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SAINT JEAN CHRYSOSTOME – PREMIÈRE HOMÉLIE SUR LA CROIX ET LE BON LARRON

6 mai 2021

Du second avènement du Christ. De la nécessité de prier souvent pour ses ennemis.

 

Saint Jean Chrysostome prononça d’abord une de ces homélies un jour de vendredi saint, puis, quelques années plus tard, ayant à prêcher à pareil jour, il la donna de nouveau après l’avoir retouchée et un peu modifiée dans certains endroits, mais surtout au commencement.

1° Saint Jean Chrysostome fait voir l’excellence de la croix: elle a été l’autel où Notre-Seigneur a consommé son sacrifice, elle nous a ouvert le ciel.

Aujourd’hui Notre-Seigneur Jésus-Christ est sur la croix, et nous sommes en fête pour vous apprendre que la croix est un sujet de fête et de réjouissance spirituelle. Autrefois, la croix était le symbole de la condamnation maintenant elle est devenue un signe d’hon rieur. Auparavant c’était un instrument de mort, aujourd’hui c’est la cause du salut. En effet, elle a été pour nous la source de biens innombrables : c’est elle qui nous a délivrés de l’erreur, qui nous a éclairés alors que nous étions dans les ténèbres; vaincus par le démon, elle nous a réconciliés avec Dieu; ennemis, elle nous a rendus amis; éloignés, elle nous a rapprochés. Elle est la destruction de l’inimitié, la garantie de la paix, et le trésor de tous les biens. (216) Grâce à elle, nous n’errons plus dans les déserts, car nous connaissons la véritable voie; nous n’habitons plus hors du royaume, nous avons trouvé la porte, nous ne craignons plus les traits enflammés du démon, nous avons aperçu une source rafraîchissante. Par la croix, nous ne sommes plus dans le veuvage, nous avons reçu l’Époux, nous ne redoutons pas le loup, nous avons le bon Pasteur : Je suis le bon Pasteur, dit-il. (Jean, X, 11.) Par elle nous ne craignons pas le tyran, nous sommes à côté du roi, et voilà pourquoi nous sommes en fête en célébrant la mémoire de la croix. De même autrefois saint Paul ordonna de solenniser la fête de la croix : Célébrons celte fête, dit-il, non avec le vieux levain, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Et pour donner les motifs de son exhortation il ajoute : Parce que le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Voyez-vous pourquoi il ordonne de célébrer une fête à cause de la croix? C’est parce que le Christ a été immolé sur la croix; parce que là où est le sacrifice, là aussi se trouve l’abolition des péchés, là aussi la réconciliation avec le Seigneur, là enfin la fête et la joie : Le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Où, je vous le demande, a-t-il été immolé? sur un gibet élevé. L’autel de ce sacrifice est nouveau, parce que le sacrifice lui-même est nouveau et prodigieux. Le même Christ était prêtre et victime : victime selon la chair, prêtre selon l’esprit. Il offrait et il était offert selon la chair.

Apprenez comment saint Paul annonce ces deux choses : Tout pontife, dit-il, est pris d’entre les hommes et est établi pour les hommes ; c’est pourquoi il est nécessaire qu’il ait quelque chose qu’il puisse offrir. Notre-Seigneur s’offre lui-même. (Héb. VI, 1 ; VIII, 3.) Ailleurs encore il dit : Jésus-Christ a été offert une fois pour effacer les péchés de plusieurs, et la seconde fois il apparaîtra pour le salut de ceux qui l’attendent. (Héb. IX, 28.) Il a été offert d’abord, puis il s’est offert. Voyez-vous comment il a été victime et prêtre, et comment la croix a été son autel? Et pourquoi, direz-vous, la victime est-elle offerte hors de la ville et des murailles et non dans le temple? C’était pour l’accomplissement de cette parole : Il a été mis au nombre des scélérats. (Isaïe, LIII, 12.) Pourquoi est-elle immolée sur un gibet élevé et non sous un toit? Pour purifier l’air : c’est la raison par laquelle il choisit un lieu élevé d’où il ne soit pas dominé par un toit, mais par le ciel seul. L’air était purifié, puisque l’agneau était immolé en haut lieu, la terre l’était également, car elle était arrosée par le sang qui coulait de son côté. Il ne voulut pas être sous un toit ni dans le temple des Juifs, dans la crainte que ces derniers ne s’appropriassent exclusivement cette victime, et qu’on ne crût qu’elle était offerte seulement pour leur nation. Ce fut en dehors de la ville et des murailles, pour nous apprendre que c’était un sacrifice universel, une oblation pour la terre entière; enfin, une purification générale et non particulière comme celle qui avait lieu chez les Juifs. Dieu ordonna aux Juifs de venir de tous les points de la terre pour lui offrir des victimes et des prières dans un seul lieu, parce que toute la terre était souillée par la fumée, l’odeur et toutes les autres impuretés des sacrifices des païens répandus à sa surface. Nous, au contraire, nous pouvons prier en tout lieu depuis que le Christ par sa venue a purifié l’univers. C’est pourquoi saint Paul exhortait en ces termes les fidèles à prier partout sans crainte : Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures. (I Tim. II, 8.) Comprenez-vous que l’univers a été purifié, puisqu’en tout lieu on peut lever des mains pures? que toute la terre a été sanctifiée, et rendue plus sainte que n’était l’intérieur des temples, puisqu’on n’y offrait qu’un animal, saris intelligence, tandis que nous avons une victime spirituelle. — Or, la sanctification est d’autant plus complète que le sacrifice est d’un plus grand prix.

 

2° Tout notre bonheur vient donc de la croix, de ce nouvel autel où Jésus-Christ, prêtre selon l’esprit et victime selon la chair, s’est immolé pour nous, de cette clef, qui dès le jour même ouvrit le paradis, afin qu’un voleur y entrât le premier.

Voulez-vous connaître un autre effet remarquable de la Croix? Elle nous a ouvert en ce jour le paradis fermé depuis cinq mille ans et plus : car c’est en ce jour, à cette heure, que Dieu y a introduit le bon larron, nous apprenant ainsi deux choses bien importantes, savoir, que le ciel était ouvert et qu’un larron y avait été reçu. Aujourd’hui le Seigneur nous a rendu notre antique patrie, aujourd’hui, il nous a ramenés dans la cité de nos pères et il a ouvert un asile à toute la nature humaine. Aujourd’hui, dit-il, tu seras avec moi en paradis. (Luc, XXIII, 43.) Que dites-vous, ô mon Sauveur? Vous êtes crucifié, attaché avec des clous, et vous promettez le paradis? Sans doute, nous répond-il, car je veux vous apprendre quelle puissance j’ai sur la croix. Pour vous distraire du triste spectacle de la croix par la puissance du Crucifié, il opère sur la croix même ce miracle qui manifeste le plus sa vertu surnaturelle. Ce n’est pas en ressuscitant les morts, en commandant aux vents et à la mer, en mettant en fuite les démons, mais sur la croix, alors qu’il était percé de clous, couvert d’outrages, de crachats, d’insultes , accablé d’opprobres, qu’il peut changer l’âme perverse du larron ; et afin que de toutes parts éclatât sa puissance, il ébranlait en même temps la nature entière, il brisait les rochers, il attirait et glorifiait l’âme du bon larron plus dure que la pierre, car il lui dit : Aujourd’hui tu seras avec moi en paradis. — Sans doute les chérubins gardaient le paradis, mais il est le maître des chérubins; ils étaient armés d’un glaive de feu, mais il a tout pouvoir sur le feu et sur l’enfer, sur la vie et sur la mort. A-t-on jamais vu un roi permettre à un voleur ou à tout autre de ses serviteurs de s’asseoir à ses côtés pour entrer dans sa ville? Le Christ l’a fait et en entrant dans la Patrie sainte, il introduit un voleur à ses côtés. N’allez pas croire que par cet acte il ait méprisé le paradis, il l’ait déshonoré par les pas de ce voleur; au contraire, il l’a honoré, car c’est une gloire de plus pour le ciel d’appartenir à un Maître qui puisse rendre un voleur digne du bonheur qu’on y goûte. Et lorsqu’il introduisait les publicains et les femmes pécheresses dans le royaume des cieux, ce n’était point un déshonneur mais bien une gloire pour ce royaume, car il montrait ainsi que le Maître de ce royaume était si puissant qu’il pouvait changer les publicains et les femmes pécheresses au point de les rendre dignes d’une telle gloire et d’une telle récompense. Car, de même que nous admirons surtout un médecin lorsque nous le voyons rendre la santé à des hommes atteints de maladies incurables, ainsi est-il juste d’admirer Notre-Seigneur quand il guérit des blessures désespérées, quand il ramène le publicain et la femme pécheresse à un tel état de santé spirituelle qu’ils sont trouvés dignes du ciel.

Mais, me demandez-vous, qu’a donc fait de si grand le larron pour passer instantanément de la croix dans le ciel? Je vais vous démontrer en peu de mots son mérite. Tandis que Pierre reniait au pied de la. croix, lui confessait sur la croix, ce que je dis, non pour accuser saint Pierre, Dieu m’en garde ! mais pour vous donner une preuve de la vertu du larron. Le disciple ne résiste pas aux menaces d’une jeune fille sans importance, le voleur, au contraire, à la vue de tout le peuple qui l’environne en criant, en lançant les blasphèmes, les insultes, ne s’émeut pas, ne songe pas au déshonneur actuel du Crucifié, mais s’élevant plus haut avec les yeux de la foi, il ne fait nulle attention à ces vils obstacles, il reconnaît le Maître des cieux et se prosternant en esprit devant lui il disait: Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume. (Luc, XXIII, 42.) Ne nous hâtons pas trop de quitter ce voleur et ne rougissons pas de nous instruire à l’école de celui que Notre-Seigneur ne rougit pas d’introduire le premier dans le ciel. N’ayons pas honte de prendre pour maître celui qui avant toutes les autres créatures terrestres parut digne de la cité du ciel, mais faisons ressortir avec soin tous les détails de sa conduite, afin d’apprendre la vertu de la croix. Le Seigneur ne lui dit point comme à Pierre : Viens à ma suite et je te ferai pêcheur d’hommes. (Matth. IV 19.) Il ne lui dit pas comme aux douze : Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. (Matth. XIX, 28.) Il ne l’honora pas même d’une parole. Il ne lui montra pas de miracles, il ne lui fit pas voir les morts ressuscités, les démons mis en fuite, la mer soumise, il ne lui parla ni du royaume des cieux ni de l’enfer, et cependant il le confessa avant tous les autres, malgré les insultes de son compagnon. L’autre voleur, en effet, insultait le Sauveur, c’est qu’il y avait encore un voleur crucifié avec Notre-Seigneur, afin que fût accomplie cette parole : Il a été mis au rang des scélérats. (Is. LIII, 12.) Les Juifs voulaient ainsi obscurcir sa gloire et ils l’insultaient dans tout ce qu’ils faisaient, mais la vérité brillait de toutes parts et les obstacles ne servaient qu’à la rendre plus éclatante. Donc, l’autre voleur insultait. Voyez-vus ces deux voleurs? Tous deux sont sur la croix, tous deux pour leurs brigandages, tous deux pour leurs crimes. Mais tous deux n’atteignent pas la même fin. L’un a reçu en héritage le royaume des cieux, l’autre a été précipité en enfer. C’est ainsi qu’hier déjà nous distinguions le disciple et les disciples, Judas et les onze. Ces derniers disaient ; Où voulez-vous que nous préparions ce qu’il faut pour manger la pâque? Judas au contraire se disposait à trahir et disait : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Les uns se (218) préparaient à servir et à être initiés aux saints mystères, l’autre avait hâte de trahir son Maître. De même aujourd’hui, nous voyons deux voleurs, mais l’un insulte, l’autre adore, le premier blasphème, celui-ci bénit et il reprend le blasphémateur en ces termes: Tu ne crains donc pas Dieu? Car nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc, XXIII, 40, 41.)

 

3° Il s’étend beaucoup sur la conduite du bon larron dont il relève le courage et la foi.

Avez-vous vu la foi du bon larron? Avez-vous remarqué sa foi sur la croix, sa sagesse dans le supplice, sa piété dans les tourments? Qui ne s’étonnerait de voir qu’il a conservé sa présence d’esprit, qu’il ne s’est pas évanoui étant percé de clous? Non-seulement il se possédait parfaitement, mais oubliant ses propres intérêts il s’occupait des affaires des autres, enseignant sur la croix et réprimandant en ces termes : Ne crains-tu donc pas Dieu. Ne t’arrête pas, dit-il à son compagnon, à ce tribunal de la terre, il est un autre juge invisible, un tribunal inaccessible à la corruption. Ne sois pas troublé de ce que cet homme a été condamné ici-bas, les jugements de Dieu diffèrent de ceux-ci. À ce tribunal terrestre, les justes sont quelquefois condamnés et les méchants échappent au châtiment, les coupables sont absous et les innocents dévoués au supplice. C’est que les juges ont beau faire, ils se trompent souvent, et souvent aussi, soit surprise et ignorance du bon droit, soit avec connaissance de cause, parce qu’ils étaient gagnés par argent, ils ont trahi la justice. Là-haut, il n’en est pas ainsi, car Dieu est juste juge et son jugement paraîtra comme la lumière sans que les ténèbres ou l’ignorance puissent l’obscurcir. Ainsi, dans la crainte qu’il ne lui objectât la condamnation qui pesait sur le Sauveur, il le conduisit au tribunal du souverain juge, lui rappelant ce tribunal redoutable, comme s’il lui eût dit: « Regarde plus haut et tu ne seras pas ému par ce qui vient de se passer, tu ne seras plus ici-bas avec des juges corrompus; mais tu en appelleras avec confiance au jugement d’en-haut. » Quel raisonnement chez ce voleur? Quelle prudence ? Quelle sagesse? Aussitôt il passa de la croix dans le ciel. Puis, afin de fermer la bouche à son compagnon par un argument sans réplique, il lui disait : Ne crains-tu donc pas Dieu ? Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. (Luc, XXIII, 40.) Comment cela? Nous sommes en effet livrés au même supplice. N’es-tu pas toi aussi sur la croix? Lors donc que tu l’insultes, c’est toi-même que tu attaques. De même que celui qui est en faute s’accuse le premier en accusant ceux qui sont dans le même cas que lui, ainsi celui qui est dans le malheur se condamne en faisant aux autres un crime de leur infortune. Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Et lui lit la loi de l’apôtre exprimée par ces paroles de l’Évangile : Ne jugez pas afin que vous ne soyez point jugés. (Matth. VII, 1.) Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Que fais-tu, ô larron ? En t’efforçant de plaider la cause du Sauveur ne te rends-tu pas complice des insultes de ton compagnon ? Non, nous répond-il; ce qui suit ne laisse pas de doute à cet égard; car dans la crainte qu’on ne s’imagine que de la parité du supplice il conclut à la parité des fautes, il rectifie ainsi ses premières paroles : Nous du moins, nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc, XXIII, 41.) Voyez-vous la confession parfaite ? Voyez-vous comment sur la croix il s’est déchargé de ses fautes? Car il est écrit : Commence par confesser toi-même tes fautes afin que tu sois justifié. (Is. XLIII, 26.) Personne ne l’a forcé, personne ne lui a fait violence, mais il s’est fait connaître volontairement en disant : Nous du moins nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée; mais lui n’a fait aucun mal (Luc, XXIII, 41, 42), et il ajoute ensuite : Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume. Il n’a pas osé dire : Souvenez-vous de moi dans votre royaume avant d’avoir déposé par la confession, le fardeau de ses péchés. Comprenez-vous maintenant le prix de la confession? Le larron se confessa et il ouvrit le ciel; il se confessa et il acquit une telle confiance qu’ayant à peine cessé d’être voleur il demanda le ciel. De quels biens la croix n’a-t-elle pas été pour nous la source? Vous prétendez à un royaume, mais qu’est-ce qui l’indique? Des clous, une croix, voilà ce qui nous apparaît; mais cette croix est désormais un signe de royauté. J’appelle Jésus-Christ roi, parce que je le vois crucifié car c’est le propre d’un roi de mourir pour ses sujets. Lui-même a dit : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jean, X, 11), donc aussi le bon roi donne sa vie pour ses sujets. Et parce qu’il a donné sa vie, je l’appelle roi. Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume.

 

4° Il dit de la croix qu’elle paraîtra au dernier jour portée par les anges et les archanges et plus éclatante que le soleil.

Voyez-vous comment la croix est le symbole de la royauté? En voulez-vous d’autres preuves? Le Sauveur ne la laissa pas sur la terre, mais il l’emporta avec lui et la plaça dans le ciel. D’où tirons-nous cette conclusion? De ce qu’il viendra avec elle dans son second et glorieux avènement pour nous apprendre combien la croix est honorable. C’est pourquoi il l’a appelée du nom de gloire. Mais voyons comment il viendra avec la croix, car il est nécessaire de vous l’expliquer. Si on vous dit: Voici le Christ dans le lieu le plus retiré de la maison, le voilà dans le désert, n’y allez pas (Matth. XXIV, 26), parlant ainsi de son second et glorieux avènement à cause des faux christs et des faux prophètes, à cause de l’antéchrist, de peur qu’on ne se laisse séduire par lui. Comme l’antéchrist doit venir avant le Christ, il ne faut pas qu’en cherchant le pasteur on tombe sur le loup, voilà pourquoi on vous donne un signe de (arrivée du pasteur. De ce que le premier avènement fut secret, il ne voulait pas nous laisser conclure qu’il en serait de même du second, c’est pourquoi il nous a donné ce signe. Ce fut avec raison que le premier avènement fut caché, car il s’agissait de rechercher ce qui avait péri : dans le second il n’y a rien de semblable. Comment, je vous prie? Comme la foudre part de l’Orient et apparaît en Occident, ainsi en sera-t-il de l’arrivée du Fils de l’homme. Sur-le-champ il apparaîtra aux yeux de tous et personne n’aura besoin de demander si le Christ est ici ou là? Quand la foudre brille il n’est pas nécessaire de s’informer si c’est bien elle, ainsi à l’arrivée du Christ il ne sera pas besoin de demander s’il est venu. Mais ce que nous voulons savoir, c’est si le Christ viendra avec sa croix, car nous n’avons pas oublié ce que nous avons promis de vous démontrer. Écoutez donc ce qui suit: Alors, dit-il, alors, quand cela? Lorsque le Fils de l’homme viendra, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté. Il y aura en effet une telle abondance de lumière que les étoiles les plus brillantes seront obscurcies. Alors les étoiles tomberont, alors l’étendard du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel. Quelle vertu de l’étendard de la croix! Le soleil sera obscurci et la lune ne paraîtra plus, mais la croix apparaît et brille pour nous apprendre qu’elle est plus éclatante que le soleil et que la lune. Et de même qu’à l’entrée d’un roi dans une ville, ses soldats marchent en avant portant sur leurs épaules ses étendards, pour annoncer qu’il s’avance, ainsi quand le Seigneur descendra des cieux il sera précédé par la multitude des anges et des archanges, portant, eux aussi sur leurs épaules, les étendards de leur roi et nous annonçant d’avance son approche : Alors les vertus des cieux seront ébranlées. Il s’agit des anges; ils seront saisis de frayeur et d’une grande crainte. Et pourquoi, je vous le demande? C’est que ce jugement sera terrible. Car toute la nature humaine doit être jugée et comparaître devant ce juge redoutable. Mais pourquoi cette crainte et cette terreur des anges, puisqu’ils ne doivent pas être jugés ! Quand un juge siège à son tribunal, non-seulement les coupables, mais les soldats qui lui font cortège, malgré leur innocence, sont saisis de crainte et d’effroi en présence de la Majesté du juge ; ainsi lorsque notre nature sera jugée, les anges, malgré leur pureté, craindront à cause de l’extrême frayeur qu’inspirera le juge. Mais pourquoi la croix apparaîtra-t-elle alors? Pourquoi Notre-Seigneur viendra-t-il avec elle? — Afin que ceux qui l’ont crucifié reconnaissent leur ingratitude et leur malice, il leur fournira la preuve de leur impudence. Et si vous doutez qu’il doive en être ainsi, écoutez le prophète: Alors les tribus de la terre pleureront en voyant leur accusateur et en reconnaissant leur péché. Et pourquoi s’étonner qu’il vienne avec sa croix, puisqu’il doit montrer alors ses blessures: car il est écrit: Ils verront celui qu’ils ont percé. (Zach. XII, 10.) De même que pour vaincre l’incrédulité de son disciple, il montra à Thomas la marque des clous et ses blessures en disant : Porte ici ta main et considère qu’un esprit n’a ni chair ni os (Jean, XX, 27 ; Luc, XXIV, 39) ; ainsi montrera-t-il alors ses blessures et sa croix pour prouver que c’est bien lui qui a été crucifié.

 

5° Passant à la nécessité de prier pour ses ennemis il exhorte les chrétiens à imiter le Sauveur qui pria pour ses ennemis, et à se conformer à l’avertissement de saint Paul qui nous dit d’être ses imitateurs comme il l’est lui-même de Jésus-Christ.

Ce n’est pas seulement la croix, mais les paroles prononcées sur cette croix, qui nous montrent une immense bonté. En effet, crucifié, bafoué, moqué, conspué, il disait : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc, XXIII, 34.) Et crucifié il prie pour ses bourreaux, tandis qu’on lui répond : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et nous croirons en toi. (Matth. XXVII, 40 et 42.) Mais précisément parce qu’il est Fils de Dieu, il ne descendit pas de la croix et c’est pour cela encore qu’il est venu afin d’être crucifié pour nous: Descends de la croix, lui disent-ils, et nous croirons en toi. — Vains prétextes d’incrédulité. Car il était beaucoup plus difficile de sortir d’un tombeau scellé par une pierre que de descendre de la croix; c’était beaucoup plus de tirer du sépulcre Lazare mort depuis quatre jours et enveloppé d’un linceul, que de descendre de la croix. — Ils disaient donc : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même; mais il était tout entier au salut de ceux-là même qui le chargeaient d’insultes, et il disait :  Pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc, XXIII, 34.) Quoi donc? Les a-t-il absous de leur péché? Il l’aurait fait s’ils eussent voulu faire pénitence. La preuve, c’est que s’il n’eût pas pardonné leur péché, jamais Paul n’eût été apôtre. S’il n’eût pas pardonné leur péché, on n’en aurait pas vu et trois mille, et cinq mille et plusieurs milliers d’autres venir à la foi. Au sujet de ces milliers de Juifs qui ont cru, écoutez ce que les autres apôtres disent à Paul : Vous voyez, frère, combien de milliers de Juifs ont cru. (Act. XXI, 20.)

Imitons donc le Seigneur et prions pour nos ennemis. Je reviens à la même recommandation et c’est le cinquième jour que je vous entretiens du même sujet, non que je veuille vous accuser de désobéissance, Dieu m’en garde ! mais dans l’espérance que vous vous rendrez à mes avis. S’il y en a parmi vous qui soient durs, colères, rancuniers au point de n’avoir pas tenu compte jusqu’ici de ce que nous avons dit de la prière pour nos ennemis, nous espérons que, touchés du nombre de jours que nous avons employés à ce sujet, ils déposeront leurs inimitiés et leurs haines. Imitez le Seigneur. Il a été crucifié et il a invoqué son Père pour ceux qui le crucifiaient. Mais, direz-vous, comment puis-je imiter le Seigneur? Vous le pouvez, si vous voulez, car si la chose était au-dessus de vos forces il ne vous aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. (Matth. XI, 29.) Si la chose était au-dessus de vos forces, saint Paul ne vous crierait pas : Soyez mes imitateurs, comme je suis celui du Christ. (I Cor. XI, 1.) Si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins votre semblable, l’apôtre saint Etienne; car il a imité le Seigneur celui-là ! Et de même que le Christ au milieu de ses bourreaux, oubliant la croix, oubliant ses propres intérêts, priait son Père pour ceux qui le crucifiaient; ainsi le serviteur, entouré de ceux qui le lapidaient, attaqué de toutes parts, exposé aux pierres sans songer à la douleur dont il était accablé, disait : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. (Act. VII, 59.) Voyez-vous comment parle le Maître? comment prie le serviteur? Le premier dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc, XXIII, 34.) Le second, de son côté : Ne leur imputez point ce péché. — Et pour nous convaincre de l’ardeur avec laquelle il prie, il n’est pas debout, quoiqu’accablé de pierres, mais il se tient à genoux, avec componction et une grande compassion. Faut-il vous montrer un autre de vos frères souffrant des tourments encore bien plus graves que celui-là? Écoutez Paul : Trois fois j’ai été battu de verges par les Juifs, j’ai été lapidé une fois, j’ai passé un jour et une nuit au fond de la mer. (II Cor. XI, 24, 25.) Et ensuite: Je souhaitais, continue-t-il, d’être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair. (Rom. IX, 3.)

 

Il y a plus; dans la loi ancienne où la grâce était moins abondante, Moïse, David et Samuel ont prié pour leurs ennemis.

Mais laissons le Nouveau Testament, et passons à l’Ancien. Les exemples qu’il nous fournit sont d’autant plus admirables qu’il n’y était pas ordonné d’aimer ses ennemis, mais qu’il était permis d’appliquer la maxime : Œil pour œil, dent pour dent (Exod. XXI, 24, 25), et ainsi de rendre le mal pour le mal. Nous y trouvons néanmoins une perfection qui égale celle des apôtres. Écoutez Moïse si souvent lapidé et méprisé par les Juifs : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, mais si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit. (Ex. XXXII, 31, 32.) Voyez-vous comment ces justes préfèrent le salut des autres à leur propre salut. Ils n’ont pas péché et ils veulent partager le châtiment de leurs frères, parce que, disent-ils, le malheur des autres ne leur permet pas de jouir de leur prospérité. Ces exemples devraient suffire, mais afin que le grand nombre nous force à nous corriger, j’en produirai un autre qui est dans le même sens. David, cet homme heureux et bon, avait été abandonné par son armée, qui, sous la conduite de son fils Absalon, cherchait à le faire mourir. Le Seigneur, irrité de cet acte de révolte (qu’importe un autre motif?) envoie son ange armé d’un glaive vengeur pour infliger un châtiment céleste, et alors quand David voit ce malheureux succomber, il s’écrie : C’est moi le pasteur qui ai péché, c’est moi qui suis le coupable. Que votre main,  je vous en prie, se tourne contre moi et contre la maison de mon père. (II Rois, XXIV,

Voyez-vous ces actes de vertu de l’Ancien Testament si semblables à ceux du Nouveau? Vous faut-il un dernier exemple du même genre? Je ne serai pas embarrassé pour le trouver. Ce sera Samuel, ce prophète accablé d’outrages par les Juifs, haï, méprisé, au point que Dieu lui-même disait pour le consoler : Ce n’est pas toi, mais moi-même qu’ils ont méprisé. (I Rois, VIII, 7.) Que disait-il au milieu de ces mépris, de ces haines et de ces outrages? Dieu me préserve de commettre la faute de ne plus prier pour vous le Seigneur. (I Rois, IIII, 23.) Il regardait comme un péché de ne pas prier pour ses ennemis : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous. Le Christ dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font (Luc, XXIII, 34) ; Etienne : Seigneur ne leur imputez point ce péché (Act. VII, 59) ; Paul : Je souhaitais d’être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair (Rom. IX, 3) ; Moïse : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, sinon effacez-moi du livre que vous avez écrit (Ex. XXXII, 31, 33); David : Que votre main s’appesantisse sur moi et sur la maison de mon père (I Rois, XXIV, 17) ; Samuel : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous (I Rois, XII, 23.)

 

Marchons donc sur leurs traces

Quel pardon pourrons-nous donc espérer, si, après que le Seigneur et ses serviteurs, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, nous exhortent à prier pour nos ennemis, nous prions au contraire contre nos ennemis. N’agissons pas ainsi, mes Frères, je vous en conjure, car plus les exemples sont nombreux, plus nous serons punis si nous ne les suivons pas. Il est plus avantageux de prier pour ses ennemis que pour ses amis, cardans le second cas il y a moins à gagner que dans le premier : En effet, si vous chérissez seulement ceux qui vous aiment, vous ne faites rien de bien grand, car les publicains en font autant (Matth. V, 46.) Donc, si nous prions pour nos amis seulement, nous ne sommes pas encore au-dessus des païens et des publicains. Mais lorsque nous aimons nos ennemis, nous devenons, autant que notre nature nous le permet, semblables à Dieu : Qui fait luire son soleil sur les méchants et sur les bons, et qui répand sa rosée sur le champ du coupable comme sur celui du juste. (Matth. V, 45.)

Soyons donc semblables au Père, car il nous dit lui-même d’être parfaits comme notre Père qui est dans les cieux, afin que nous méritions d’acquérir le royaume des cieux, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Dieu et Sauveur, Jésus-Christ à lui gloire et empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. l’abbé GAGEY, curé de Millery


 

Saint Jean Chrysostome, Œuvres complètes traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Jeannin, tome troisième, Sueur-Charruey, Imprimeur-Libraire-Éditeur, Arras, 1888, pp. 215-221

Homélie disponible également en version numérique [html] sur le site de la bibliothèque virtuelle de l’Abbaye saint Benoît

 


 

 

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