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Le martyre d’Apollonius – vers l’an 185, à Rome

29 janvier 2025

 
On amena Apollonius.
Le proconsul Pérennis lui demanda : « Apollonius, es-tu chrétien ? »
Apollonius : Oui, je suis chrétien, c’est pourquoi j’honore et je crains Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent.
Le proconsul Pérennis : Rétracte-toi, Apollonius, crois-moi. Jure par la fortune de notre seigneur, l’empereur Commode.

 

 

Apollonius : Écoute, Pérennis. Ma défense sera sérieuse et conforme aux lois. L’homme qui change d’idée pour ne plus observer les commandements justes, salutaires et admirables de Dieu, celui-là est coupable, criminel et vraiment impie. Mais celui qui change, qui renonce à l’injustice, au désordre, à l’idolâtrie et aux desseins pervers, qui évite jusqu’à la moindre faute et tourne pour toujours le dos à ces misères, celui-là est un honnête homme, crois-moi, Pérennis, crois à mon plaidoyer.

Ces beaux et magnifiques commandements, nous les tenons du Verbe de Dieu, qui connaît toutes les pensées des hommes. Il nous a prescrit de ne jamais jurer, mais de dire toujours la vérité. C’est un grand serment que la vérité affirmée dans un oui. Voilà pourquoi il est honteux pour un chrétien de jurer. Le mensonge est né de la défiance, et de la défiance est né le serment. Veux-tu cependant m’entendre jurer que nous honorons l’Empereur et que nous prions pour sa puissance ? Je le jurerais volontiers en appelant à témoin le vrai Dieu, celui qui existait avant les siècles, celui que des mains d’homme n’ont point fabriqué, celui qui a choisi un homme sur terre pour commander aux autres hommes.

Le proconsul Pérennis : Fais ce que je te dis, rétracte — toi, Apollonius. Sacrifie aux dieux et à l’image de l’empereur Commode.

Apollonius sourit et reprit : Je me suis expliqué, Pérennis, sur deux points : le changement d’idée et le serment. Écoute-moi, maintenant, sur ce qui regarde le sacrifice. Tous les chrétiens, et moi avec eux, nous offrons un sacrifice non sanglant et sans tache au Dieu tout-puissant, au maître du ciel, de la terre et de tout ce qui respire. Ce sacrifice de prière nous l’offrons en particulier pour les hommes doués d’intelligence et de raison, faits à l’image de Dieu, choisis par la Providence de Dieu pour régner sur la terre. Aussi, pour obéir, aux ordres de Dieu, prions-nous chaque jour le Dieu du ciel pour l’empereur Commode qui règne en ce monde. Nous le savons, ce n’est point par une volonté humaine, mais à cause de la seule volonté du Dieu invin­cible, que l’Empereur règne sur l’univers.

Le proconsul Apollonius : Je te donne un jour de répit pour réfléchir. Il y va de ta vie.

Trois jours après, nouvel interrogatoire. C’était au milieu d’un grand nombre de sénateurs, de membres du conseil et de savants philosophes. Le proconsul fit appeler le prévenu et dit : « Qu’on donne lecture des actes d’Apollonius ».

La lecture terminée, Pérennis demanda : « Eh bien, qu’as-tu décidé, Apollonius ? »

Apollonius : De rester fidèle à Dieu, comme tu l’avais prévu et consigné dans les actes.

Le proconsul : Change d’avis, crois-moi. Le décret du sénat est formel. Rends hommage aux dieux et adore-les, comme nous le faisons tous, et tu pourras continuer à vivre avec nous.

Apollonius : Je connais le décret du sénat, Pérennis. Mais j’ai appris à adorer Dieu, je ne puis donc honorer les idoles faites de main d’homme. Aussi n’adorerai-je jamais or ni argent, bronze ni fer, pas plus que de pré­tendues divinités de bois ou de pierre, qui ne peuvent ni voir ni entendre, mais sont l’œuvre d’ouvriers, d’orfèvres, de tourneurs ou de ciseleurs et qui n’ont pas de vie. Moi, c’est le Dieu du ciel que je sers, c’est lui seul que j’adore, lui qui a donné à tous les hommes une âme vivante, et qui, chaque jour, en eux entretient la vie. Non, Pérennis, je ne m’avilirai pas, en l’abaissant plus bas que vos misères ; c’est une honte pour nous d’adorer ce qui est à mesure d’homme ou pire que les démons.

Ils pèchent, les malheureux hommes, quand ils adorent ce qui est matière, une idole taillée dans une pierre froide, ou dans un bois desséché, un métal poli ou des ossements sans vie. Quelle folie dans cet égare­ment. C’est la même sottise que celle des Égyptiens qui adorent, — entre bien d’autres infamies, — un baquet, ou comme on dit vulgairement un bain de pieds. Quel ridicule dans ce manque d’éducation ! Les Athéniens, aujourd’hui encore, vénèrent une tête de bœuf qu’ils appellent la Fortune d’Athènes. Ils ne peuvent même plus prier leurs propres dieux !

Toutes ces choses ne peuvent que faire du mal aux âmes qui y croient. Quelle différence y a-t-il entre ces idoles et de l’argile cuite ou une coquille brisée ? Ils prient des statues de dieux qui ne peuvent pas entendre comme nous, ne peuvent rien réclamer, rien accorder. Leur apparence est une duperie. Ils ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas, des mains, mais elles ne palpent pas, des pieds, qui ne marchent pas. Leur apparence trompe sur la réalité. Socrate devait se moquer, il me semble, des Athéniens, quand il jurait sur le platane, un arbre des champs.

En second lieu, les hommes pèchent encore contre le ciel, quand ils adorent des végétaux, comme l’oignon et l’ail, devenus des dieux à Péluse : toutes choses qui passent dans l’estomac et sont rejetées au cloaque.

En troisième lieu, les hommes pèchent contre le ciel, quand ils adorent des animaux, le poisson, la colombe ou, comme chez les Égyptiens, le chien et le singe, le crocodile et le bœuf, l’aspic et le loup, autant d’images de leurs propres mœurs.

En quatrième lieu, les hommes pèchent contre le ciel, quand ils adorent des êtres doués de parole, des hommes devenus des démons malfaisants. Ils appellent dieux des hommes d’autrefois, comme l’attestent leurs propres légendes : Dionysos mis en pièces, Héraclès brûlé vif et Zeus enseveli en Crète. Ils cherchent à expliquer les noms des dieux par le sens des mythes. Les noms eux-mêmes de leurs divinités reposent sur des légendes.

De toute cette impiété, je n’en veux pas !

Pérennis: Apollonius, le décret du Sénat interdit d’être chrétien.

Apollonius : Le décret de Dieu ne peut céder devant celui des hommes. Plus vous tuez, au mépris de la justice et des lois et malgré leur innocence, ceux qui ont foi en Dieu, plus Dieu grossira leur nombre. Je veux, Pérennis, que tu saches une chose : pour tous les hommes sans distinction, rois, sénateurs ou puissants de la terre, riches ou pauvres, hommes libres ou esclaves, grands, philosophes ou ignorants, Dieu a décrété la mort, et après la mort, le jugement.

Mais la manière de mourir n’est pas la même. Chez nous, les disciples du Verbe meurent tous les jours aux plaisirs ; ils mortifient leurs passions par la tempérance, pour conformer leur vie à la volonté de Dieu. Tu peux me croire, Pérennis, je ne mens pas. En notre vie, il n’est pas de jouissance qui ne soit réprimée ; nous détour­nons nos regards quand un spectacle honteux les solli­cite, et nos oreilles de toute parole dangereuse, afin de garder pures nos âmes. En pratiquant une telle règle de vie, nous ne jugeons pas terrible de mourir pour le vrai Dieu. Nous lui devons d’être ce que nous sommes. Voilà pourquoi nous portons tout avec patience, afin de ne pas mourir de la mort éternelle.

Dans la vie comme dans la mort, nous sommes au Seigneur. D’ailleurs la dysenterie ou la fièvre peuvent nous tuer à tout moment. Tuez-moi, ce sera pour moi comme si je mourais d’une de ces maladies.

Pérennis : Avec ces idées-là, Apollonius, tu dois aimer la mort ?

Apollonius : J’aime la vie, Pérennis, mais l’amour de la vie ne me fait pas craindre la mort. Rien n’est meilleur que la vie, mais la vie éternelle, la vie qui devient immor­talité pour l’âme qui a bien vécu ici-bas.

Pérennis : Je ne comprends pas ce que tu dis ; je ne connais pas tout ce que tu me vantes de ta religion.

Apollonius: Comment nos âmes pourraient-elles se rencontrer, Pérennis ? Tu comprends si peu les mer­veilles de la grâce ! Il faut que l’âme s’ouvre à la lumière pour découvrir le Verbe du Seigneur, comme les yeux pour apercevoir la clarté. La parole est vaine pour ceux qui ne peuvent comprendre, comme est vaine la lumière pour les aveugles.

Alors intervint un philosophe cynique : « Apollonius, garde tes injures pour toi. Tu es en train de divaguer, en te croyant profond. »

Apollonius : J’ai appris à prier, non à injurier. Ton propos atteste l’aveuglement de ton cœur, malgré les vains discours que tu pourrais nous faire. Il faut ne rien comprendre pour voir dans la vérité une injure.

Pérennis : Nous savons, nous aussi, que le Verbe de Dieu engendre l’âme et le corps des justes. Il a parlé et enseigné comme il plaisait à Dieu.

Apollonius: Ce Verbe est notre sauveur, Jésus — Christ. Comme homme il est né en Judée. Il était juste en toute chose et rempli de la sagesse de Dieu. Par amour des hommes, il nous a fait connaître le Dieu de l’univers, savoir quel idéal de vertu convenait à nos âmes pour mener une vie sainte. Par sa Passion, il a brisé l’emprise du péché. Il nous a enseigné comment maîtriser les passions, mesurer les désirs, discipliner le goût des plaisirs, couper court à nos souffrances. Sa doctrine était d’entrer en communion avec le pro­chain, d’accroître toujours la charité, d’écarter la vaine gloire et de pardonner les injures. Par respect de la justice, il nous a demandé de mépriser la mort, non point que nous soyons coupables, mais pour supporter l’injustice des coupables.

Le Christ nous a demandé encore de respecter sa loi, d’honorer l’Empereur, de n’adorer que le Dieu immortel, de croire à l’immortalité de l’âme, d’attendre le jugement promis par Dieu à ceux qui ont vécu dans la piété. Voilà ce que nous a clairement enseigné le Christ, en l’appuyant de preuves nombreuses. Lui-même acquit un grand renom de vertu. Mais il s’est attiré la haine des ignorants, comme avant lui justes et philosophes. Les justes gênent les méchants. D’après l’Écriture, les insensés s’écrient dans leur injustice : Emprisonnons le juste, parce qu’il nous gêne. De même chez les Grecs, on cite ce mot d’un philosophe : « Le juste sera fouetté, torturé, emprisonné. On lui brûlera les yeux, et après tous ces maux, on l’empalera. »

Les délateurs d’Athènes avaient fait condamner injustement Socrate, en trompant le peuple. Quelques scélérats ont fait condamner de même notre Maître et Sauveur, après l’avoir outragé.

Tel fut aussi le traitement réservé aux prophètes, qui avaient prédit de grandes merveilles au sujet de cet homme : « Un homme, disaient-ils, doit venir, qui sera juste et vertueux en tout ; il répandra ses bienfaits sur tous les hommes, leur enseignera la vertu et les persuadera d’adorer le Dieu de l’univers. » Ce Dieu-là, nous l’honorons avec ferveur. De lui nous avons appris à marcher selon la loi sainte que jusqu’alors nous igno­rions. Et nous ne nous sommes pas égarés.

Admettons même que ce soit une erreur, comme vous le dites, de croire à l’immortalité de l’âme, au jugement après la mort, à la récompense dans la résurrection et au jugement de Dieu. Eh bien, nous emporterions volon­tiers avec nous cette illusion, à laquelle nous devons d’avoir appris à bien vivre et d’attendre la réalisation de nos espérances, malgré les maux présents.

Pérennis : Je pensais, Apollonius, que désormais tu renoncerais à ces idées et que tu honorerais les dieux avec nous.

Apollonius : Et moi, j’espérais que ces éclaircissements sur ma religion t’aideraient ; que mes explications ouvriraient en toi les yeux de l’âme et que ton esprit porterait des fruits. Je pensais t’amener à adorer le Dieu qui a créé toutes choses et que chaque jour vers lui seul tu ferais monter tes prières et le sacrifice non — sanglant et pur à ses yeux, par des actes de pitié et d’humanité.

Pérennis: Je voudrais te rendre la liberté, Apollo­nius, mais les décrets de l’empereur Commode s’y opposent. Je veux du moins te traiter humainement dans la mort.

Et il le condamna à être décapité.

Apollonius : Je rends grâces à mon Dieu, proconsul Pérennis, avec tous ceux qui ont confessé le Dieu tout-puissant, son Fils unique Jésus-Christ et le Saint-Esprit, pour ta sentence qui m’apporte le salut !
 


 

 

La geste du sang, textes choisis et traduits par A. Hamman o.f.m., Librairie Arthème Fayard, Paris, 1951, p. 46-59

 


 

 

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