père Wladimir Guettée (†1892)
Histoire de l’Eglise de France composée sur les documents originaux et authentiques
tome I, p.1-7, Période Gallo-romaine, Livre Premier (67-313), Paris, 1847
Lorsque le Seigneur Jésus eut enseigné à ses Apôtres la Parole de vie, il leur dit : «Allez, instruisez toutes les nations ; baptisez les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; apprenez leur à observer tous mes commandements, et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle» .
Et le Seigneur Jésus, après avoir ainsi parlé, s’éleva dans le ciel, et les Apôtres, étant partis, prêchèrent de toutes parts, le Seigneur les aidant et confirmant leur parole au moyen des miracles qui l’accompagnaient.
L’éloquence des prodiges et la grâce que Dieu donnait à leur apostolat eurent bientôt conquis à Jésus Christ des adorateurs dans toutes les nations; car, dès le premier siècle, la trompette évangélique retentit des sables brûlants de l’Afrique aux bords enchantés du Gange et de l’Indus, et aux rivages de l’île nébuleuse des Bretons.
Pierre […], s’était réservé le centre de l’empire. Jésus Christ choisit Paul pour l’aider dans cette grande œuvre. L’un, apôtre des Juifs; l’autre, des Gentils; tous deux brûlants de zèle pour la gloire du Maître, ils parcourent les contrées voluptueuses de l’Asie et de la Grèce, et se rencontrent à Rome, où ils allument un foyer chrétien qui rayonne aussitôt bien au delà des étroites limites de l’Italie.
Paul avait avec lui de nombreux disciples qui le suivaient pour apprendre, à son école, à semer la parole évangélique. Parmi eux étaient Crescent, Luc et Trophime, trois noms que nous devons prononcer avec amour; ils sont ceux de nos pères dans la Foi.
Paul était à Rome lorsque Crescent le quitta pour venir dans les Gaules ; Trophime était resté malade à Milet, et Luc était seul avec lui. Le grand Apôtre mourut bientôt après, et ce fut probablement peu avant son martyre que Luc et Trophime vinrent unir leurs travaux à ceux de saint Crescent.
Après avoir fondé l’Eglise de Vienne, Crescent laissa à Trophime les contrées méridionales, et s’avança vers le nord jusqu’à la cité métropole de la première Germanie (Mayence).
Les provinces centrales étaient évangélisées par saint Luc.
«Le ministère de la divine Parole, dit saint Epiphane, ayant été confié à saint Luc, il l’exerça particulièrement dans la Gaule».
Ces paroles, rapprochées des traditions de la vieille Armorique, nous portent à croire que saint Luc exerça principalement son zèle dans la partie des Gaules appelée Celtique. Saint Irénée nous apprend, en effet, qu’il y existait des Eglises au second siècle, et il atteste la pureté de leur foi aussi bien que celle des Eglises des Germanies-Cis-Rhénanes.
Les provinces méridionales furent principalement évangélisées par saint Trophime. Ce bienheureux apôtre naquit à Ephèse, cette ville qui eut le bonheur de posséder la Sainte Vierge Marie et Jean, le disciple fidèle et chéri du Sauveur. On peut croire que Trophime entendit de ces bouches si pures plus d’un récit évangélique. Lorsque saint Paul passa à Ephèse, Trophime se mit à sa suite, et après la maladie qui l’avait forcé de rester à Milet, il vint le trouver à Rome, d’où il passa dans les Gaules. Il établit à Arles le centre de sa mission, et fut institué évêque de cette cité par saint Pierre lui même. C’est par ses soins probablement que furent fondées les Eglises qui existaient déjà au second siècle sur les bords de la Garonne, et il travailla avec tant de zèle à l’œuvre évangélique, qu’il a mérité d’être appelé la source d’où les ruisseaux de la Foi ont coulé sur toutes les Gaules.
L’Eglise des Gaules, ainsi fondée aux temps apostoliques et par les disciples immédiats des premiers apôtres de Jésus Christ, n’eut pas, au commencement, ces succès brillants que nous admirons dans les Eglises orientales. Semence faible et presque imperceptible d’abord, elle étendait peu à peu dans le sol de nombreuses racines, avant de jeter ces rameaux qui devaient un jour ombrager la Gaule entière.
Les légendaires du moyen âge entourent le berceau de notre Eglise de bien plus d’éclat: ils nous la montrent évangélisée par saint Denis, ce membre de l’Aréopage d’Athènes converti par saint Paul; par saint Martial, un des soixante douze disciples du Sauveur ; par le proconsul Sergius Paulus et bien d’autres qui lui auraient été envoyés par saint Pierre.
Il faut l’avouer, la vue a manqué à nos bons légendaires, quand ils ont voulu regarder dans le lointain des premiers siècles chrétiens. Séduits par l’identité de quelques noms, ils ont confondu deux époques distinctes, et doté le premier siècle de faits nombreux qui appartiennent en réalité au troisième.
Mais au dessus de leurs récits, plus ou moins erronés, plane une grande idée que nous retrouvons au fond des traditions de toutes nos antiques Eglises, celle de la prédication de l’Evangile dans les Gaules aux temps apostoliques. Il serait peu philosophique de dissimuler ce qu’a d’imposant cette tradition constante et universelle, et de n’en tenir aucun compte, pour quelques erreurs de détail qui s’y sont glissées; il faut abandonner l’erreur, mais ne pas étendre la proscription jusqu’à la vérité.
Il est donc faux de dire qu’au premier siècle le rayon de la prédication évangélique en Occident n’avait pas dépassé les étroites limites de l’Italie centrale, et que les Gaules ne possédaient que des chrétiens isolés, produit de quelques courses apostoliques, des communications du commerce, et du contact des légions recrutées en Orient.
Il y eut, au premier siècle, des communautés chrétiennes organisées; elles n’étaient pas nombreuses, ne livrèrent pas au polythéisme ce grand combat dont nous parlent les hagiographes du moyen âge, et dont elles seraient glorieusement sorties, couronnées de nombreux martyrs; mais elles firent cependant assez de progrès pour que Tertullien ait pu dire, au second siècle, que dans les diverses nations des Gaules Jésus Christ comptait de nombreux adorateurs.
Tel était l’état de l’Eglise Gallo Romaine, lorsqu’une nouvelle troupe d’ouvriers évangéliques vint d’Orient lui donner une impulsion nouvelle.
Elle avait pour chef un saint vieillard nommé Pothin, et ses principaux compagnons étaient Irénée, Bénigne, Andochius, le diacre Tyrsus, et le sous-diacre Andéol.
Ils choisirent Lyon pour siège de leur colonie religieuse. Quel motif avait déterminé le choix de ces porteurs de la bonne nouvelle ? Appartenaient-ils à cette classe d’aventuriers héroïques qu’on appelait évêques des nations, qui, prenant leur route au hasard, allaient catéchiser sur des plages inconnues, du côté où le doigt de Dieu les poussait ? Il ne le paraît pas, et l’âge de Pothin, qui comptait plus de soixante dix ans, repousserait cette supposition.
On peut croire avec plus de probabilité que, sur les bords du Rhône, les pieux voyageurs étaient attendus et désirés. Lyon, ville industrieuse et opulente, renfermait beaucoup d’Asiatiques, amenés par le mouvement des affaires, et dont plusieurs étaient chrétiens. Parmi les habitants de Lyon qui étaient chrétiens, on distinguait le médecin Alexandre, originaire de Phrygie et établi depuis de longues années dans les Gaules, et un autre Alexandre dont le nom est inséparable de celui d’un jeune Gaulois nommé Epidodius. Ces deux jeunes gens étaient riches, instruits, pleins de vertus: Alexandre avait vu le jour à Lyon, dans une famille grecque qui s’y était fixée ; Epidodius était indigène Gaulois. Leurs pères se connaissaient et s’aimaient ; et cette affection mutuelle avait passé dans les enfants avec la vie ; élevés ensemble dès le berceau, ils avaient partagé les mêmes jeux, les mêmes études, les mêmes goûts pour la vertu.
Les chrétiens de Lyon, assez nombreux, ne formaient pas cependant une véritable Eglise, et n’avaient pas de pasteurs. Les autres Eglises des Gaules, bien faibles encore, ne pouvaient leur en procurer. Ils pensèrent donc à l’Asie, dont plusieurs étaient originaires, et ils s’adressèrent à saint Polycarpe, qui avait la pieuse coutume d’envoyer ses disciples dans les diverses parties du monde, pour y annoncer Jésus Christ.
Polycarpe avait été établi évêque de Smyrne par saint Jean dont il avait été disciple, et ses leçons avaient formé à l’apostolat Pothin et Irénée, qui apportèrent ainsi à Lyon la parole de foi, telle que l’enseignait l’Apôtre qui avait reposé sur le sein du Seigneur.
Laissant à Lyon Pothin et Irénée, Bénigne, avec deux compagnons, le prêtre Andochius et le diacre Thyrsus, côtoya la rive droite de l’Arar (Saône), et alla fonder l’Eglise Eduenne. Pendant qu’il y travaillait avec ardeur, Pothin et Irénée organisaient à Lyon une Eglise florissante. Elle s’accrut rapidement, et se recruta, dans la population indigène et étrangère, avec courage et persévérance. Elle nous apparaît avec les éléments ordinaires des communautés chrétiennes primitives: beaucoup de pauvres et peu de riches, des esclaves à côté de leurs maîtres, des affranchis et des citoyens romains, assis pêle-mêle sur les mêmes bancs; enfin quelques hommes instruits et de profession libérale se dessinent dans la masse, composée de gens de labeur et de métier.
Nous connaissons, par leurs noms, environ cinquante des premiers fidèles de l’Eglise de Lyon et de l’Eglise de Vienne, qui étaient étroitement unies et que nous verrons bientôt partager les mêmes combats et les mêmes triomphes. Le souvenir de la plupart de ces chrétiens courageux n’est rehaussé que par la mention d’une mort glorieuse ; les autres sont inconnus des hommes, et on ne lit plus leurs noms que sur les pages du livre de vie.
Parmi les membres de la nouvelle Eglise Lugduno-Viennoise figurent, à côté de Pothin et d’Irénée, quelques prêtres et diacres à physionomie latine, et sans doute Gallo Romains. Ce sont le diacre Sanctus (de Vienne), Marcellus et Valerianus, celui-ci diacre, l’autre prêtre, tous deux unis par le double lien du sang et des mêmes combats. Le sous diacre Andéol n’était pas à Lyon, et saint Pothin l’avait envoyé prêcher la foi aux environs de Vivarium (Viviers).
Comme le clergé, les fidèles étaient partagés en Grecs et Gallo Romains.
Au premier rang des Grecs apparaît Attale (de Pergame), surnommé la colonne de l’Eglise de Lyon ; il était citoyen romain, ainsi qu’Alcibiade, homme simple et austère.
Vettius Epagathus, jeune homme de famille distinguée, illustre lui-même et citoyen de Rome, est le plus distingué des fidèles indigènes.
Les autres citoyens romains étaient Zacharie, Macarius, Silvius, Primus, Ulpius, Vitalis, Comminius, October, Philominus et Geminus.
Le Phrygien Alexandre n’était pas citoyen romain, non plus que Sanctus et Maturus, ce généreux néophyte qui reçut presque en même temps le double baptême de l’eau et du sang.
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