La corruption par les Latins, dans le dogme nouvellement inventé de « l’Immaculée Conception », de la vénération véritable de la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie
Quand ceux qui ont censuré la vie immaculée de la Théotokos ont été réprimandés, ainsi que ceux qui ont nié son éternelle virginité, ceux qui ont refusé sa dignité de Mère de Dieu, et ceux qui ont dédaigné ses icônes, alors, quand la gloire de la Mère de Dieu avait illuminé tout l’univers, il est apparu un enseignement qui a exalté apparemment la Vierge Marie, mais qui, en réalité, a nié toutes ses vertus.
Cet enseignement est celui de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, et il a été accepté par les adeptes du trône papal de Rome. L’enseignement est celui-ci : « la Bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception, a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel » (Constitution apostolique « Ineffabilis Deus » du Bienheureux Pape Pie IX pour la définition et la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1854 – La définition dogmatique). En d’autres termes, la Mère de Dieu à sa conception même a été préservée du péché originel et, par la grâce de Dieu, a été placée dans un état où il lui était impossible d’avoir des péchés personnels.
Les chrétiens n’en avaient pas entendu parler avant le IXe siècle, lorsque, pour la première fois, l’abbé de Corvey, Paschase Radbert, exprima l’opinion que la Sainte Vierge était conçue sans péché originel. À partir du XIIe siècle, cette idée commence à se répandre parmi le clergé et les ouailles de l’Église d’Occident, qui s’était déjà éloignée de l’Église universelle et perdait ainsi la grâce de l’Esprit Saint.
Cependant, les membres de l’église romaine n’étaient aucunement tous d’accord avec le nouvel enseignement. Il y avait des opinions différentes parmi les théologiens les plus renommés de l’Occident, les piliers, pour ainsi dire, de l’église latine. Thomas d’Aquin et Bernard de Clairvaux le censurent de manière décisive, tandis que Duns Scot le défendit. Des maîtres, cette division a été transmise à leurs disciples : les moines dominicains latins, à la suite de leur maître Thomas d’Aquin, ont prêché contre l’enseignement de l’Immaculée Conception, tandis que les adeptes de Duns Scot, les franciscains, s’efforçaient de l’implanter partout. La bataille entre ces deux courants s’est poursuivie pendant plusieurs siècles. D’un côté comme de l’autre se trouvaient les plus grandes autorités du monde catholique.
Le fait que plusieurs personnes ont déclaré avoir eu une révélation d’en haut à ce sujet n’a pas aidé pour trancher la question. La religieuse Brigitte [de Suède], renommée au XIVème siècle parmi les catholiques, a fait part dans ses écrits des apparitions, dont elle a été témoin, de la Mère de Dieu, qui lui a communiqué elle-même avoir été conçue de manière immaculée, sans péché originel. Mais sa contemporaine, l’ascète Catherine de Sienne, encore plus renommée, suite à une révélation du Christ lui-même, a affirmé que dans sa conception la Sainte Vierge a participé au péché originel (voir le livre de l’archiprêtre A. Lebedev, « Differences in the Teaching on the Most Holy Mother of God in the Churches of East and West »)
Ainsi, les écrits théologiques et les manifestations miraculeuses qui se contredisaient n’ont pas réussi à montrer oŭ se trouve la vérité. Les papes romains jusqu’à Sixte IV (fin du XVe siècle) sont restés en dehors de ces disputes, et seul ce pape approuva en 1475 un office dans lequel l’enseignement de l’Immaculée Conception était clairement exprimé ; et plusieurs années plus tard, il interdisit de condamner ceux qui croyaient en l’Immaculée Conception. Cependant, même Sixte IV ne s’est pas décidé à affirmer que tel était l’enseignement inébranlable de l’Église ; et par conséquent, ayant interdit la condamnation de ceux qui croyaient en l’Immaculée Conception, il n’a pas non plus condamné ceux qui ne le croyaient pas.
Pendant ce temps, l’enseignement de l’Immaculée Conception a obtenu de plus en plus de partisans parmi les membres de l’église romane. La raison en était qu’il semblait plus pieux et plus agréable à la Mère de Dieu de lui donner le plus de gloire possible. L’effort du peuple pour glorifier la Médiatrice Céleste, d’une part, et d’autre part, la déviation des théologiens occidentaux vers des spéculations abstraites qui n’ont conduit qu’à une vérité apparente (scolastique), et enfin, le patronage des papes romains à la suite de Sixte IV – tout cela a conduit au fait que l’opinion concernant l’Immaculée Conception, exprimée par Paschase Radbert au IXème siècle, était déjà la croyance générale de l’église latine au XIXème siècle. Il ne restait plus qu’à la proclamer définitivement comme l’enseignement de l’église, ce qui a été fait par le pape romain Pie IX lors d’un service solennel le 8 décembre 1854, lorsqu’il a déclaré que l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge était un dogme de l’église romaine.
Ainsi, l’Église romaine a ajouté un égarement de plus par rapport à l’enseignement qu’elle avait confessé lorsqu’elle était membre de l’Église catholique apostolique, dont la foi a été maintenue jusqu’à présent inchangée et intacte par l’Église orthodoxe. La proclamation du nouveau dogme a satisfait les larges masses de personnes qui appartenaient à l’Église romaine, qui dans la simplicité de cœur pensaient que la proclamation du nouvel enseignement dans l’Église rendait service à la gloire de la Mère de Dieu, à qui on venait de faire un cadeau, pour ainsi dire. Cela a nourri également l’orgueil des théologiens occidentaux qui l’ont défendue et élaborée. Mais surtout, la proclamation du nouveau dogme était profitable pour le trône romain lui-même, puisque, ayant proclamé le nouveau dogme par sa propre autorité, bien qu’il ait écouté les opinions des évêques de l’Église catholique, le pape romain par ce fait même s’appropriait ouvertement le droit de changer l’enseignement de l’Église romaine et plaçait sa propre voix au-dessus du témoignage de la Sainte Écriture et de la Tradition. Une suite logique de cela était le fait que les papes romains étaient infaillibles en matière de foi, ce que ce même pape Pie IX proclamait également comme un dogme de l’Église catholique en 1870.
C’est ainsi que l’enseignement de l’Église d’Occident a été changé après qu’elle s’est éloignée de la communion avec la Vraie Église. Elle a ajouté des enseignements de plus en plus nouveaux, pensant par là glorifier encore plus la Vérité, mais la déformant en réalité. Alors que l’Église orthodoxe confesse humblement ce qu’elle a reçu du Christ et des apôtres, l’Église romaine ose y ajouter, tantôt par « zèle non selon la science » (cf. Rm X. 2), tantôt en déviant vers les superstitions et les contradictions d’une science qui porte faussement ce nom (I Tim VI. 20). Il ne pouvait en être autrement. Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Matthieu XVI. 18) n’est promis qu’à la Vraie Église Universelle ; mais, en ce qui concerne ceux qui se sont égarés, s’accomplissent les paroles : « Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez pas non plus, si vous ne demeurez en Moi. » (Jean XV. 4)
Il est vrai que dans la définition même du nouveau dogme il est précisé qu’il ne s’agit pas d’établir un nouvel enseignement, mais qu’elle proclame ce qui a toujours été reconnu tel par l’Église et qui a été soutenu par de nombreux Pères saints, dont les écrits sont cités. Cependant, toutes les références citées ne parlent que de la sainteté de la Vierge Marie et de sa pureté, et lui donnent divers noms qui définissent sa pureté et sa puissance spirituelle ; mais on ne mentionne nulle part son imaculée conception. En même temps, ces mêmes Pères précisent ailleurs que seul Jésus-Christ est complètement exempt de tout péché, tandis que tous les hommes, nés d’Adam, ont porté une chair soumise à la loi du péché.
Aucun des Pères de l’Église ne dit que Dieu a purifié miraculeusement la Vierge Marie avant qu’Elle soit née ; et beaucoup indiquent directement que la Vierge Marie, tout comme le reste de l’humanité, a enduré un combat contre le péché, mais a été victorieuse des tentations et a été sauvée par son divin Fils.
Les commentateurs de la confession latine affirment également que la Vierge Marie a été sauvée par le Christ. Mais leur compréhension est que Marie a été préservée de la souillure du péché originel en vue des mérites futurs du Christ (Bulle sur le dogme de l’Immaculée Conception). La Vierge Marie, selon leur enseignement, a reçu d’avance, pour ainsi dire, le don que le Christ a apporté aux hommes par Ses souffrances et Sa mort sur la croix. De plus, en parlant des tourments que la Mère de Dieu a endurés au pied de la Croix de son Fils bien-aimé, et en général des peines dont la vie de la Mère de Dieu a été remplie, ils les considèrent comme un ajout aux souffrances de Christ et considèrent Marie comme notre Co-Rédemptrice. Selon le commentaire des théologiens latins, « Marie est associée à notre Rédempteur en tant que Co-Rédemptrice » (voir Lebedev, op. cit. p. 273). « Dans l’acte de Rédemption, elle, d’une certaine manière, a aidé le Christ » (Catéchisme du Dr Weimar). « La Mère de Dieu », écrit le Dr Lentz, « a porté le fardeau de son martyre non seulement avec courage, mais aussi avec joie, malgré son cœur brisé » (Mariologie du Dr Lentz). Pour cette raison, Elle est « un complément de la Sainte Trinité », et « tout comme son Fils est le seul intermédiaire choisi par Dieu entre Sa Majesté offensée et les hommes pécheurs, de même, précisément, la Médiatrice en chef placée par Lui entre Son Fils et nous est la Sainte Vierge. » « À trois égards — en tant que Fille, en tant que Mère et en tant qu’épouse de Dieu — la Sainte Vierge est élevée à une certaine égalité avec le Père, à une certaine supériorité sur le Fils, à une certaine proximité avec l’Esprit Saint » (« L’Immaculée Conception », Malou, évêque de Brouges).
Ainsi, selon l’enseignement des représentants de la théologie latine, la Vierge Marie dans l’œuvre de la Rédemption est placée côte à côte avec le Christ Lui-même et est exaltée à l’égalité avec Dieu. On ne peut pas aller plus loin que cela. Si tout cela n’a pas encore été définitivement formulé comme un dogme par l’Église romaine, le pape romain Pie IX, ayant fait le premier pas dans cette direction, a montré la direction pour le développement ultérieur de l’enseignement généralement reconnu de son église, et a indirectement confirmé l’enseignement cité ci-dessus sur la Vierge Marie.
Ainsi l’Église romaine, dans ses efforts pour glorifier la Très Sainte Vierge, s’engage sur le chemin de sa déification complète. Et si ses autorités appellent déjà Marie un complément de la Sainte Trinité, on peut s’attendre bientôt à ce que la Vierge soit vénérée comme Dieu.
La même voie a été empruntée par un groupe de penseurs qui appartiennent encore à l’Église orthodoxe, mais qui construisent un nouveau système théologique ayant pour fondement l’enseignement philosophique de Sophia, la Sagesse, comme puissance exceptionnelle liant la Divinité et la création. En développant en parallèle l’enseignement de la dignité de la Mère de Dieu, ils souhaitent voir en Elle une Essence qui est une sorte de point médian entre Dieu et l’homme. Dans certains sujets, ils sont plus modérés que les théologiens latins, mais dans d’autres, de manière surprenante, ils les ont déjà laissés derrière. Tout en niant l’enseignement de l’Immaculée Conception et la liberté du péché originel, ils enseignent l’absence complète de tout péché personnel, voyant en Elle un intermédiaire entre les hommes et Dieu, comme le Christ : en la personne du Christ est apparu sur terre la Deuxième Personne de la Sainte Trinité, le Verbe prééternel, le Fils de Dieu ; tandis que le Saint-Esprit se manifeste à travers la Vierge Marie.
Pour reprendre les mots d’un des représentants de cette tendance, lorsque le Saint-Esprit fit sa demeure dans la Vierge Marie, elle acquit « une vie dyadique, humaine et divine ; c’est-à-dire qu’elle était complètement déifiée, car en son être hypostatique se manifestait la révélation vivante et créatrice du Saint-Esprit » (Archiprêtre Sergei Boulgakov, Le Buisson ardent, 1927, p. 154). « Elle est une manifestation parfaite de la Troisième Hypostase » (Ibid., P. 175), « une créature, mais non plus une créature » (P. 191). Cet effort vers la déification de la Mère de Dieu est observé principalement en Occident, où en même temps, à l’opposé, diverses sectes à caractère protestant connaissent un grand succès, ainsi que les principales branches du protestantisme, le luthéranisme et le calvinisme, qui en général nient la vénération de la Mère de Dieu et son recours dans la prière.
Mais nous pouvons dire avec les paroles de saint Épiphane, évêque de Salamine, à Chypre [† 12 mai 403] : « Ces deux hérésies font un égal dommage : les uns en dépréciant la Sainte Vierge ; les autres en l’honorant au-delà de la mesure à garder » (Panarion, 79, 1, 5, Contre les Collyridiens). Ce Saint-Père accuse ceux qui lui rendent un culte presque divin : « Que Marie soit honorée, mais que l’adoration soit rendue au Seigneur » (même source). « Bien que Marie soit un récipient choisi, elle était néanmoins une femme par nature et ne se distinguait pas des autres. Bien que l’histoire de Marie et la Tradition racontent qu’il a été dit à son père Joachim dans le désert : ‹ Ta femme a conçu ›, cela s’est fait non sans union conjugale et non sans semence de l’homme » (même source). « On ne doit pas vénérer les saints au-dessus de ce qui est convenable, mais on doit vénérer leur Maître. Marie n’est pas Dieu, et n’a pas reçu un corps du ciel, mais de l’union d’un homme et d’une femme ; et selon la promesse, comme Isaac, elle était prête à participer à l’Économie Divine. Mais, d’un autre côté, que personne n’ose offenser bêtement la Sainte Vierge » (Saint Épiphane, Contre les Antidikomarionites).
L’Église orthodoxe, exaltant superbement la Mère de Dieu dans ses hymnes de louange, n’ose pas lui attribuer ce qui ne lui a pas été communiqué par la Sainte Écriture ou la Tradition. « La vérité est étrangère à toutes les exagérations ainsi qu’à tous les euphémismes. Elle donne à tout sa mesure et sa place appropriées » (Mgr Ignace Brianchaninov). Glorifiant la pureté de la Vierge Marie et son courage viril dans les peines de sa vie terrestre, les Pères de l’Église, rejettent cependant l’idée qu’Elle eût été Médiatrice entre Dieu et les hommes, et que Dieu et elle auraient de concert accompli la rédemption de la race humaine. Au sujet de sa disposition à mourir avec son Fils et à souffrir avec Lui pour le salut de tous, le célèbre Père de l’Église d’Occident, saint Ambroise, évêque de Milan [† 4 avril 397 | 7 décembre], ajoute : « Mais la Passion du Christ n’avait pas besoin d’auxiliaire ; le Seigneur lui-même l’avait prédit longtemps à l’avance : ‹ Et je regardais, et pas d’auxiliaire ; j’attendais et personne pour me soutenir ; je les délivrerai par mon seul bras › » (Saint Ambroise, « Éloge de Notre Dame et de la virginité », 49).
Ce même Saint-Père enseigne sur l’universalité du péché originel, dont le Christ seul est une exception. « Le seul, en effet, des enfants de la femme qui soit parfaitement saint, c’est le Seigneur Jésus, à qui toute atteinte de la corruption terrestre a été épargnée par la nouveauté de son enfantement sans tache » (Saint Ambroise de Milan, Traité sur l’Évangile de saint Luc, livre II. Paris, Cerf, 1971, p. 98). « Personne n’est sans péché, si ce n’est Dieu. Il reste donc établi que quiconque naît de l’homme et de la femme, c’est-à-dire du mélange des corps, ne saurait être sans péché. Quiconque est sans péché, est resté étranger à ce mode de conception » (saint Ambroise dans Augustin, Du mariage et de la conception, ch. XXXV). « Un homme seulement, le Médiateur entre Dieu et l’homme, est libre des liens de la naissance pécheresse, parce qu’il est né d’une Vierge, et parce qu’à sa naissance, il n’a pas connu l’attaque du péché » (Saint Augustin, Contre Julien, Livre 2).
Cet autre célèbre docteur de l’Église, vénéré particulièrement en Occident, le bienheureux Augustin [† 28 août 427], écrit :
« Sauf donc celui-là qui est la pierre angulaire, je ne vois pas com. ment les hommes peuvent devenir le temple de Dieu sans avoir été régénérés, et pour cela d’abord il faut naître. C’est pourquoi, quelque opinion que nous ayons sur l’état de l’homme encore enfermé dans te sein maternel, que nous le croyons capable ou incapable de quelque degré de sanctification, soit à cause, de saint Jean qui, avant de voir le jour, tressaillit de joie (ce qui n’a pu se faire assurément sans l’opération du Saint-Esprit) ; soit à cause de Jérémie ‹ sanctifié avant de sortir du sein de sa mère, › selon les paroles que le Seigneur lui adresse (Jérémie I.5), toujours est-il que cette sanctification par laquelle chacun de nous est le temple de Dieu, et par laquelle nous formons tous ensemble le temple de Dieu, ne saurait être que le partage des régénérés. Car la naissance précède nécessairement la régénération. […] Ainsi ce sont les hommes qui sont nés qui peuvent s’unir au corps du Christ comme pour entrer dans la construction vivante du temple de Dieu qui est son Église » (Bienheureux Augustin, Lettre CLXXXVII, 31-33).
Les paroles que nous venons de citer, provenant des anciens docteurs de l’Église, témoignent qu’en Occident même l’enseignement actuel fut rejeté auparavant. Même après la chute de l’Église d’Occident, Bernard, reconnu comme une grande autorité dans le monde latin, a écrit :
« Aussi ne puis-je assez m’étonner qu’il se soit rencontré parmi vous, de nos jours, des chanoines qui veuillent flétrir l’antique éclat de votre Église, en introduisant une fête nouvelle dont l’Église n’a pas encore entendu parler, que d’ailleurs la raison désapprouve, et qui ne s’appuie sur aucune tradition dans l’antiquité. Avons-nous la prétention d’être plus pieux et plus savants que les Pères de l’Église ?
La mère de Dieu, me direz-vous, mérite de grands honneurs. J’en conviens avec vous ; mais il faut que ces honneurs soient fondés sur la raison ; la Vierge-Reine a tant de titres irrécusables à nos respects, elle est élevée si haut en dignité, qu’elle n’a pas besoin qu’on lui prête de faux titres à notre vénération. Honorez la pureté de son corps, la sainteté de sa vie, sa virginité féconde, et le fruit divin de ses entrailles, à la bonne heure ! Publiez par quel prodige elle mit au monde sans douleur le fils qu’elle a conçu sans concupiscence.
Mais ce n’est point assez comme cela : il faut maintenant surenchérir sur ces privilèges, et l’on prétend qu’il y a lieu de rendre à la conception de Marie les mêmes honneurs qu’à sa naissance, attendu que ra l’une ne va pas sans l’autre, et qu’elle ne serait pas digne de nos respects dans sa naissance si d’abord elle n’avait été conçue. Avec un pareil raisonnement, pourquoi s’arrêter à Marie et ne pas instituer un jour de fête en l’honneur de son père et de sa mère, puis de ses aïeuls, et ainsi de suite pour tous ses ascendants à l’infini ?
Or on ne saurait dire qu’il n’y a pas eu péché dans un acte auquel la concupiscence a présidé (a). Dira-t-on par hasard qu’elle a été, elle aussi, conçue du Saint-Esprit, sans le concours de l’homme ? Mais jamais on ne l’a prétendu. Je lis bien dans l’Écriture que le Saint-Esprit est venu en elle, je n’y vois nulle part qu’il soit venu avec elle. Voici continent s’exprimait l’ange Gabriel : ‹ Le Saint-Esprit surviendra en vous….. (Luc., I, 35). ›
Concluons : si Marie n’a pu être sanctifiée avant d’être conçue, puisqu’elle n’existait pas encore, il n’est pas moins certain qu’elle ne l’a pas été non plus au moment même de sa conception, puisque la conception est inséparable du péché ; d’où il suit qu’elle n’a pu être sanctifiée dans le ventre de sa mère, qu’après avoir été conçue, en sorte que si elle est née, elle n’a point été conçue sans péché.
S’il en est peu qui aient été sanctifiés avant leur naissance, il n’y a personne qui l’ait été dans sa conception. Ce privilège n’a été le propre que d’un seul parmi nous, de Celui qui devait nous sanctifier tous et expier nos péchés ; il n’y a que Lui qui soit venu sans pêché ; Jésus-Christ seul a été conçu du Saint-Esprit, parce qu’il n’y a que Lui qui fût saint avant d’être conçu. A cette exception près, tous les enfants d’Adam sont dans le même cas que celui qui disait de lui-même avec autant de vérité que d’humilité : ‹ J’ai été conçu dans l’iniquité, et c’est dans le péché que ma mère m’a donné l’être › (Psalm. L, 6).
Comment présenter [sa conception] comme sainte, quand, au lieu d’être l’œuvre du Saint-Esprit, elle n’a peut-être été que le fruit du péché ? […] Croyez que notre glorieuse Vierge se passera bien d’un honneur qui ne peut échapper à cette alternative de s’adresser, en elle, au péché, ou de lui supposer une sainteté qu’elle n’a point connue. Ajoutons qu’elle ne salirait à quelque titre que ce fût goûter un culte qui n’est introduit dans l’Eglise que par un esprit de présomption et de nouveauté, fécond en entreprises téméraires, aussi voisin de la superstition que de la légèreté. » (Bernard, Épître CLXXIV. Aux chanoines de Lyon, sur la conception de la Sainte Vierge, 1-2, 6-9).
Les paroles citées ci-dessus révèlent clairement à la fois la nouveauté et l’absurdité du nouveau dogme de l’Église romaine.
L’enseignement de l’impeccabilité (incapacité totale de pécher) de la Mère de Dieu
[1] est contraire à la Sainte Écriture, où il est à plusieurs reprises mentionné l’absence de péché du seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ (I Tim. II. 5) ; et qu’il n’y a point de péché en Lui (I Jean III. 5) ; Lui qui n’a pas commis de péché, et dans la bouche duquel ne s’est pas trouvée de fraude (I Pet II. 22) ; Il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre le péché. (Hébr IV.15) ; Celui qui ne connaissait point le péché, Il L’a fait péché pour nous (II Cor. V. 21). Mais, concernant le reste des hommes, il est dit : Qui est sans souillure ? Pas même celui dont la vie sur terre n’a duré qu’un seul jour (Job XIV. 4-5). Mais Dieu fait éclater Son amour pour nous en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, au temps marqué le Christ est mort pour nous […]. En effet, si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de Son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par Sa vie. (Rom. V. 8-10).
[2] Cet enseignement contredit également la Sainte Tradition car de nombreux écrits patristiques mentionnent la sainteté de la Vierge Marie depuis sa naissance même, ainsi que sa purification par le Saint-Esprit lors de sa conception du Christ, mais pas à sa propre conception par Anna. « Nul n’est sans souillure devant Toi, quand même sa vie ne serait que d’un jour ; Toi seul es apparu sans péché sur la terre, Toi notre Seigneur Jésus Christ, par qui nous espérons obtenir pitié et pardon de nos péchés » (Saint Basile le Grand, troisième prière des vêpres de Pentecôte). « Mais lorsque le Christ est né d’une mère pure, vierge, inépousée, craignant Dieu et sans souillure, sans époux et sans père, comme il convenait à sa naissance, Il purifia la nature féminine, effaça l’amertume d’Eve et renversa les lois de la chair » (Saint Grégoire le Théologien, Éloge de la virginité). Cependant, même dans ces conditions, comme Sts. Basile le Grand et Jean Chrysostome l’expliquent, elle n’a pas été placée dans l’état de ne pas pouvoir pécher, et elle a continué à œuvrer à son salut et a surmonté toutes les tentations
(Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l’Évangile de Jean, Homélie 85 — St. Basile le Grand, épître 160).
[3] L’enseignement que la Mère de Dieu a été purifiée avant sa naissance, afin que d’elle puisse naître le Christ sans-tâche, n’a pas de sens ; car si le Christ sans-tâche ne pouvait naître que si la Vierge était née pure en premier lieu, il faudrait que ses parents également soient exempts du péché originel, et ainsi pour le reste de son ascendance, pour finalement arriver à la conclusion que Christ ne pourrait s’être incarné à moins que tous ses ancêtres dans la chair, jusqu’à Adam inclus, aient été préalablement exempts du péché originel. Mais alors il n’y aurait eu aucun besoin de l’Incarnation même du Christ, puisque Christ est descendu sur terre pour anéantir le péché.
[4] L’enseignement que la Mère de Dieu a été préservée du péché originel, de même que l’enseignement qu’elle a été préservée par la grâce de Dieu des péchés personnels, rendent Dieu impitoyable et injuste ; parce que si Dieu pouvait préserver Marie du péché et la purifier avant sa naissance, alors pourquoi ne purifie-t-il pas les autres hommes avant leur naissance, mais les abandonne-t-il plutôt dans le péché ? Il s’ensuit que Dieu sauve les hommes indépendamment de leur volonté, en prédéterminant certains d’entre eux avant leur naissance pour le salut.
[5] Cet enseignement, qui apparemment tend à exalter la Mère de Dieu, nie en réalité toutes ses vertus. Après tout, si Marie, même dans le sein de sa mère, alors qu’elle ne pouvait même pas désirer quoi que ce soit de bien ou de mal, était préservée par la grâce de Dieu de toute impureté, et qui, par la suite, par cette même grâce fut préservée du péché même après sa naissance, alors en quoi consiste son mérite ? Si elle avait pu être placée dans l’état où elle était incapable de pécher et n’a pas péché, alors pourquoi Dieu l’a-t-il glorifiée ? Si Elle, sans aucun effort, et sans aucune tendance vers le péché, restait pure, alors pourquoi est-elle couronnée plus que tout le monde ? Il n’y a pas de victoire sans adversaire.
La vertu et la sainteté de la Vierge Marie se sont manifestées dans le fait qu’Elle, tout en partageant notre nature et nos passions, a tant aimé Dieu qu’elle lui a fait entièrement don d’elle-même, et par sa pureté elle a été élevée au-dessus du reste de la race humaine. Pour cela, Elle fut choisie d’avance et Elle fut purifiée par le Saint-Esprit descendu sur elle, et conçut de lui le Sauveur même du monde. L’enseignement de l’absence du péché due à la grâce divine nie sa victoire sur les tentations ; d’un vainqueur digne de recevoir les couronnes de la gloire, elle devient un instrument aveugle de la Providence de Dieu.
Le « don » offert par le pape Pie IX et tous les autres qui pensent pouvoir glorifier la Mère de Dieu en cherchant de nouvelles vérités n’est pas une exaltation et une gloire encore plus grande, mais tout au contraire, un abaissement. La Très Sainte Marie a été tellement glorifiée par Dieu lui-même, sa vie sur terre et sa gloire au ciel sont si exaltées, que les inventions humaines ne peuvent rien ajouter à son honneur et à sa gloire. Ce que les gens inventent eux-mêmes ne fait qu’obscurcir Son visage à leurs yeux. Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie et une vaine tromperie, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ (Col. II. 8), nous a averti l’apôtre Paul inspiré par le Saint Esprit.
Une telle « vaine tromperie » est l’enseignement de l’Immaculée Conception par Anna de la Vierge Marie, qui à première vue l’exalte, mais en fait l’abaisse. Comme tout mensonge, c’est une semence du « père du mensonge » (Jean VIII. 44), le diable, qui a réussi ainsi à tromper beaucoup de gens qui ne comprennent pas qu’ils blasphèment la Vierge Marie. De la même façon, nous devons aussi rejeter tous les autres enseignements qui en sont issus ou qui lui sont apparentés. L’effort pour exalter la Très Sainte Vierge au même niveau que le Christ, attribuant à ses souffrances maternelles au pied de la Croix une signification égale aux souffrances du Christ, de sorte que le Rédempteur et la « Co-Rédemptrice » souffrent à égalité, selon l’enseignement des papistes, ou que « la nature humaine de la Mère de Dieu dans les cieux, ainsi que le Dieu-Homme Jésus révèlent conjointement la pleine image de l’homme » (Archiprêtre S. Boulgakov, Le Buisson ardent, p. 141) — est également une vaine tromperie et une séduction de la philosophie. En Christ Jésus, il n’y a ni homme ni femme (Gal. 3 h 28), et Christ a racheté toute la race humaine ; c’est pourquoi, lors de sa résurrection, « Adam a dansé de joie, et tout autant qu’Eve, il s’est réjoui » (Kondak des dimanches des 1er et 3ème tons), et par son ascension le Seigneur a élevé toute la nature humaine.
Ainsi donc, que la Mère de Dieu soit un « complément de la Sainte Trinité » ou une « quatrième hypostase » ; que « le Fils et la Mère soient une révélation du Père à travers les Deuxième et Troisième Hypostases » ; que la Vierge Marie soit « une créature, mais qui en même temps, n’en est plus une » — tout cela est le fruit d’une sagesse vaine et fausse qui ne se contente pas de ce que l’Église nous a transmis depuis le temps des Apôtres, mais s’efforce de glorifier la Saint Vierge plus que Dieu ne l’a glorifiée.
Ainsi s’accomplissent les paroles de saint Épiphane de Chypre : « Certains insensés, qui professent de fausses opinions sur la Toute Sainte, veulent à tout prix la mettre à la place de Dieu » (saint Épiphane, Contre les Antidikomarionites). Mais ce qui est offert à la Vierge de manière absurde, au lieu de la louer, s’avère être un blasphème ; et la Toute-Sainte rejette le mensonge, car Elle est Mère de la Vérité (Jean XIV. 6).
Saint Jean Maximovitch [†1966]
The Orthodox Word, 1977, vol. 13, no. 2 (73), p. 68-73 / vol. 13, no.4 (75), p.169-174
Pas de commentaire