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Le Chrétien est un homme qui attend. Le Seigneur nous dit dans l’Évangile : « Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées ; soyez semblables à des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il viendra et frappera » (Lc 12 35-36). Peu de textes nous révèlent aussi parfaitement quel doit être le sens et l’orientation profonde de la vie chrétienne.
Le but de la création est la déification de l’homme et de l’univers. Toute l’économie du salut, l’œuvre rédemptrice du Christ, l’action sanctificatrice du Saint-Esprit, ont pour but de ramener l’humanité déchue à la fin pour laquelle elle avait été créée, vers la plénitude de la déification. Or c’est par le retour du Christ, que nous attendons, que se réalisera l’accomplissement suprême de ce dessein de Dieu, que cette économie du salut atteindra son accomplissement ultime.
Si nous voulons retrouver un christianisme vivant, qui soit pour nous une source perpétuelle de Joie et d’élan spirituel, il faut que nous replacions au cœur de notre vie chrétienne le désir impatient et la certitude du retour glorieux du Seigneur, ce désir et cette certitude qui animaient les premières générations chrétiennes. « L’Esprit et l’Épouse disent : ‹ Viens ! ›. Que celui qui a soif vienne et que celui qui le désire prenne de Peau de la vie, gratuitement » (Ap 22 17).
L’essentiel du message chrétien, la « bonne nouvelle » du salut, est l’annonce de la résurrection, de l’irruption de la vie nouvelle et immortelle dans notre monde voué à la souffrance et à la mort, du fait du péché de l’homme. Cette irruption de la vie véritable s’est réalisée, fondamentalement, dans la résurrection du Christ, dans Son passage de la mort à la vie. Déjà la mort est vaincue, déjà la vie a triomphé. Mais il faut que chacun de nous, tout au long de notre vie, et l’Église tout au long de son histoire, fassions notre ce passage, que nous le revivions avec le Christ — ou plutôt que le Christ le revive en nous — en apportant le consentement de notre liberté à l’œuvre de la grâce divine. La Parousie du Christ, Son Avènement glorieux à la fin des temps, manifestera tout ce qui était virtuellement contenu dans la résurrection du Christ au jour de Pâques, en faisant participer tout Son Corps, qui est l’Église, à Son triomphe définitif sur le péché, la souffrance et la mort. Telle est l’espérance de l’Église et sa certitude fondamentale.
Selon les Pères de l’Église, ce n’est qu’à la Parousie que les hommes entreront dans leur destinée définitive, et le sort final de beaucoup ne sera fixé que lors du Jugement dernier. Jusqu’à la résurrection, les Saints eux-mêmes, bien qu’ils soient auprès du Christ, sont dans un état d’attente.
Après la mort, l’âme de chaque défunt reste aussi vivante, aussi consciente, aussi active que pendant la vie terrestre, quoique d’une autre manière. Mais elle ne peut plus rien pour son propre salut. Dans la tradition orthodoxe, qui se fonde sur les visions dont certains saints ont été favorisés, on estime que durant les deux premiers jours après la mort, l’âme reste encore sur terre, parcourant les lieux où elle a vécu et auxquels elle a été attachée durant sa vie terrestre. À partir du troisième jour, elle passe par ce que les Pères de l’Église appellent les « postes de péage ». L’un des plus anciens textes où apparaît cette doctrine est la Vie de saint Antoine par saint Athanase, Archevêque d’Alexandrie. Ainsi, pendant les quarante jours qui précèdent l’attribution à l’âme du défunt de ce qui sera son séjour provisoire jusqu’à la Parousie, les démons présentent tout ce qu’elle a pu commettre comme fautes durant sa vie terrestre ; son seul recours est alors le repentir qu’elle a manifesté pour les péchés qui lui sont reprochés, les bonnes œuvres qu’elle a accomplies et l’intercession de l’Église et des Saints. La prière pour les défunts revêt ainsi, dès le moment de leur mort, une grande importance ; elle protège l’âme et la défend contre les entreprises des démons.
Si l’âme traverse victorieusement ces « postes de péage », si les démons ne trouvent en elle rien qu’ils puissent revendiquer, elle est alors introduite par les Anges dans le Paradis ou le sein d’Abraham, dans ce « lieu de lumière, de rafraîchissement et de repos, où il n’y a ni douleur, ni larmes », mais où l’âme, au contraire, jouit en la compagnie des Saints d’un bonheur ineffable. Mais quel que soit le bonheur dont jouissent les Saints, ils sont encore sous le signe de l’attente. Leur béatitude ne sera parfaite qu’au jour du retour du Christ et de la résurrection finale.
Quant aux pécheurs qui n’ont pu franchir victorieusement l’épreuve des « postes de péage » parce que leur repentir n’avait pas été suffisant et leurs bonnes œuvres trop rares, ils vont dans un lieu de souffrance où ils sont tourmentés par les démons. Cette souffrance n’a pas nécessairement un caractère définitif. La pensée commune de l’Eglise ancienne est en effet qu’avant le Jugement dernier, les damnés peuvent être sauvés (à l’exception de ceux qui ont commis des fautes d’une extrême gravité et sont morts dans l’impénitence finale : meurtriers, apostats, hérétiques, adultères, fornicateurs), mais cela, uniquement grâce à la prière des membres de l’Église terrestre. C’est pourquoi la prière pour les défunts revêt, dans la conscience de l’Eglise ancienne et de l’Église Orthodoxe d’aujourd’hui, une extrême importance : il ne s’agit pas de prier pour que leur « temps de purgatoires » soit abrégé, mais pour qu’ils soient délivrés de l’enfer éternel. Toutes les liturgies anciennes de l’Église l’attestent, y compris la liturgie romaine telle qu’elle a été en vigueur jusqu’à une date récente : jamais, dans sa prière pour les défunts, l’Église n’a demandé la « délivrance des âmes du purgatoire » ; toutes les formules liturgiques demandent à Dieu d’être miséricordieux dans Son Jugement et de délivrer le défunt de la mort éternelle, l’Église prie, d’une part, pour que les défunts soient protégés par la Miséricorde divine lors de leur passage à travers les « postes de péage », échappent aux démons, et parviennent au Paradis et, d’autre part, s’ils sont déjà condamnés, pour que, finalement, Dieu les sauve dans Sa Miséricorde.
L’objet de l’attente ardente de l’Église, des vivants et des défunts (qui sont aussi des vivants), est le retour du Christ. La fin des temps ne doit pas être conçue par le Chrétien comme une catastrophe à redouter, mais comme la victoire définitive du bien sur le mal, de Dieu et de Son règne sur le Malin et sur tous ses alliés. La Parousie est la réponse chrétienne au problème du mal. Elle sera l’accomplissement définitif du mystère de Pâques, l’ultime passage de la croix des épreuves terrestres (et celles des derniers temps, la « grande tribulation » eschatologique sera redoutable pour l’Église) à la joie radieuse de la résurrection.
C ’est dans cette perspective que nous devons envisager le Jugement dernier. Comme tous les « jugements » divins dans la Bible, il sera essentiellement un acte de délivrance et de salut. Ceux qui seront condamnés, ce sont ceux qui se seront volontairement identifiés aux puissances du mal, à l’opposition au règne de Dieu, à Son dessein de salut et de bonheur infini pour Ses créatures. À leur défaite définitive s’oppose la victoire de tous ceux qui auront accepté d’être sauvés, d’être aimés et d’aimer Celui qui les a aimés le premier.
L’Église a condamné la doctrine, attribuée (peut-être à tort) à Origène, selon laquelle il serait certain que tous les hommes, et même les démons, seraient finalement sauvés au dernier jour. Mais ce rejet de l’affirmation du salut universel par la tradition orthodoxe — qui méconnaîtrait à la fois le mystère insondable de l’amour de Dieu et celui de la liberté humaine — n’a jamais empêché l’Église d’élever vers Dieu une intercession fervente et pleine d’espérance pour le salut de tous les hommes.
Archimandrite Placide
Monastère Saint-Antoine-le-Grand, 11 février 2001
Moine Grégoire, Le péage après la mort ou le passage de l’âme par les douanes tenues par les démons, traduit du grec par Sœur Svetlana Marchal
Monastère du Pantocrator, Aghios Athanasios, Corfou, Grèce
Förderverein heiliger Seraphim von Sarov e.V., Düsseldorf, Allemagne, 2001
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