grégoire — La Vie des Pères. Aucune excuse n’est nécessaire pour présenter ces vingt chapitres sur les saints moines de la Gaule des Ve et VIe siècles. Pour le chrétien orthodoxe, ce sont des lectures fascinantes ; l’homélie édifiante qui précède chaque vie est de plus instructive pour notre lutte spirituelle aujourd’hui ; l’esprit du livre est entièrement orthodoxe, et les pratiques orthodoxes qui y sont décrites font partie de l’héritage des chrétiens orthodoxes (mais pas des catholiques romains) à ce jour, y compris la vénération des « icônes des saints » (dans le texte latin, le saint a employé iconicas au lieu de la forme plus prévisible, imagines) au chapitre 12 ; et certains des incidents, tout comme les histoires des Pères du désert, sont d’une pertinence précise pour nos problèmes d’aujourd’hui — par exemple, l’histoire du diacre « charismatique » qui « guérit au nom de Jésus » jusqu’à ce que saint Friard l’expose comme victime d’une tromperie satanique (ch. 10).

Nous souhaitons sincèrement que ce livre prenne sa place, avec les Dialogues de Saint Grégoire le Grand, l’Histoire Lausiaque de Palladius et d’autres livres fondamentaux de la spiritualité orthodoxe, dans le cadre de la lecture quotidienne de ceux qui mènent le combat pour le salut sur l’étroit chemin orthodoxe. Qu’il soit lu en silence, ou à haute-voix, puisse-t-il devenir, comme les autres grands livres de l’antiquité chrétienne, une source de piété pour l’esprit orthodoxe véritable, dominé aujourd’hui à travers le monde par l’esprit du siècle. Puisse-t-il nous aider dans notre lutte existentielle pour devenir et rester des chrétiens orthodoxes conscients, familiers du chemin du salut, connaissant la saveur du vrai christianisme et notre égarement par rapport à lui. Qu’il soit pour nous un début, un prologue, du vrai christianisme en pratique !

Fr. Seraphim Rose, Vita Patrum – the life of the Fathers by st. Gregory of Tour, p.25-27, St. Herman of Alaska Brotherhood, Platina, 1988

Traduction: hesychia.eu

 

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