Saint Jean Chrysostome sur la Justice de Dieu
Œuvres complètes, Tome X, p.389-392, Traduction par M. Portelette, Arras, 1887
Il en sera de même pour vous, quand vous aurez causé la perte des autres, vous subirez des châtiments plus rigoureux que ceux dont vous aurez provoqué la chute. Car ce n’est pas tant le péché qui perd, que le scandale qui précipite les autres dans les péchés. Aussi l’apôtre dit-il: «Non-seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font» (Rom. 1,32)
Aussi, quand nous voyons des pécheurs, non-seulement gardons-nous de les précipiter dans le gouffre, mais sachons encore les retirer de l’abîme d’iniquité; ne nous exposons pas à porter nous-mêmes les peines de la perdition d’autrui; rappelons-nous sans cesse le tribunal terrible, le fleuve de feu, les liens qu’il est impossible de briser, les ténèbres où il n’y a plus une étincelle de lumière, le grincement de dents, le ver empoisonneur.
Mais, direz-vous, Dieu est bon. Ainsi nous ne faisons en réalité que des phrases, et ce riche n’est pas châtié de ses froids mépris pour Lazare? et ces vierges folles ne sont pas chassées de la chambre de l’époux? et ceux qui ont refusé de nourrir Jésus-Christ, ne s’en vont pas dans le feu préparé pour le démon et pour ses anges? et celui qui était revêtu de vêtements souillés ne sera pas, pieds et poings liés, livré à la mort? et celui qui a exigé les cent deniers, n’a pas été livré aux bourreaux? et il n’y a pas de vérité dans cette parole prononcée contre les adultères: «Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point?» (Marc, 9,43)
Ce ne sont là que des paroles de menaces? Oui, direz-vous. Et comment, je vous en prie, osez-vous proférer un tel blasphème; décider ainsi par vous-même? Je puis, moi, et par ce qu’a dit le Christ, et par ce qu’il a fait, vous démontrer le contraire. Si vous ne croyez pas aux châtiments à venir, croyez du moins aux faits accomplis; les faits accomplis, les faits qui ont paru dans leur réalité, sont plus que des menaces et des phrases. Qui donc a englouti toute la terre, du temps de Noé, qui donc a opéré ce sinistre naufrage et toute la destruction de notre race? Qui donc ensuite a envoyé ces foudres et ces incendies sur la terre de Sodome? Qui donc a noyé toute l’armée d’Egypte dans la mer ? qui donc a fait périr six cent mille Israélites dans le désert? qui donc a brûlé la faction d’Abiron •(Ps 105,17)? qui donc a commandé à la terre d’ouvrir l’abîme qui a dévoré Coré, Dathan et ses complices? qui donc, en un instant, sous David, a exterminé soixante-dix milliers d’hommes •(II Rois 24, 15)? Dirai-je tous ceux qui ont été frappés un à un? Caïn livré à un supplice sans fin ? Achar lapidé avec toute sa race (Jos. 7, 24) ? celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat, également lapidé (Nombr. 4,36)? ces quarante-deux enfants, sous Elisée, dévorés par les bêtes féroces, et que leur jeune âge n’a pas sauvés des rigueurs du châtiment? (IV Rois, 2,24)
Si, même après la grâce, vous tenez à voir de pareils exemples, considérez tout ce qu’ont souffert les Juifs, comment les femmes ont mangé leurs propres enfants; les unes, les faisant cuire; les autres usant d’autres moyens. Voyez-les livrés à une famine insupportable, à des guerres terribles et multiples, dépassant, par l’excès des douleurs, toutes les anciennes tragédies. Et c’est le Christ qui a envoyé ces malheurs; entendez la prédiction qu’il en fait d’abord en paraboles, puis ensuite en termes clairs et exprès. Prédiction en paraboles: «Ceux qu’ils n’ont pas voulu m’avoir pour roi, qu’on les amène ici, et qu’on les tue en ma présence» (Lc 19,27). La parabole de la vigne, la parabole des noces, même sens. Prédiction maintenant parfaitement claire, en termes exprès: ainsi cette menace:
«Ils passeront par le fil de l’épée; ils seront emmenés captifs dans toutes les nations; les nations sur la terre seront dans la consternation, la mer faisant un bruit effroyable par l’agitation de ses flots, et les hommes sècheront de frayeur» (Lc 21, 24-26). Et encore: «Car l’affliction de ce temps-là sera si grande, qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde»(Mt 24,21).
Quant à Ananie et à Saphire pour le vol de quelques pièces d’argent, quel châtiment n’ont-ils pas subi, vous le savez tous (Act. 5, 1). Ne voyez-vous pas tous les jours des calamités publiques? Ne sont-ce pas là des réalités? Ne voyez-vous pas même encore maintenant des malheureux que la faim consume? Ne voyez-vous pas des lèpres, d’autres maladies encore? Des vies qu’afflige une indigence perpétuelle? Et ceux qui souffrent mille maux insupportables?
Comment serait-il juste que les uns fussent frappés, que les autres ne fussent pas frappés? Si Dieu n’est pas injuste, et il est certain que Dieu n’est pas injuste, il est absolument nécessaire que vous soyez puni de vos péchés; si son amour pour les hommes lui défend de les punir, selon vous, tels et tels ne devaient donc pas être punis. C’est donc pour confondre cette fausse espérance des pécheurs que Dieu punit dès ici-bas tant de monde. C’est afin que si vous ne croyez pas aux menaces, vous croyiez au moins aux supplices réellement infligés; il y a une autre raison encore : comme les anciennes vengeances nous inspirent moins de terreur, Dieu les renouvelle de siècle en siècle pour réveiller les lâches. Mais pourquoi, dira-t-on, ne pas châtier ici-bas tous les hommes? C’est pour donner aux autres le temps du repentir. Pourquoi n’attend-il pas l’autre vie pour les punir tous ? C’est afin qu’on ne doute pas de sa providence. Que de brigands ont été pris, et combien sont partis d’ici-bas, sans avoir été punis? Où est donc la bonté de Dieu, où est la justice de son jugement? Car à présent, c’est moi qui ai le droit de vous interroger. Si personne absolument n’avait été puni, vous pourriez vous prévaloir de cette observation ; mais s’il est vrai que les uns sont punis, que les autres ne le sont pas, même pour des péchés plus graves, peut-il être raisonnable que les mêmes fautes n’entraînent pas les mêmes expiations? Peut-on soutenir que ceux qui ont été punis ne l’ont pas été injustement? Pourquoi donc tous ne sont-ils pas châtiés ici-bas? Ecoutez la justification que vous fait entendre le Christ, à ce sujet.
«Quelques hommes ayant été tués par la chute d’une tour, certaines personnes ne savaient que penser, Jésus leur dit : » Pensez-vous que ce fussent les plus grands pécheurs? Non, je vous en assure ; mais si vous ne faites pas pénitence, vous tous, vous périrez semblablement» (Luc, 13,3); exhortation pour nous à ne pas prendre confiance lorsque les autres étant punis, nous qui sommes de si grands coupables, nous ne subissons pas de punition. Car, si nous ne changeons pas, nous serons punis sans aucun doute. – Et pourquoi, dira-t-on, une punition éternelle pour si peu de temps qu’ici-bas nous avons péché? – Et pourquoi l’homme qui a mis si peu de temps ici-bas à commettre un meurtre, et qui n’en a commis qu’un, est-il condamné pour toujours à la peine des mines? – Mais Dieu n’agit pas de même, répond-on. Comment donc se fait-il qu’il ait retenu, pendant trente-huit ans, le paralytique sous le coup d’un châtiment si rigoureux? La preuve qu’il le punissait de ses péchés, écoutez, le Christ l’a donnée lui-même: «Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis» (Jn 5,14.), Toutefois, direz-vous, le châtiment a eu un terme. Mais, dans l’autre monde, les choses ne se passeront pas de même: châtiment sans fin; écoutez le Christ: «Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point» (Mc 9,44). Et encore: «Ils iront, ceux-ci dans la vie éternelle, ceux-là dans l’éternel supplice» (Mt 25, 46). Si la vie est éternelle, le supplice aussi est éternel. Voyez les menaces qu’il a faites aux Juifs? N’ont-elles pas eu leur effet? N’ont-elles été que vaines paroles? «Il n’en restera pas pierre sur pierre» (Mt 24,2). En est-il resté? Et encore, quand le Christ a dit : «L’affliction de ce temps-là sera si grande qu’il n’y en a pas eu de pareille ?» (Ibid. 5, 21.) L’événement a-t-il eu lieu?
Lisez l’histoire de Josèphe, et vous pourrez à peine respirer, rien qu’au récit de ce qu’ils ont souffert pour leurs fautes. Ce que j’en dis, ce n’est pas pour vous affliger, c’est pour vous rendre plus fermes dans votre marche; je ne veux pas par d’inutiles caresses vous conduire à d’affreux malheurs. Car enfin, je vous le demande, ne méritez-vous pas un châtiment si vous péchez? Ne vous a-t-il pas tout prédit? Ne vous a-t-il pas menacé? Ne vous a-t-il pas inspiré des craintes? N’a-t-il pas tout fait pour votre salut à vous? Ne vous a-t-il pas donné l’eau qui régénère, ne vous a-t-il pas remis tout ce que vous aviez fait auparavant? Après cette rémission, après cette ablution, ne vous a-t-il pas encore donné, à vous pécheur, le secours de la pénitence? Ne vous a-t-il pas encore, même après tous ces dons, rendu facile la voie de la rémission des péchés ?
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