Священномученик Никодим (Кононов), епископ Белгородский
La séparation de l’Église et de l’État fut interprétée d’une manière toute spéciale par les Bolcheviks, à qui elle servit de prétexte pour interdire la prédication dans les églises. Le martyre de l’évêque Nicodème le prouve clairement.
Monseigneur Nicodème, évêque de Biélgorod, a laissé derrière lui un lumineux souvenir, tant comme guerrier intrépide du Christ que comme père spirituel, toujours prêt à donner sa vie pour ses brebis. Son ministère ne fut pas très long mais, dès le premier jour, il sut s’attirer l’amour de son troupeau.
Monseigneur arriva à Biélgorod peu de temps avant la canonisation du bienheureux Josaphat, qui fut évêque de cette ville au dix-huitième siècle et il apporta une large contribution à la préparation de cet événement, si remarquable pour la ville. C’est lui qui composa, avec une sainte piété, les litanies en l’honneur du nouveau saint, paroles et musique. L’évêque organisa aussi, dans la chambre du saint, où reposait la châsse contenant son corps inaltéré, un petit musée d’objets et de documents se rapportant à lui et l’on essaya de rendre à la demeure son aspect d’autrefois.
Monseigneur était tellement uni mystiquement à son saint prédécesseur qu’il parut vraiment comme un successeur de celui-ci, protégé par lui. Il écrivit, enfin, un ouvrage très documenté sur la vie du bienheureux et sur les innombrables miracles accomplis grâce à son intervention.
Dans la direction de son évêché, l’évêque Nicodème était ferme et ne se laissait pas influencer par ses collaborateurs mais par les ordres de sa conscience épiscopale ; il savait se montrer inflexible ou charitablement indulgent suivant les circonstances, et il prévoyait toujours sans erreur ce qu’il fallait faire dans n’importe quelle partie de son administration.
Sur le plan charitable aussi, Monseigneur suivit les traces de son saint prédécesseur. Il fonda des Maisons d’assistance pour personnes âgées et pour orphelins et apporta son soutien à celles qui existaient déjà. Il prit aussi personnellement à sa charge les frais d’éducation de deux élèves des écoles du clergé.
Monseigneur Nicodème savait parler et enseigner. Ses sermons se distinguaient par leur extraordinaire puissance de vérité théologique, par leur beauté, leur force d’expression et de conviction. Chaque sermon de l’évêque gravait dans l’esprit, d’une manière ineffaçable, la pensée principale du sujet développé.
Quand arriva l’époque de persécution contre l’Eglise, l’intrépide évêque prit la défense de la vérité chrétienne et, de sa bouche, sortirent des paroles nettes, condamnant la puissance athée.
De l’estrade d’où il parlait dans l’église, Monseigneur Nicodème, comme personne n’osa le faire, ni alors, ni après lui, prononçait des paroles brûlantes, accusait, prévenait, expliquait.
On le sentait vraiment inspiré, lorsqu’il donna lecture de la déclaration du Patriarche contre les sans-Dieu, en l’expliquant comme le lui dictait sa conscience d’apôtre du Christ.
Ses amis lui disaient de faire attention et ses fidèles le suppliaient d’être prudent. Ce fut en vain.
L’évêque, fidèle à son devoir, amplifia ses efforts pour exposer à ceux qui se faisaient des illusions ou même qui se laissaient séduire, les plans préparés, avec une ruse diabolique, pour mener à sa perte le pays et perdre les âmes.
Au cours des sermons de l’évêque, certains de ses concélébrants se retiraient doucement de côté, pour ne pas être vus. Monseigneur Nicodème demeurait seul devant tous les regards, pour accuser les ennemis de l’Église et de Dieu.
Outre ses sermons, l’évêque faisait régulièrement des causeries sur des sujets religieux ou moraux, ou bien il commentait les Écritures Saintes. Ces causeries attiraient beaucoup de monde.
En semaine il célébrait personnellement, le mercredi, les litanies de la Très Sainte Vierge, le jeudi celles de Saint-Nicolas, le vendredi celles de Saint Josaphat.
Lorsqu’il célébrait la Divine Liturgie, il s’absorbait tellement en Dieu que ses concélébrants ne le reconnaissaient plus. On aurait dit un ange du ciel venu sur la terre.
Au mois de mars 1918, les Bolcheviks, repliés sur Biélgorod par suite de l’invasion allemande, se mirent, avec rage, à perquisitionner dans les couvents. L’arrestation de l’évêque semblait imminente, mais ils l’oublièrent ! Il continua son ministère jusqu’en automne.
À ce moment-là, il dut se rendre à Kiev pour prendre part à l’assemblée des évêques de la Russie méridionale.
Son retour à Biélgorod semblait presque impossible, à cause de la retraite allemande, mais il n’hésita pas et il réussit à traverser le front pour être chez lui à Noël, à la stupéfaction des siens.
Le jour de Noël, après le service religieux, Monseigneur Nicodème avait invité les membres de son clergé à venir prendre une tasse de thé chez lui. Tout le monde était réuni quand, soudain, un homme apparut dans la salle à manger ; c’était le commissaire Sayenko, bien connu comme bourreau et individu sadique. Il venait tout juste d’être nommé à Biélgorod avec mission d’y organiser les services spéciaux de la police.
Chapeau en tête, il ordonna grossièrement à 1’évêque de le suivre afin de donner certaines explications.
Monseigneur demanda à ses invités de rester calmes, leur disant que tout s’arrangerait et suivit Sayenko. Tout le monde avait compris.
Le commissaire emmena son prisonnier dans l’ex-Palais de rassemblée provinciale, devenu la « tanière » des nouveaux dirigeants.
La nouvelle de cette arrestation se répandit instantanément par toute la ville, et ses habitants, n’ayant aucune confiance en la parole de Sayenko, décidèrent d’aller tous ensemble demander la libération de leur évêque. On forma des délégations dans ce but. L’une d’elles, composée d’élèves du lycée, était conduite par leur directrice Maria Kiyanovskaïa.
Ces délégations de croyants prirent la direction du Palais provincial. Là, les soldats leur barrèrent le passage en déclarant que cette démonstration était une révolte contre le pouvoir soviétique. Les délégués restèrent sur place. Aidé par des gardes rouges, un commissaire fit alors arrêter quelques-uns des « meneurs », au nombre desquels se trouvait la directrice du lycée. La foule protesta, fut menacée, puis chassée.
Cette démonstration se révéla pourtant utile : quelques heures plus tard, on relâchait l’évêque, mais pas pour longtemps.
Cette même nuit, la directrice Maria Kiyanovskaïa était assassinée dans les sous-sols du Palais.
Le lendemain, deuxième jour de Noël, l’évêque célébra sa dernière Messe. Le soir, au cours des Matines, les gardes rouges vinrent arrêter Monseigneur dans la cathédrale. Ils entrèrent directement dans le sanctuaire et, l’ayant pris près de l’autel, ils le firent sortir par une porte annexe pour ne pas être vus par les fidèles. On ne sait où il fut emmené. Plus tard seulement on eut quelques détails.
Durant les interrogatoires et les tortures qu’on lui fit subir, Monseigneur Nicodème resta enfermé dans le sous-sol du Palais provincial.
Il subit le martyre le quatrième jour de la semaine de Noël, jour qui est consacré à la mémoire des premiers martyrs chrétiens et prit la tête de la longue procession des nouveaux martyrs que devait fournir son diocèse où, depuis les temps anciens, a fleuri la foi Orthodoxe.
L’évêque fut tué dans la cour du corps des pompiers.
Lorsqu’on l’amena devant le peloton d’exécution, composé de Chinois, car il y en avait dans l’armée rouge, Monseigneur Nicodème, après avoir prié, donna à ses bourreaux sa bénédiction épiscopale. Cela les frappa tellement qu’ils refusèrent catégoriquement de tirer, malgré les menaces. Monseigneur fut alors ramené dans la caserne pendant qu’on choisissait d’autres exécuteurs.
Pour éviter une répétition de ce qui s’était passé, l’évêque fut revêtu d’une capote militaire. C’est ce qu’a rapporté un témoin oculaire appartenant au corps des pompiers.
Monseigneur Nicodème fut enterré ainsi que d’autres tués, en un endroit tenu secret mais qui finit par être connu des croyants.
La fosse commune où son corps reposait se trouvait dans un cimetière des environs de la ville.
Ce « tombeau » changeait tout le temps d’aspect. On le voyait orné de verdure et de fleurs, puis on le retrouvait nu et piétiné. Finalement, les mains déprédatrices se lassèrent. Une croix fut placée sur la tombe fleurie ; des icônes et des petites veilleuses allumées y prirent place.
Beaucoup de personnes venaient à la dérobée, au cours d’une promenade, rendre hommage aux martyrs et prier, loin des yeux de lynx de la police secrète.
Un instant, on put croire que la lumière de la liberté allait à nouveau briller et que le peuple russe pourrait éviter la mort physique et spirituelle ; ce fut quand Biélgorod se trouva libérée par les contre-révolutionnaires blancs. La fosse fut alors ouverte, plusieurs corps reconnus et mis ailleurs.
Le corps de Monseigneur Nicodème, revêtu de ses ornements sacerdotaux, fut placé dans la chapelle du cimetière et son cercueil recouvert de la mante épiscopale. Après quoi, on l’inhuma au monastère de la Sainte-Trinité, avec le concours de tout le clergé de la ville de Biélgorod, en présence de tout le peuple chrétien.
C’est dans l’église-cathédrale du couvent, non loin des reliques de saint Josaphat, que Monseigneur fut enterré.
Un an après la mort du martyr, les sans-Dieu enlevèrent les reliques de Saint Josaphat pour les mettre dans un musée de Moscou.
La cathédrale a été rasée sur « demande du peuple » et les restes de l’évêque Nicodème sont doublement ensevelis sous ses décombres.
« Son souvenir restera pour toujours dans le cœur de ses fidèles et l’Église glorifiera ses bonnes actions ».
Archiprêtre Michel POLSKY, LES NOUVEAUX MARTYRS DE LA TERRE RUSSE
Traduction abrégée et adaptée de Marie Ellenberger-Romensky, Éditions Résiac, Montsurs, 1976, p. 30-33
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