Nistor Man en conversation avec Traian Călin Uba
Fundația Academia Civică // 2012
Auteur: Nistor Man / Traduction: hesychia.eu
L’amour est une harmonie universelle, la loi suprême – Je vous donne une loi nouvelle : aimez-vous les uns les autres. C’est ainsi que les gens comprendront que vous êtes mes disciples. Cette conviction m’a donné le pouvoir de supporter toute ma détention et d’être en bonne santé jusqu’à ce jour. Deux choses m’ont aidé: les prières de ma mère et ma conviction personnelle que je dois tout pardonner. // p.33
Cela signifie que vous avez une foi très forte depuis l’adolescence. Comment, quand cette foi s’est-elle formée?
Suite à l’éducation reçue au sein de la Fraternité de la Croix. Parce que j’ai beaucoup vécu en prison et j’ai beaucoup souffert, ma foi s’est renforcée. A cause de la foi, j’ai échappé à beaucoup de difficultés et de malheurs, car je me suis toujours montré tel que je suis. // p.34
Des joies chrétiennes, données par la présence de Dieu, oui, j’en ai eu, parce que cela nous maintenait pratiquement en vie. Et j’ai cru en ce réconfort de Dieu, j’ai cru en qu’Il veillait sur nous – qu’Il nous regarde, nous voit et nous dit: “Je ne vous donne pas plus que ce que vous pouvez porter”. Parce que là, toute la terreur autour de toi te jette dans les bras de Dieu. Là tu es plus proche de Dieu que dehors. La vie trop bonne, trop riche, t’éloigne de Dieu. Plus vous vivez petit, plus vous êtes humilié, plus vous êtes proche de Lui. Le problème le plus difficile a été d’accepter l’humilité telle qu’elle est. Il faut apprendre à accepter l’humiliation à la fois en prison et à l’extérieur, n’importe où. Ne répondez pas à un défi avec fierté et un autre défi, afin de ne pas ruiner l’harmonie universelle. Si l’orgueil d’un autre n’est pas bon, le mien non plus n’est pas bon. Et si je suis offensé et répond avec fierté, je me suis trompé.
Comment réagissez-vous lorsque vous êtes offensé?
Par le silence. Et si celui qui m’offense a raison, je l’admets. Tout cela provient du Psaume 50, où il est écrit: Le cœur brisé et humilié, Dieu ne le blessera pas. Au contraire, Il le bénira et lui donnera du succès. // p.50-51
Savez-vous comment était la prière? Si tu avais quelques minutes libres, quand il n’y avait pas de conversation, et la cellule était silencieuse, tu priais – cinq minutes, deux ou trois minutes, une minute … ou juste quelques secondes … Chacun se retirait en soi et priait – en groupe ou individuellement; au total, la prière pourrait occuper 10%, 20% ou même 50% de la journée. Vişovan, par exemple, quand j’étais avec lui en cellule à Satu Mare, pendant sa deuxième période de détention, après avoir retrouvé la foi, il s’agenouillait près du lit avec ses mains posées sur le lit et a priait ainsi en silence pendant 3-4 heures. Et le gardien le voyait, mais n’osait rien dire!
Ici, à Jilava, les gens priaient allongés sur le dos, sur le lit. Il y avait des groupes dans lesquels la prière durait même trois jours.
Priaient-ils la nuit, aussi?
Oui. Une fois que la première personne finissait la prière, il réveillait le suivant : C’est ton tour pour prier. Et après avoir fini, il en réveillait un autre, et ainsi de suite … Ils priaient jour et nuit … Et priaient au milieu de la nuit, chacun à son tour, non pas 5 ou 10 minutes, mais autant que chacun pouvait – une heure, deux … Ainsi, le lien avec Dieu par la prière était constamment maintenu.
Et au Canal, nous avons fait cela plusieurs fois. Nous étions fatigués morts. Mais on se réveillait, on se contrôlait pour ne pas s’endormir et rompre la chaîne de prière, on se réveillait bien, on faisait la prière, puis on réveillait le suivant, et seulement après s’être assuré qu’il était réveillé et qu’il a commencé à prier, on pouvait continuer le sommeil. C’était comme ça que les prières étaient faites en prison.
Que demandiez-vous à Dieu?
C’était une prière ad hoc pour demander de l’aide, du soutien, des bénédictions, on demandait force, santé, tranquillité d’esprit pour soi et pour les autres, on demandait la force pour résister et survivre… C’était en fait une demande. La vraie prière était pour louer et magnifier Dieu.
Louez-vous Dieu même si vous vivez ces souffrances ? Ne fassiez-vous pas des reproches à la Divinité? Ne demandiez-vous pas à Dieu pourquoi toutes ces choses vous arrivent, et si ce tout cela n’est qu’une grande injustice?
Pas du tout! Au contraire, je l’ai glorifié et remercié pour ces épreuves! Parfois, je priais, comme le Seigneur Jésus-Christ, Père, si vous le voulez, retirez de moi cette coupe. Mais que votre volonté soit faite, et non pas la mienne.
Quels ont été les résultats de la glorification de Dieu dans tous les problèmes que vous avez traversés?
Le renforcement de l’âme. Je me sentais plus fort, en meilleure santé, plus confiant, plus sage, plus intelligent … Mais sachez que la meilleure prière n’a aucun but pratique. Je loue Dieu d’être Dieu, pour sa majesté et sa beauté. Je le loue parce qu’Il m’a fait, parce que j’existe. Je le loue pour tout ce qu’il me donne parce qu’il est l’harmonie universelle et que, grâce à lui, je fais partie de cette harmonie. Je ne le loue pas afin qu’il me donne à manger ou la liberté. Dieu sait très bien ce qu’Il fait avec moi! Parfois, cependant, à la fin de la prière, je ne pouvais m’empêcher de dire: Seigneur, donne-moi aussi la liberté. J’ai rarement dit ça. Mais le but était d’entrer dans la présence et l’harmonie de Dieu.
Est-ce que Dieu répondait à vos prières?
Certainement ! Tu étais réconcilié, calme, Dieu était avec toi où tu allais, ta parole était écoutée, tout ce que tu faisais était bien, toutes tes relations étaient bonnes …
Même des relations avec les gardes et les autorités?
Tout … Toutes les relations étaient bonnes. Même quand je protestais, je le faisais sans haine, et les gens le sentaient. Nous influencions souvent les gardes, les enquêteurs … // p.73-75
Il est vrai qu’en prison j’étais plus proche de Dieu qu’en liberté; c’était un christianisme brûlant, vivant, actif, toujours recréé… Des millions de prières se sont levées au ciel. Le Christ était si présent dans nos cœurs … Ce que je peux dire, c’est que sous l’aspect de la persécution, l’église dans les prisons communistes ressemblait beaucoup à l’église des catacombes, qui était plus brûlante, plus pieuse, plus assoiffée de la présence de Dieu que l’Église institutionnalisée.
Pouvez-vous développer cette comparaison?
Les prisons communistes sont des catacombes modernes, et des empereurs comme Néron et d’autres persécuteurs de chrétiens comme Caligula ou Dioclétien peuvent être comparés sous cet angle à des empereurs communistes, en précisant que ces derniers ont tué beaucoup plus de chrétiens et détruit de nombreuses églises. La période communiste a été bien plus préjudiciable au christianisme que la persécution des premiers chrétiens. Ceux d’entre eux qui ont survécu aux persécutions romaines ont créé l’état chrétien. Alors que les survivants du communisme ont échoué à créer un État anticommuniste. Les premiers chrétiens ont réussi à abattre la foi dans les dieux païens, mais les chrétiens sous le communisme n’ont pas réussi à briser la croyance au communisme. Les persécutions romaines ont eu une durée plus courte et une intensité plus faible que celles exercées par les communistes. La cruauté dans les prisons communistes était d’origine asiatique. Et dans les prisons communistes, il était plus difficile de mourir que dans la fosse aux lions. Les Romains n’avaient pas d’école de bourreaux, tandis que les tortionnaires dans les prisons communistes étaient formés à l’école des bourreaux – du gardien au plus grand commandant, en passant par le chef de la police sécrète.
En prison, avez-vous rencontré beaucoup de personnes ayant la vocation de sainteté?
J’ai rencontré beaucoup de gens avec un comportement de saints, d’une justesse exemplaire, qui ne se sont jamais plaints de faim, de douleur ou de l’absence de leur famille.
Je considère comme saint celui qui subit la persécution sans dire un mot, qui encourage son prochain, qui ne dit jamais une chose stupide qui pourrait provoquer l’indignation de quelqu’un, qui ne dit rien de désagréable à Dieu; à travers tout ce qu’il dit il construit, renforce la foi et la résilience de ceux qui l’entourent, leur donne du courage et améliore leur vie. Les saints que j’ai rencontrés dans les prisons étaient consacrés à Dieu et utiles aux hommes. //p. 204-206
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