Histoire, Orthodoxie

Homélie sur la Mère de Dieu et l’incarnation du Fils

30 janvier 2020

Saint Proclus, Archevêque de Constantinople

Les oeuvres de S. Clement d’Alexandrie, traduites du grec, avec les opuscules de plusieurs autres pères grecs, par Nicolas Fontaine, 1696 – p.316-324
Adaptation: Albocicade (2013)

 

Homélie (1, p 316 ; PG 65. 679) prononcée pour «une fête de la Vierge» dans la période de Noël (peut-être le dimanche précédant la Nativité du Sauveur) avant 431, en la présence de l’archevêque Nestorius.
Celui-ci, après l’homélie, prit la parole pour recommander la modération dans les louanges accordées à Marie, sans toutefois critiquer directement le terme de «Théotokos» (Mère de Dieu) employé par deux fois . Elle a été insérée, avec quelques remaniements, dans les Actes du Concile d’Ephèse. En ce qui concerne la date, les propositions oscillent entre 428 et 430.

La fête que nous célébrons à l’honneur de la sainte Vierge nous doit exciter, mes frères à chanter ses louanges.
En nous acquittant d’un devoir si saint, nous en retirerons de grands avantages parce que cette fête est comme le triomphe de la chasteté et le plus haut degré de la gloire féminine en nous faisant voir une femme qui a conserve sa virginité avec la maternité. Cet assemblage est aimable et merveilleux : il semble que la terre et la mer y prennent part et qu’ils en soient touchés. La mer calme ses ondes et aplanit sa surface pour la commodité de ceux qui naviguent, les fleurs dont la terre est couverte adoucissent les ennuis et la peine des voyageurs.

Que la nature se réjouisse, que tout le genre humain témoigne la joie qu’il ressent. Que les hommes prennent part à une fête qui fait tant d’honneur aux femmes, et qui comble de gloire les Vierges ; car Dieu a répandu une surabondance de grâce où il y a eu une abondance de péché. [Rom 5.20]

 

Icône syriaque de la Dormition de la Mère de Dieu

La sainte Vierge Mère de Dieu, nous rassemble tous aujourd’hui.
Ce trésor de virginité qui a toujours été exempt de toute souillure, ce Paradis mystique du second Adam, ce centre où les deux Natures se sont unies, ce lit nuptial où le Verbe a épousé la chair, ce buisson vivant et animé qui n’a pas été consumé par le feu : c’est cette nuée légère qui a porté Celui qui est assis sur la tête des Chérubins, c’est Marie qui est servante et mère tout ensemble, qui est comme un pont de communication entre Dieu et les hommes.
Elle est, si l’on peut parler de la sorte, le métier où l’on a fabriqué d’une manière ineffable le tissu de cette union merveilleuse : le Saint Esprit en a été l’ouvrier par la vertu du Très-Haut qui l’a couverte de son ombre, la chair pure et sans tache tirée du chaste sein de Marie a été la matière de l’ouvrage, enfin le Verbe y a donné la dernière main.

 

Qui a jamais entendu parler que Dieu se soit renfermé dans les bornes étroites du sein d’une femme et que celui qui comprend tout par son immensité ait pu se réduite dans un si petit espace ? Dieu est né d’une Vierge ; ce n’est pas simplement un homme.
La femme qui avait été au commencement du monde la porte du péché, est devenue par cette naissance la porte du salut. Si le serpent à répandu son poison sur tout le genre humain par la désobéissance de l’homme ; le Verbe par son obéissance en a fait un temple de sainteté. De la même tige d’où était sorti Caïn, qui a été le premier des pécheurs, Jésus-Christ notre Rédempteur en est sorti, sans le ministère d’aucun homme.

Dieu, dont la miséricorde est infinie, n’a pas rougi de naître d’une femme : il ne s’est pas cru déshonoré pour se renfermer dans le sein d’une Vierge à qui il avait lui-même donné la vie. Si Marie n’est pas demeurée vierge après son enfantement, celui qu’elle a mis au monde n’est qu’un homme ordinaire et il n’y a rien de merveilleux dans cette Nativité. Mais si elle a conservé sa virginité avec la maternité, il faut conclure que l’enfant qu’elle a porté dans son sein est Dieu, et ce Mystère est ineffable. Il n’a pas été infecté en naissant de la tache du péché : il est entré sans obstacle dans une maison dont les portes étaient fermées. Saint Thomas, voyant ce miracle qui était une preuve de l’union des deux Natures, s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » [Jn 20,28]

Ne rougis pas, ô homme, de cette Nativité qui a été l’origine et la cause de notre salut. Si Jésus-Christ n’eût pris naissance dans le sein d’une femme, il n’eût pu souffrir la mort pour nous racheter, et s’il n’eût exposé son corps à la mort, il n’eût pas vaincu en mourant celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le démon.
Un architecte n’est pas déshonoré d’habiter la maison qu’il a lui-même bâtie ; un potier ne fait pas difficulté de manier l’argile pour réformer un vase qu’il a fait ; ainsi Dieu qui est très pur n’a rien perdu de sa pureté pour être sorti du sein d’une vierge, puisqu’il n’avait contracté aucune tache. En le faisant, il a pu y passer sans aucune flétrissure.

O ventre qui a été comme le sceau de la liberté du genre humain, et l’arsenal où l’on a construit des armes pour détruire l’empire de la mort !

O champ fertile, où le Maître de la nature a fait naître un Epi sans l’avoir ensemencé auparavant !

O Temple dont Dieu même est devenu le Prêtre, sans changer l’ordre de la nature humaine, mais en se l’unissant par sa miséricorde !

Le Verbe a été fait chair [Jn 1.14] quoique les Juifs ne le croient pas sur la parole de Dieu ; il s’est revêtu de la forme d’un homme quoique les païens traitent ce miracle de fable. C’est pour cela que Saint Paul s’écriait « Et pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale aux Juifs et une folie aux païens » [1 Cor 1.23]. Ils n’ont pas connu la force de ce Mystère, parce que ce miracle surpasse les forces de l’intelligence humaine  « s’ils l’avaient connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur et le Roi de gloire ». [1 Cor 2.8]

Si le Verbe n’était pas descendu dans le sein de Marie, la chair humaine n’aurait pas été assise sur un trône de gloire.
Si ç’avait été une honte pour Dieu de se renfermer dans le sein d’une vierge qu’il avait lui-même formée, il aurait aussi été déshonoré en servant les hommes.
S’il y avait eu de l’infamie attachée à ce ministère, il ne se serait pas fait pauvre pour nous, de riche qu’il était. Il était impassible par nature, mais il s’est exposé aux souffrances par un excès de sa miséricorde.

Jésus-Christ n’a pas été changé en Dieu – loin de nous de penser cela -, mais Dieu touché de compassion s’est fait homme pour nous racheter, comme la foi nous l’enseigne.

Nous ne prêchons pas un homme déifié ; mais nous croyons un Dieu incarné.

Il a élevé sa servante à la dignité de Mère, quoique par sa Nature il n’en ait pas, de même qu’il n’a pas de père selon la chair. Car autrement comment l’Apôtre aurait-il pu dire qu’il est sans père, sans mère, sans, généalogie ? [Heb 7.3] Sil est un homme comme les autres, il faut qu’il ait une mère ; s’il est purement Dieu, il ne peut être sans père ; mais le même Jésus-Christ est sens mère, en tant que Créateur, il est sans père en tant que créature. Prenez garde aux termes dont se servit l’archange Gabriel, quand il fit son ambassade. Gabriel : son étymologie signifie Dieu et Homme, parce que celui dont il annonçait l’avènement était Dieu et Homme tout ensemble. Pour rendre plus facile la créance de ce miracle, il a voulu y préparer les esprits par l’étymologie du nom qu’il portait. Apprenez d’abord les motifs et l’économie de l’avènement du Fils de Dieu, et donnez à celui qui s’est fait Homme, les louanges qu’il mérite.

Le genre humain avait contracté par le péché une dette considérable, il était hors de son pouvoir de s’en acquitter. Tous les hommes avaient souscrit à la désobéissance d’Adam, nous étions tous sous la servitude du démon : il faisait voir dans les passions auxquelles notre corps est assujetti les titres de notre servitude ; il nous mettait devant les yeux, en faisant le dénombrement de nos vices, la dette dont nous sommes redevables et il demandait qu’on nous punît comme nous le méritions, et il réclamait notre supplice. Il fallait absolument encourir la mort et la damnation éternelle, puisque tous les hommes étaient pécheurs, ou payer un prix qui pût égaler la dette. L’homme qui était le débiteur, et qui avait péché, ne pouvait se racheter lui-même ; l’ange n’était pas en état de réparer les maux du genre humain parce qu’il ne pouvait rien donner qui fût capable de payer la dette.

Il n’y avait donc pas d’autre ressource, sinon que Dieu qui est impeccable de sa nature s’exposât à la mort pour racheter le genre humain : c’était là l’unique remède à nos maux.

Celui qui avait tiré du néant la masse du genre humain, et dont le pouvoir est sans bornes, a trouvé un remède excellent pour racheter ceux qui avaient été condamnés à la mort ; il s’est fait Homme dans le sein d’une vierge, par un prodige qui n’était connu que de lui seul. Il n’y a pas de termes qui puissent expliquer ce miracle. Ce qui a été créé meurt ; celui qui Etait paye le prix de la rançon, selon cette parole de saint Paul : Dans lequel nous trouvons la rédemption qu’il nous a acquise par son Sang, la rémission de nos péchés, selon les richesses de sa grâce. [Eph 1.7]

Quel prodige, quel effet surprenant ! Il procure l’immortalité aux hommes, parce qu’il était lui-même immortel. On n’avait encore rien vu de semblable dans les siècles passés : on ne le verra plus dans les siècles à venir : cela n’est arrivé qu’à cet Homme Dieu qui est né d’une vierge. Il n’a pas eu seulement la vertu de racheter tout le genre humain ; la rançon qu’il a payée est d’un plus grand prix que la dette.

En qualité de Fils il participe à la nature du Père et c’est un privilège qu’on ne peut lui ôter ; en tant que Créateur son pouvoir est sans bornes et il a toutes les vertus nécessaires à son ministère. Si on le regarde du côté de sa miséricorde, elle est inépuisable et infinie. En tant que Prêtre, il prie éternellement pour nous : on n’a jamais vu en qui que ce soit un assemblage, si parfait de tant de vertus, et de tant de rares qualités. Réfléchissez à la bonté infinie qu’il a pour les hommes : il s’est livré volontairement à la mort pour en affranchir ceux mêmes qui le crucifiaient, il a fait de l’impiété de ses meurtriers l’occasion de leur salut. Le pouvoir de sauver et de délivrer de la mort dépasse la capacité d’un homme ordinaire qui a besoin lui-même de Sauveur, selon cette maxime de l’Apôtre : Parce que tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu. [Rom 3.23]

Puisque le crime place le pécheur sous la servitude du démon, le démon était en droit de le précipiter à la mort ; ainsi notre salut était dans un extrême danger et nous n’avions plus aucune espérance de nous délivrer de l’empire de la mort. Ceux mêmes qu’on avait destinés pour nous retirer de ce malheur avouent que nos affaires étaient désespérées. Les Prophètes disaient tout haut que nos maux surpassaient la puissance des remèdes, et ils imploraient à grands cris le secours du médecin céleste. L’un disait « Seigneur, abaisse les Cieux, et descend vers nous ». L’autre, « Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri ; fais paraître ta puissance et viens pour nous sauver ! » . « Dieu a véritablement habité parmi les hommes », s’écriait Jérémie. « Mets en oubli, disait David, nos iniquités passées ; que tes miséricordes se hâtent de nous prévenir, parce que nous sommes réduits à une extrême misère. Hélas on ne trouve plus de gens de bien sur la terre ! Il n’y a plus personne dans le monde qui mène une vie vertueuse. O Dieu, secours-moi promptement, hâte-toi de venir à mon aide ».  « Celui qui doit venir, viendra dans peu, et ne tardera pas », disait le Prophète Habacuc,  « je me suis égaré comme une brebis qui s’est écartée du troupeau. Ramène à son devoir un serviteur qui conserve dans son cœur le souvenir de ta Loi. Notre Dieu viendra visiblement, il est notre Dieu, et il ne demeurera pas dans le silence.»

Celui qui est Roi par sa nature n’a pas méprisé le genre humain qui gémissait depuis longtemps sous une dure servitude, il n’a pas permis qu’il demeurât toujours oppressé sous l’esclavage du démon. Celui dont l’immensité remplit toutes choses a paru sur la terre, il a répandu son Sang pour nous racheter, il a livré à la mort cette chair qu’il avait prise dans le sein d’une Vierge, et il l’a sacrifiée comme le prix de notre Rédemption : il a délivré le monde de la malédiction de la Loi en détruisant par sa mort l’empire de la mort. C’est ce que dit Saint Paul en termes exprès : Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, s’étant rendu lui-même malédiction pour nous, selon qu’il est écrit, maudit est celui qui est pendu au bois. [Gal 3.13]

Il faut conclure que celui qui nous a rachetés de la sorte n’est pas simplement un homme, puisque toute la nature humaine était opprimée sous le joug du péché. Il n’est pas non plus simplement Dieu sans être homme, puisqu’il avait un corps ; car s’il n’eût pas été revêtu d’un corps humain, il n’aurait pu être mon Rédempteur : il a pris dans le sein de sa Mère la forme d’un coupable et il s’y est fait un changement prodigieux ; il en a reçu de la chair et il lui a communiqué le Saint Esprit qui a opéré ce Mystère.

Si Jésus-Christ est différent du Verbe, il n’y a plus de Trinité, c’est une Quaternité. Ne détruisez pas le Mystère de l’Incarnation, qui est un ouvrage du Ciel, ne vous mettez pas au rang des disciples d’Arius qui divise d’une manière impie la substance de la Divinité, ne divisez pas des choses qui sont unies si étroitement de peur que vous ne soyez séparé de Dieu.

Qui est celui qui a éclairé ceux qui étaient dans les ombres et les ténèbres de la mort ? Est-ce un homme simplement ? Mais comment aurait-il pu le faire, puisqu’il était lui-même dans les ténèbres, selon ce que dit l’Apôtre : « il nous a retirés de la puissance des ténèbres, car vous n’étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en notre Seigneur » [Eph 5.3]. Qui est celui qui nous a fait voir la lumière ? David vous l’apprend : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Parle-nous plus clairement, saint prophète, élève ta voix comme le son d’une trompette. Le Seigneur est le Dieu dont la lumière a brillé pour nous éclairer. Le Verbe a fait chair. [Ps 17.27] Les deux natures ont été réunies, sans que cette union les ait confondues ; il est venu au monde pour nous sauver, mais il a fallu qu’il souffre la mort pour achever son ouvrage. S’il n’avait été qu’un homme ordinaire, il n’aurait pu nous racheter ; s’il avait été Dieu sans être homme, il n’aurait pu souffrir la mort. Il était Dieu, et il s’est fait homme ; il a eu la puissance de nous racheter à cause de sa Divinité, il a pu souffrir à cause de son Humanité.

L’Eglise voyant que la Synagogue l’avait couronné d’épines, s’écriait en gémissant : « Sortez, filles de Jérusalem, pour voir la couronne que sa mère lui a mise sur la tête ». [Cant 3.1] Mais ces épines ont affranchi la terre de la malédiction qui la condamnait à ne porter que des ronces et des épines.

Il est tout ensemble dans le sein de son Père, et dans le sein de sa mère :elle le porte entre ses bras, et il marche sur la tête des vents.
Les anges l’adoraient dans le Ciel, et il mangeait sur la terre à la table des publicains. Celui que les Séraphins ne regardaient qu’en tremblant a été soumis à l’examen de Pilate ; des valets insolents lui ont donné des gifles, les hommes l’accablèrent d’injures et d’opprobres, ils l’ont attaché à la Croix sans qu’il descendit pour cela du Trône de sa gloire ; il était dans un tombeau, mais le Ciel ressentait les effets de son pouvoir ; alors qu’on le disait mort, il arrachait à l’enfer sa proie. On le calomniait et on le traitait de séducteur, mais dans le Ciel on le regardait comme le plus saint de tous les hommes.

O Mystère ineffable !
Je vois des miracles, et je conclus que celui qui les opère est Dieu ; je vois la Passion, et je conclus qu’il est homme puisqu’il souffre.
II a ouvert les portes de la nature en tant qu’homme, mais sans que la virginité de sa Mère en souffrit aucune atteinte parce qu’il était Dieu. Il sortit du sein de sa Mère de la même manière qu’il y entra : il est né comme il a été conçu.
Il y est entré sans violence et sans souffrir ; il en est sorti sans corruption, selon cette parole du prophète Ezéchiel :

« Le Seigneur m’a fait regarder vers la porte du Sanctuaire extérieur, qui était tournée du coté de l’Orient : cette porte était fermée. Et le Seigneur m’a dit : Fils de l’homme, cette porte sera fermée, et on ne l’ouvrira pas : personne n’y passera. Seul le Dieu d’Israël aura ce privilège : il y entrera et il en sortira, et la porte sera toujours fermée ».

Tout ce passage regarde la sainte vierge Mère de Dieu.

Finissons donc nos disputes, et laissons-nous éclairer des lumières de l’Ecriture, afin que nous puissions mériter le Royaume du Ciel, par la grâce de Jésus-Christ, à qui la gloire soit rendue dans les siècles des siècles. Amen.

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