Il y a beaucoup de vérité amère dans ta lettre. Mais que le désespoir demeure loin de nous. Le désespoir est la dot de la mort, que les incroyants acceptent en se mariant avec la mort.
Il y a eu des temps plus difficiles pour l’Église du Christ, mais les combattants n’ont pas perdu espoir et la bataille n’a pas été perdue. Il te suffit de lire chez saint Basile le Grand, quelle était la situation dans l’Église et dans le monde, une situation aussi sombre que la nuit noire sur une mer démontée. On avait l’impression que la fin du monde était proche et qu’allait survenir le Jugement de Dieu. Et voilà que quelque seize siècles se sont écoulés depuis cette époque. Non seulement la foi chrétienne ne s’est pas éteinte, mais elle a fini par entourer tout le globe terrestre et illuminer toutes les régions du monde. Et bien qu’elle n’ait pas illuminé toutes les régions de façon uniforme, ses rayons sont néanmoins parvenus partout, directement ou de biais.
Il y a quelques jours, j’ai reçu la visite du professeur Manning de New York. Une âme riche, pétrie de savoir terrestre et pleine de foi en même temps. Je l’ai interrogé sur la foi parmi les étudiants américains.
« Je sais, me dit-il, que la foi chrétienne est une force invincible. Comme vivante dans le baromètre, cette force s’élève et descend, mais elle ne s’amoindrit pas. Des hommes écervelés et incultes se trompent lourdement en prédisant la chute du christianisme. Il y a cent ans, quand les sciences naturelles venaient à peine de prendre un grand essor, seulement cinq étudiants étaient inscrits à la faculté de théologie de l’Université de P… Cinq seulement ! Quand ces cinq-là se sont inscrits, les autres étudiants se moquaient d’eux en leur disant : ne voyez-vous pas que tout est fini avec la foi ? Aujourd’hui cependant, cent ans après, cette même université compte plusieurs centaines d’étudiants en théologie. »
Voilà ce qu’un Américain dit à propos de ses compatriotes. Mais toi, Serbe, regarde combien il y a d’étudiants inscrits dans ton seul séminaire : plus de deux cents. Est-ce l’incrédulité de vos deux cents pères, de vos deux cents mères et des deux cents que vous êtes, qui vous a conduits dans cet établissement d’enseignement spirituel, ou est-ce la foi ? Incontestablement la foi.
Et si quelques chrétiens se sont éloignés de la foi, pour qui est-ce un malheur en dehors d’eux-mêmes ? Leur infidélité va-t-elle annuler la fidélité de Dieu ? [Rm 3 3] C’est ce que se demandait l’héroïque Apôtre du Christ dans les premiers jours d’une histoire qui a maintenant accompli dix-neuf siècles. Ces siècles nombreux ont justifié sa vision lumineuse de l’avenir. Toi aussi, adopte cette vision apostolique pour l’avenir du christianisme. Essaie de rédiger un petit recueil sur l’Eglise sous le titre : le cortège triomphal du Christ. Ta souffrance devant l’incrédulité de certaines personnes exprime ton amour envers le Seigneur. Il faut que tu saches que la douleur est l’une des expressions les plus fréquentes de l’amour.
Mais prends bien garde de ne pas haïr ceux qui ne croient pas. Cela serait funeste pour toi et sans utilité pour eux. Regarde-les plutôt avec compassion comme des voyageurs qui ont été attaqués et pillés par des brigands embusqués. Regarde-les avec compassion comme tu le fais avec des indigents dans la rue.
Et prie Dieu pour eux. Tu feras œuvre de missionnaire. Que la première règle dans ce travail de missionnaire soit de prier Dieu pour ceux qui se sont détachés de la foi.
Que la bénédiction de Dieu soit avec toi.
Saint Nicolas Vélimirovitch, Lettres missionnaires, Éditions des Syrtes, 2019, p. 18-19
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