Il advint que par une nuit noire de septembre je revenais à pied d’une mission lointaine. Le sentier passait par la forêt, mais je perdis mon chemin.
J’allai donc à l’aveuglette, fouetté par les hautes fougères, trébuchant sur les arbres morts et les abattis. Il n’y avait aucun sentier, et je n’espérais plus en trouver avant l’aube, quand soudain scintilla comme une lueur : je me dirigeai vers elle sans vraiment croire que ce pût être la lumière d’une habitation. La lueur était faible et disparaissait sans cesse, cachée par les branches des sapins. Ce n’est qu’en m’approchant tout près que je compris : la lueur venait de la minuscule fenêtre d’une hutte restée quasi invisible dans l’obscurité.
Je regardai : devant moi brillait une veilleuse et les éclaboussures de sa lumière tombaient sur la face sombre d’une antique icône. Au-dessous je vis un lutrin que rien ne recouvrait et, posé sur lui, un livre ouvert. C’était tout, mais en regardant plus attentivement j’aperçus la silhouette penchée devant le lutrin d’un moine agenouillé et à côté de lui, sur le banc, les contours d’un cercueil sans couvercle. J’étais donc à l’entrée de l’ermitage du dernier moine de la stricte observance de la sainte et indestructible Russie.
Je n’osai pas entrer. Pouvais-je troubler par mon besoin d’être hébergé l’humble et formidable paix de ce moine adonné au silence et engagé dans un dialogue avec Dieu ? Je restai à la fenêtre jusqu’à l’aube, incapable de m’éloigner, de quitter la lumière de la Veilleuse incandescente brûlant devant la Face du Sauveur.
Je pensais… non, je croyais, je savais que tant que brillerait l’Incandescente, tant que serait éclairé par un seul de ses pâles rayons la Face du Rédempteur, l’esprit de la Russie survivrait, de cette Russie pécheresse, égarée, fétide, sanglante…, de cette Russie transfigurée de Kitèje lavée par le sang, baptisée dans le sang, repentante, pardonnée, et qui avance vers la Résurrection.
Boris Chiriaev, La Veilleuse des Solovki, p.100, Éditions des Syrtes, Paris, 2005
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