Grégoire de Nazianze, Histoire, Orthodoxie

St. Grégoire de Nazianze — Premier discours contre l’empereur Julien I / IX

2 mars 2022

« Peuples, écoutez ce que je vais dire ; habitants de la terre, soyez attentifs à ma voix. » Je vous appelle tous comme d’une émi­nence située au centre du monde, d’où cette voix retentira jusqu’aux extrémités de l’univers. Écoutez donc, peuples de toute contrée, de toute langue, hommes de toute condition et de tout âge, et vous qui vivez maintenant, et vous qui vivrez dans les siècles à venir.

 


Écoutez aussi, vertus célestes, saints anges qui venez d’exterminer le tyran. Celui que vous avez frappé, ce n’est ni un Séhon, roi des Amorrhéens, ni un Og, roi de Basan, faibles monarques dont toute la puissance s’est bornée à désoler un petit coin du monde, la terre de Juda ; c’est le serpent infernal, c’est l’apostat, ce grand et sublime génie, le fléau d’Israël, l’ennemi du genre humain, dont les menaces et les fureurs ont laissé partout des traces si profondes, dont la bouche impie blas­phéma contre le Très-Haut, dont la main osa s’élever contre lui.

« Cieux, écoutez à votre tour ; terre, prête l’oreille. » Le jour est enfin arrivé où je puis employer les mêmes paroles qu’Isaïe, le plus élo­quent, le plus sublime de tous les prophètes : c’est contre une nation rebelle â la loi de Bien qu’Isaïe appelle le ciel et la terre en témoi­gnage ; et moi, je les invoque contre un tyran révolté lui-même contre Dieu, et qui vient de trouver une mort digne de son impiété.

Écoute, âme du grand Constance, et vous que Dieu avait appelés avant lui à gouverner l’empire, fidèles serviteurs de Jésus-Christ, si les mortels conservent encore au-delà du trépas les sentiments qui les ont animés dans cette vie, écoutez-moi tous. Mais c’est à Constance surtout que je m’adresse ; ce prince qu’on a vu grandir avec l’héritage de Jésus-Christ, qui l’étendit au loin sur la terre, qui employa toute sa puissance à l’augmenter et à raffermir, et qui, dans cette grande et sainte entreprise, surpassa la gloire de tous ses prédécesseurs, hélas ! dans quelle fatale erreur est-il tombé ? par un aveuglement indigne de sa piété, un empereur chrétien nourrissait sans le savoir le plus monel ennemi de Jésus-Christ, et, pour cette seule fois, il se montra cruel par trop de bonté, en sauvant, en élevant à l’empire celui qui ne vécut que pour le crime, qui ne régna que pour persécuter le genre humain. Aussi ce prince religieux, qui a vu avec les transports de la joie la plus vive la chute de l’impie et le rétablissement de l’Église dans son ancienne splendeur, applaudira-t-il à ce discours, que j’offre à Dieu comme un sacrifice d’actions de grâces, sacrifice plus pur et plus saint que l’immolation des victimes privées de raison ; sacrifice qui ne sera pas souillé par des fables ridicules et des déclamations criminelles, comme ceux où le tyran faisait trophée de son pouvoir et de son élo­quence. Son pouvoir, c’était la force que lui prêtait l’impiété ; sa sa­gesse ; une haute folie ; car ce qu’on appelle la puissance et la science du siècle « marche dans les ténèbres, » et va, loin de la lumière de la vérité, se perdre dans un abîme. « Semblables à l’herbe des champs, » à ces fleurs passagères qui se dessèchent et disparaissent en un instant, elles ne tardent pas à s’évanouir, elles meurent avec les in­sensés qui ont mis en elles toute leur espérance, et ceux-ci, « en tombant avec fracas, » deviennent encore plus fameux par leur chute qu’ils ne l’ont été par leur impiété.

Je vais donc l’offrir en ce jour au Seigneur ce sacrifice non san­glant de louanges et d’actions de grâces ! Mais qui m’ouvrira un théâ­tre digne de la grandeur du bienfait que nous avons reçu ? Où trouver des acclamations qui égalent le triomphe, un auditoire qui soit l’écho de l’allégresse qui me transporte ? Rien de plus naturel que de rendre hommage au Verbe divin par la parole, puisqu’il est lui-même la pa­role vivante de Dieu, que ce titre lui convient par excellence et qu’il le préfère à tous ses autres titres ; mais aussi rien de plus juste que de venger par la parole l’outrage que le tyran a fait à la parole même ; et puisqu’il a persécuté l’éloquence, que l’éloquence le torture à son tour ; car, bien que l’étude des lettres et des sciences soit une faculté commune à tous les hommes, il prétendit l’interdire aux chrétiens et s’en réserver à lui seul le privilège. Or voici sur quels sages motifs se fondait ce grand maître en fait d’éloquence.

Sa mauvaise foi eut d’abord recours au sophisme ; il soutenait, par une misérable équivoque, que les lettres grecques n’appartenaient qu’à ceux qui suivaient la religion grecque ; et, sous ce ridicule pré­texte, il nous représentait comme des spoliateurs d’un bien qui n’était pas à nous ; c’est-à-dire que, pour être conséquent, il aurait dû nous priver aussi de tous les arts que les Grecs ont inventés, puisqu’il se croyait le droit d’en disposer en maître absolu. Il s’imaginait sans doute que nous ne soupçonnerions pas son secret, et qu’on ne l’accu­serait pas de nous faire perdre un avantage fort considérable, puisque nous professons le plus souverain mépris pour les lettres humaines. Mais son vrai motif était la crainte qu’on ne les fit servir à confondre son impiété : comme si nos attaques tiraient toute leur force de l’élé­gance du style et de l’artifice du langage, plutôt que de la puissance irrésistible que la vérité donne au raisonnement. Il n’est pas plus pos­sible de nous combattre et de nous faire reculer sur ce terrain que de nous empêcher de louer Jésus-Christ tant que nous aurons une lan­gue ; certes nous ne refusons pas de faire à Dieu le sacrifice de la parole, comme nous savons lui sacrifier, quand il le faut, même notre vie pour la défense de la vérité. Il pouvait donc, par cet édit, nous interdire l’élégance et la politesse du langage, mais la vérité, jamais. Aussi n’a-t-il fait par-là que trahir sa faiblesse sans se mettre à cou­vert contre nos coups : au contraire, sa fausse prudence nous a fourni de nouvelles armes et lui a préparé une défaite plus certaine.

Nous aurait-il défendu de parler s’il avait eu quelque confiance en la bonté de sa religion, ou s’il avait pensé qu’elle pût soutenir la discussion ? Que dirait-on d’un athlète qui, s’imaginant mériter la palme sur tous ses rivaux, demanderait qu’elle lui fût décernée par un suffrage universel, sans permettre aux plus habiles et aux plus cou­rageux de descendre dans l’arène pour s’y mesurer avec lui, ou qui les mutilerait par d’indignes moyens ? Ne ferait-il pas preuve de lâ­cheté plutôt que découragé ? Les couronnes sont réservées aux combattants, et non pas aux spectateurs. Il faut les mériter sur des adver­saires qui puissent déployer toutes leurs forces et qui n’apportent pas seulement dans la lutte les restes d’un corps mutilé. Vous craignez de combattre ; vous refusez d’en venir aux mains ; par là même vous avouez votre défaite ; j’ai vaincu sans livrer de combat, puisque tous vos efforts n’ont eu d’autre but que d’éviter le combat. Telle fut la conduite de cet empereur illustre, de ce sage législateur ; pour que rien ne pût se soustraire à sa tyrannie, il voulut avant tout tyranniser l’é­loquence, et avec elle le bon sens et la raison ; et il fallait que le com­mencement de son règne fût signalé par un édit qui fit connaître à tout l’univers sa brutalité. Pour nous, nous ne saurions faire un plus juste et plus noble usage de la liberté de parler qui nous est enfin rendue, que de l’employer à rendre à Dieu de solennelles actions de grâces ; nous devons aussi consacrer à son service, du moins en partie, ces biens, ces trésors que sa miséricorde nous a conservés pendant le temps de la persécution ; mais c’est surtout en réunissant leurs voix pour lui offrir un sacrifice de louanges que tous ceux qui ont eu part à ses bienfaits peuvent lui marquer dignement leur reconnaissance. Tel doit être le but de ce discours ; il ne doit pas se prolonger au-delà des bornes ordinaires ni s’écarter, par d’inutiles digressions, du sujet qui nous a rassemblés.

Mais déjà je sens que mon sujet m’entraîne ; mon discours s’a­nime et s’élève. La joie que je vois régner partout me transporte moi-même. Venez donc tous partager la sainte allégresse de ce jour de fête, vous qui, par vos jeûnes, vos larmes, vos prières continuelles, n’avez cessé de demander à Dieu, nuit et jour, la fin des calamités qui pesaient sur nous, et qui prépariez ainsi le remède le plus infaillible à tous les maux, « remède qui ne trompe jamais » ceux qui mettent en lui leur espérance ; venez aussi, vous qui, dans tant de combats et d’é­preuves si cruelles, avez été le plus en butte à la fureur de l’orage et aux coups de la persécution ; vous qui avez été donnés

« en spectacle, selon l’expression de l’Apôtre, aux anges, aux hommes, à l’univers entier ; vos corps ont été frappés et abattus, mais vos âmes sont de­meurées invincibles ; elles ont triomphé de tous les efforts par la force de Jésus-Christ, qui était en vous. »

 

 

Venez enfin, vous qui avez vu avec joie la perte de vos charges, de vos dignités, et le « pillage de vos biens, » ces funestes aliments de tous les vices ; vous qui, bannis injustement de ce qu’on appelle votre patrie, et séparés pour un peu de temps de vos amis, de vos parents, de vos femmes, de vos enfants, de tous ceux enfin auxquels la tendresse vous attache par des liens si fragiles, avez eu le bonheur de sacrifier quelque chose pour Jésus-Christ, qui lui-même a sacrifié sa vie pour vous ; vous pouvez vous écrier, dans un saint transport, avec le prophète : « Seigneur, vous nous avez imposé le joug du méchant ; nous avons passé par l’eau et par le feu, et vous nous avez enfin conduits dans un lieu de rafraîchissement et de paix. »

J’appelle encore à célébrer ce jour de fête tous ceux qui recon­naissent le souverain domaine de Dieu sur les créatures, mais dont la philosophie ne va pas plus loin, et qui, faute de pénétrer les ressorts secrets de cette Providence dont la sagesse sait souvent tirer le bien du mal, en laissant au crime, par un excès de bonté, le temps du re­pentir, ne consultent que l’insuffisance et la légèreté de leurs pen­sées, se sentent, pour parler comme David,

« dévorés de zèle et d’indignation, en voyant l’orgueil de l’impie et la paix des pécheurs, ne peuvent attendre que les desseins de Dieu s’accomplissent, »

et tombent dans te trouble et te découragement. Eh bien ! que ces hommes esclaves de leurs sens qui vivent dans une dépendance perpétuelle des événement ouvrent les yeux, et que la vue de ce prodige les affermisse dans la voie de la vérité.

J’appelle aussi à cette solennité tant d’âmes que je vois enivrées de l’amour du monde, et passionnées jusqu’à la folie pour toutes tes scènes frivoles qui se donnent sur ce grand théâtre ; qu’elles écoutent ces paroles qu’Isaïe leur adresse

« Femmes, levez-vous, et entendez ma voix ; détournez de ce spectacle vos regards trop longtemps livrés aux choses extérieures, et errant d’objets en objets venez apprendre par cet exemple que le Seigneur est le vrai Dieu, seul grand, seul admirable dans tout l’univers et parmi toutes tes nations ; »

j’en atteste les merveilles qu’il a opérées dans tous les temps, et celles surtout qu’il a fait éclater plus récemment au milieu de nous.

Pourquoi manque-t-il à cette fête une partie du troupeau ? Je me rappelle encore tes saints cantiques que nous chantions autrefois tous ensemble devant le Seigneur : ils ne s’étaient pas séparés de nous alors ; ils occupaient dans nos assemblées un rang distingué ; et plaise à Dieu, comme je l’espère, qu’ils viennent te reprendre bientôt ! Com­ment se fait-il qu’ils se soient éloignés tout à-coup, qu’ils aient re­noncé à leur rang, qu’ils aient rompu cette heureuse harmonie ? Com­ment ce concert de voix réunies pour célébrer la joie de notre triomphe ne les invite-t-il pas à se joindre à nous ? Mais non, ils persistent à former loin de nous une assemblée peu nombreuse, irrégulière, sans discipline ; qu’il me soit permis de te dire sans les offenser. Je pourrais lui donner un autre nom, si je suivais l’ardeur de mon zèle ; mais ta Charité me ferme la bouche, et l’espoir de leur retour adoucit l’amertume des plaintes que je serais en droit de leur adresser. Ce sont mes propres membres, je dois toujours les aimer et chercher à les guérir ; je dois me rappeler l’ancienne charité qui nous unissait plutôt que le mépris que depuis ils nous ont témoigné. Je dois les traiter aujour­d’hui avec douceur, me réservant 1e droit de leur faire plus tard sen­tir leur faute.

Mais il est une classe de prétendus chrétiens que je ne puis ad­mettre à cette solennité. Ce n’est qu’en gémissant que je les repousse, et leur malheur m’afflige d’autant plus qu’ils y sont insensibles, et que cette insensibilité rend leur plaie plus incurable. Non, ils ne sont pas dignes de partager notre joie, ces hommes « qui n’ont point bâti sur la pierre solide, » mais sur un sable mouvant. Ils ont em­brassé la doctrine de Jésus-Christ, je ne sais par quel caprice et quelle légèreté d’esprit ; mais comme leur unique désir était de plaire aux hommes, la foi n’a pu jeter dans leurs cœurs de profondes ra­cines ; à peine eut-elle commencé à donner des marques de fertilité qu’à la première incursion de l’orage soulevé par le démon, qu’au premier souffle de la tentation, elle s’est aussitôt desséchée, et n’a pas tardé à périr. Il en est d’autres plus criminels encore, plus indignes d’être admis dans cette assemblée et de partager la joie de cette fête, ce sont ceux qui, sans opposer la moindre résistance, sans hésiter un seul instant, ont préféré sur-le-champ le honteux et funeste esclavage du démon à la glorieuse liberté des enfants de Dieu, ceux qui n’ont pas rougi de se vendre lâchement et à vil prix, ceux enfin qui tremblaient de se compromettre par une parole en faveur de la vérité, de s’exposer au plus léger hasard, et qui, pour un sordide in­térêt, pour le vain éclat de quelque dignité temporelle, ont sacrifié leur salut

Après avoir ainsi séparé de cette assemblée sainte tout ce qui pourrait en souiller la pureté, après avoir également purifié nos corps et nos âmes, unissons nos voix pour répéter tous ensemble, dans les mêmes sentiments d’amour et de reconnaissance, ce cantique triom­phal que chantèrent autrefois les Israélites lorsqu’ils virent les Égyp­tiens ensevelis sous les flots de la mer Rouge, et que Marie, sœur de Moïse, entonna la première, en s’accompagnant du son retentissant des tambours : « Célébrons le Seigneur : il a fait éclater sa gloire et sa puissance ; il a précipité le cheval et le cavalier, » non pas dans la mer ; car je change ici les paroles du saint cantique, mais dans le lieu qu’il a lui-même choisi et de la manière la plus propre à signaler sa justice. Le prophète Aaron, raisonnant sur la toute-puissance de Dieu, disait avec l’accent de l’inspiration :

« II fait tout, il change tout : à sa voix, l’ombre de la mort devient une éclatante lumière, et la clarté du jour fait place aux ténèbres de la nuit. »

Il gouverne le monde enchaîné dans un cercle où il roule perpétuellement ; placée au centre de tous les évènements ; sa providence les règle et les diversifie à son gré, les précipite ou les arrête par les moyens les plus contraires à nos vues, souvent même dans un apparent désordre, ne découvrant à nos regards que les résultats, enfermant leurs ressorts cachés dans un se­cret impénétrable, seule constante, seule immuable, dans ce flux et reflux de toutes les vicissitudes humaines. C’est lui qui

« renverse les rois de leur trône, et couronne à leur place des hommes de néant. II affermit les pas incertains et chancelants, il abat la puissance et l’audace du méchant. »

J’emprunte ici les paroles de l’Écriture, et j’en choisis les divers traits, à mesure qu’ils se présentent à mon esprit, pour en composer ce cantique d’actions de grâces que je veux offrir au Seigneur. On nous représente encore l’impie s’élevant au-dessus des cèdres du Liban ; et un moment après, à peine avons-nous eu le temps de passer rapidement et de fuir sa présence, qu’il est renversé, anéanti.

Mais qui pourra, même parmi les écrivains sacrés, raconter, exalter dignement les merveilles de la puissance du Seigneur ? Quels accents célébreront ses louanges ? quelle voix assez éloquente égalera jamais la grandeur du prodige que nous avons vu s’accomplir parmi nous ? Quelle main a brisé l’épée et le bouclier, enchaîné les fureurs de la guerre et écrasé la tête du serpent sous les eaux de l’abîme ? Quel est celui qui l’a livré aux peuples dont il devait être la proie ? quel est celui dont le souffle a dissipé l’orage ? quel est celui qui a dit à la mer : Silence, apaise-toi ; que tes vagues rentrent dans ton sein ; et à la voix duquel l’onde grondante et écumeuse s’est calmée aussi­tôt ? Quel est celui qui nous a donné le pouvoir de fouler aux pieds ces serpents et ces reptiles venimeux, qui ne rampaient plus dans la pous­sière pour nous mordre le talon, comme le porte l’anathème du sou­verain juge, mais qui nous attaquaient hardiment et levaient contre nous une tête audacieuse, condamnée à être écrasée sans pitié ? Quel est celui qui a exercé une vengeance si juste et si prompte sur les im­pies ? Qui a brisé le sceptre de fer qu’ils faisaient peser sur les justes, ou, pour parler plus modestement, sur ceux qui avaient la connais­sance de Dieu ?

Car si nous avons été poursuivis, persécutés, ce n’est point à titre de justes ; cette faveur n’est que rarement accordée, et seulement à un petit nombre de généreux athlètes que Dieu met aux prises avec l’ennemi, afin qu’ils aient la gloire de le confondre. Nous n’étions tous que des pécheurs condamnés pour leurs crimes et réservés à la miséricorde paternelle d’un Dieu bon et sage, dont les rigueurs sont mesurées à nos intérêts, qui ne nous frappe que pour nous faire rentrer en nous-mêmes, qui ne nous punit que pour nous ramener à lui ; car s’il nous a repris, ce n’était pas dans sa fureur ; s’il nous a châtiés, ce n’était pas dans sa colère ; loin de là, ses menaces et ses châtiments ont manifesté l’excès de sa tendresse pour nous. Quel est donc enfin celui qui a déployé sa vengeance sur les nations, et fait tomber tout le poids de sa colère sur les peuples ? « C’est le Seigneur fort et puissant, c’est le Seigneur puissant dans les combats. »

Dans les saints transports qui m’animent, je ne trouve aucune parole, aucune expression qui réponde à la grandeur des bienfaits que nous avons reçus de Dieu, que celles que le prophète Isaïe employait avant moi lorsqu’il s’écriait :

« Que les cieux se réjouissent ; que les nuées répandent la justice ; que les montagnes enfantent la joie, et que les collines poussent des cris d’allégresse. »

Oui, les vertus célestes, toutes les créatures, même inanimées, doivent parta­ger notre triomphe ; car « non seulement elles gémissent ces créatures d’être assujetties comme malgré elles à la corruption, » c’est-à-dire à l’instabilité de tous ces objets passagers que nous voyons tous les jours naître et disparaître presque en même temps, et auxquels elles se trouvent liées par la puissance du Créateur ; non seulement elles souffrent, pour ainsi dire, les douleurs de l’enfantement dans l’attente de la délivrance des enfants de Dieu, qui doit leur rendre la liberté à laquelle elles aspirent ; elles participent encore aux joies pures qui sont leur partage sur la terre, et elles publient avec eux la gloire et la magnificence du Très-Haut.

Pour célébrer cette suprême majesté, j’emploierai encore le langage du prophète :

« Que la solitude se réjouisse ; qu’elle fleurisse comme le lis ! » Que l’Église, qui ressemblait naguère à une veuve désolée, sans appui, flétrie par le souffle impur de l’impiété jalouse de ses anciens triomphes, ouvre enfin son cœur à l’espérance. « Dieu a eu pitié de son peuple : il n’a pas abandonné son héritage ; il a fait éclater sa puissance par des prodiges ; il a manifesté la vérité de ses desseins éternels : il a jeté un regard de bonté sur ceux qui le craignent et qui espèrent en ses miséricordes. Il a brisé les portes d’airain et les barres de fer : ce sont nos iniquités qui ont été la source de notre humiliation. Mais il nous a enfin relevés : il a rompu nos liens, et sa grâce, qui nous a appelés, sa grâce, qui console les humbles de cœur, nous a sauvés. »

 

 


 

St. Grégoire de NazianzePremier discours contre l’empereur Julien

Chefs-d’œuvre des Pères de l’Église ou Choix d’ouvrages complets des docteurs de l’Église grecque et latine, traduction avec le texte latin en regard. Tome quatrième.

À la Bibliothèque ecclésiastique, Paris, 1838, p. 6-21.

 


 

 
 

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