Œcumenisme, Orthodoxie

L’élection du peuple hébreu et la Nouvelle Alliance

17 janvier 2025

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Réflexions à propos de deux articles

par le P. Alexandre Schmemann

 

De nos jours il est plus que jamais nécessaire que la théologie chrétienne soit sobre et vigilante à s’éprouver de façon constante et approfondie à la lumière de « la règle de la foi », faute de quoi elle risque de se laisser dissoudre dans les passions et les infatuations humaines, et de s’assu­jettir, de l’intérieur, à toutes espèces de mythes politiques, raciaux, culturels, etc.

C’est précisément à l’heure actuelle que ce danger devient, est déjà devenu une réalité. En Amérique, par exemple, dans les écoles de théologie protes­tante, on institue partout des chaires de « théologie noire », du haut desquelles toute la foi chrétienne est révisée et remaniée à la lumière du « problème de la négritude ». Partout en Occident, les vitrines des librairies regorgent d’ouvrages consacrés à « la théologie de la révolution », à « la théologie de la lutte pour la libération », aux « prémisses théologiques de la lutte des classes », etc. Un évêque ortho­doxe arabe a récemment déclaré dans la presse que, dans le monde contemporain, la seule icône manifeste du Christ était le feddayin palestinien…

Faut-il démontrer que toutes ces manifestations ne sont que les symptômes d’une confusion et d’un morcellement tragiques de la conscience chrétienne qui perd la notion lucide de ses propres critères et laisse s’installer, à la place de la vraie théologie, des options de caractère émotionnel, c’est-à-dire l’hérésie, au sens littéral de ce mot grec qui signifie précisément le « choix », par lequel la partie se substitue au tout. Au lieu d’accéder à l’intelligence de la vérité, ce qui suppose toujours une ascèse difficile et respon­sable, on se soumet aux « éléments de ce monde », et l’on voit disparaître l’intégrité, la catholicité, qui seule peut guérir nos infirmités et nos chutes et transformer nos échecs en victoires.

Je dois avouer que ces pensées me sont aussi venues à l’esprit lorsque j’ai lu, dans le dernier numéro du Messager russe (108-109-110), le « Message de l’épiscopat français » et l’article du Père Serge Boulgakov, « Israël en butte aux persécutions ». Bien que ces documents aient été écrits à des époques et dans des conditions psychologiques et poli­tiques très différentes, et à des niveaux qui ne sont pas les mêmes, tous deux pèchent à mon avis par la même erreur de perspective dont je viens de parler, et à cause de laquelle, en fin de compte, toute leur argumentation est discutable et même erronée. Il est indispensable d’y répondre, parce qu’une théologie de cette sorte, unilatérale et excessive, provoque en fait très souvent des réactions opposées à celles que souhaitaient ses auteurs.

N’ayant pas la possibilité d’examiner dans ce bref article toutes les affirmations qui me paraissent soit discutables, soit ambiguës, soit encore carrément fausses, je me bornerai à la seule thèse, centrale et proprement théologique, qui, dans le message de l’épiscopat français comme chez le Père Serge Boulgakov, est le fondement de tout leur édifice et de toutes leurs conclusions. Il s’agit de la thèse concernant la signification de l’élection du peuple hébreu et de la conclu­sion qui en découle concernant la relation entre l’Eglise et la religion juive. Ces deux documents affirment que la voca­tion du peuple juif qui, selon les paroles de St Paul, est irrévocable (Rom 11 29), place le judaïsme dans une situa­tion particulière par rapport au christianisme, situation d’un partenaire particulier (document catholique) et marquée d’un « signe particulier que l’Eglise doit encore apprendre à reconnaître dans toute sa plénitude » (Père S. Boulgakov). À partir de là, les évêques français estiment qu’il est impossible pour les chrétiens de considérer la religion juive sim­plement comme « une des religions », et le Père S. Boulgakov pense que « le christianisme ne peut trouver sa plénitude sans le judéo-christianisme ».

Eh bien, c’est justement cette insistance sur la « particu­larité », cette mise à part de la « question juive » comme thème central de la théologie chrétienne (qui est invitée, dans le document catholique, à rompre avec les positions de tout le passé et, par le Père S. Boulgakov, à reconnaître dans l’hébraïcité « l’ontologie de l’humanité » qui a ses racines dans l’hébraïcité du premier Adam et en même temps de l’Adam total, de l’homme total), ce sont ces affir­mations qui, j’en suis profondément convaincu, appellent de façon impérative une réponse théologique. Car en fait, c’est cette même affirmation de la « particularité » du peuple juif — mais en sens inverse — qui nourrit l’antisémitisme de toutes nuances, y compris l’antisémitisme religieux. Comme cela se produit toujours, un extrême, une affreuse mutilation de la vérité, aboutit à un autre extrême — en sens inverse — qui non seulement s’avère incapable de guérir le mal contre lequel il est dirigé, mais dans la mesure même où il est un extrême, une exagération et donc s’écarte de la vérité, ne peut que l’accroître.

Parlons tout d’abord de l’élection. Faut-il démontrer que, selon l’enseignement chrétien traditionnel, originel, l’élec­tion du peuple hébreu, si clairement attestée dans l’Écriture Sainte, y apparaît comme l’un des faits fondamentaux de l’histoire du salut, comme la préparation du monde à la venue et à l’accueil du Sauveur ? Par conséquent, comme tout dans cette histoire unique par sa signification, cette élection est « fonctionnelle », elle est l’instrument de l’éco­nomie divine, car elle est tout entière orientée vers son propre accomplissement dans l’avènement du Christ. Tout est là, selon l’affirmation unanime de l’Eglise : sa vocation immuable (car elle est divine et non humaine), qui était de « préparer le chemin du Seigneur, d’aplanir ses sentiers », l’ancien Israël l’a réalisée en la personne de la Mère de Dieu et de saint Jean le Précurseur, les fruits les plus saints de toute la justice, de l’obéissance et de la prophétie vétéro-testamentaires. Enfin, en la personne des Apôtres et de toute l’Eglise primitive, Israël a reçu le Christ, a réalisé en lui sa vocation, a rendu possible l’annonce de l’Évangile du salut « jusqu’aux confins de la terre ». Telle a toujours été, je le répète, la doctrine de l’Eglise qui, depuis le commencement, glorifie le Christ par les paroles du juste vieillard Siméon comme « lumière des nations et gloire de son peuple Israël ».

S’il en est ainsi, l’erreur fondamentale tant du document catholique que de l’article du Père S. Boulgakov, consiste à ignorer la distinction essentielle, proprement théologique, spirituelle, entre l’histoire du salut qui se termine en Christ parce qu’elle trouve en lui son plein accomplissement, et le temps nouveau, l’histoire qui commence après le Christ. Or cette distinction est vraiment fondamentale et elle déter­mine la relation des chrétiens avec le monde et tout ce qui s’y accomplit.

Pour simplifier, on peut dire schématiquement que cette distinction concerne avant tout essentiellement « la chair et le sang », c’est-à-dire le lieu et le sens des « détermi­nismes » naturels, terrestres, dans les relations mutuelles entre Dieu et les hommes dans l’économie divine du salut. L’histoire vétéro-testamentaire du salut — et ceci lui donne son caractère absolument unique — se réalise par le moyen de « la chair et du sang ». Elle n’est pas seulement insérée — à travers l’histoire concrète et terrestre du peuple élu de Dieu — dans la trame du processus historique, mais toute sa signification unique et exceptionnelle, qui fait d’elle seule l’histoire sainte, consiste en ce qu’elle transforme le processus historique lui-même en une révélation et une réalisation progressives du dessein de Dieu sur le monde et l’humanité. La plénitude de ce dessein se dévoile et s’accomplit dans l’avènement du Christ vers qui est orientée l’histoire du salut et en qui, par suite, elle trouve son accomplissement. Dans la vie, la mort, la résurrection et la glorification du Christ, dans l’envoi de l’Esprit Saint, trouvent leur aboutissement tous les événements, toutes les prophéties, toutes les pro­messes de l’histoire vétéro-testamentaire. Mais c’est aussi pour cela que le temps qui commence après la réalisation par le Christ de son œuvre salvatrice et dans lequel se déroule notre histoire terrestre, est conçu par la foi chrétienne comme un temps absolument nouveau, auquel ne peuvent plus être appliquées les catégories de l’histoire sainte vétéro-testamentaire.

« Ce qui est ancien est passé, tout est devenu nouveau » (II Cor. 5, 17). Mais cette nouveauté même est précisément la libération de l’homme — en Christ — par rapport à l’asservissement à « la chair et au sang », à tout « détermi­nisme » naturel et, en ce sens, également à l’histoire. L’histoire vétéro-testamentaire du salut elle-même s’accomplit préci­sément par le moyen de « la chair et du sang », pour que le Fils de Dieu, devenu participant de notre chair et de notre sang, de notre histoire, puisse en sa Personne et en son humanité, nous libérer de notre dépendance mortelle à l’égard de la chair et du sang, à l’égard de l’histoire, pour nous rétablir dans notre liberté royale de Fils de Dieu, nous ouvrir — et par nous ouvrir le monde et l’histoire — à l’Esprit Saint et à la Vérité, à la liberté et à l’exploit, à la victoire sur tout ce qui n’est que « chair et sang », nature, histoire. C’est en cela que consiste la joyeuse nou­veauté du mystère « tenu caché aux siècles et inconnu des anges » mais révélé à nous en Christ : dans la vie nouvelle qu’il donne aux croyants, il n’y a plus « ni Grec, ni Juif, ni circoncision, ni incirconcision, ni barbare, ni Scythe, ni esclave, ni homme libre » (Col. 3, 11) ; en Christ, « la circon­cision n’est rien, rien non plus l’incirconcision ; ce qui compte, c’est de garder les commandements de Dieu » (I Cor. 7, 19) ; en Lui, « celui qui est né de Dieu est vainqueur du monde » (I Jn 5, 4).

Tout cela signifie qu’à l’opposé de l’histoire vétéro-testamentaire du salut, le temps nouveau n’est intérieurement déterminé par rien, ni par « la chair et le sang », ni par quoi que ce soit d’extérieur, mais seulement par la grâce donnée à l’homme de pouvoir rapporter toutes choses à la réalité ultime et supérieure du Royaume de Dieu et par là de les sanctifier et de les transfigurer pour qu’elles deviennent « la nouvelle création ». D’un côté, l’Évangile du Royaume n’invite pas l’homme à une « désincarnation », ni à une sortie de l’histoire, ni à un reniement de son peuple, ni à un refus de l’aimer, de s’en préoccuper, d’en être responsable ; il n’incite pas à l’indifférence ni à la passivité. Mais tout cet amour, toute cette sollicitude, toute cette responsabilité, ne doivent se réaliser ni dans « l’orgueil de la chair et du sang », ni dans l’affirmation de soi, ni avec un sentiment de sa propre supériorité, mais dans un difficile « exploit » en vue d’amener son peuple à être illuminé par l’Esprit et la Vérité, à reconnaître dans le bien, la vérité et la beauté de Dieu l’unique critère de la vie. Et d’un autre côté, dans cette conception chrétienne du temps nouveau, de l’histoire nouvelle, il n’y a plus, il ne peut plus y avoir de place pour aucun peuple, ni aucune race « messianique », ni pour quelque valeur que ce soit dont l’absolutisation découle de « la chair et du sang ». De même, il n’y a plus de place pour les peuples « rejetés » et « maudits ». Car l’Évangile du Royaume ne s’adresse ni à des peuples ni à des races mais, avant tout, à l’homme, à chaque homme et à tous les hommes, sans qu’aucune distinction soit faite entre eux en fonction de « la chair et du sang ». Ce n’est pas parce qu’il appartient à tel ou tel peuple que l’homme est sauvé, mais au contraire la destinée de chaque peuple dépend de l’homme, de son « exploit » ou de son asservis­sement spirituel, de ce qu’il aura accueilli ou rejeté l’Esprit et la Vérité, de son choix, de sa fidélité, de sa force… Le glaive que le Christ est venu apporter sur la terre ne sépare pas les uns des autres les peuples ni les races, mais il opère la distinction entre la justice et le péché, le bien et le mal, la fidélité et la trahison, à l’intérieur de chaque peuple comme à l’intérieur de chaque homme. C’est pourquoi il n’y a pas de place dans la tradition authentique de l’Eglise pour l’exaltation messianique, pour « l’orgueil de la chair et du sang », que l’on peut, hélas, constater chez presque tous les peuples. Ce n’est pas aux rêveries d’une philosophie de l’histoire, ni aux spéculations sur « le mystère de l’histoire » que nous sommes conviés mais à l’exploit infiniment diffi­cile du discernement des esprits, pour savoir s’ils viennent de Dieu, et à la lutte contre « la chair et le sang » en vue de leur illumination et de leur transfiguration. Tout reste tou­jours ouvert. Dieu n’a rejeté personne, tous sont appelés, mais tous n’accueillent pas cet appel. Le salut est donné à tous, mais tous ne sont pas sauvés. Sur tous est répandu l’amour du Christ, mais tous ne lui ouvrent pas leur cœur. Aucun autre « mystère de l’histoire » ne nous est révélé, excepté son « ouverture » au salut et à la destruction, à la liberté, au choix, à l’obéissance.

Tout ce qui vient d’être dit me semble devoir déterminer l’attitude chrétienne envers les Juifs et la religion hébraïque. Je dis « devoir » car si les chrétiens ont si souvent agi autre­ment qu’ils l’auraient dû, cela atteste leur infidélité au Christ et à la Vérité et non l’insuffisance ou l’imperfection de la Vérité elle-même. Cette Vérité est au contraire simple et claire. En ce qui concerne les Juifs comme hommes, la vérité est tout entière dans l’application du commandement nou­veau du Christ au sujet de l’amour. Il ne s’agit pas de voir en eux les objets d’un amour particulier ou d’une haine particulière, mais de l’amour du Christ qui, selon l’Apôtre, « a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rom. 5, 5), et grâce auquel en chaque homme nous voyons l’image du Christ, celui que le Christ a aimé et pour qui II est mort sur la croix, en d’autres termes notre prochain. Je sais qu’à beaucoup ceci paraîtra un sermon pieux, notoirement inadéquat par rapport à la complexité et au caractère tragique de la « question juive ». Je suis cependant convaincu que tout ce qui est de l’ordre du mal, comme tout ce qui est de l’ordre du bien, est indis­sociable. Tout au long de leur histoire pleine de chutes et de trahisons, les chrétiens ont souvent persécuté les Juifs, mais ils ont aussi brûlé des hérétiques, mené des guerres de religion, et dans la guerre civile et religieuse sanglante en Irlande, ils donnent actuellement au monde un effroyable exemple de l’impuissance de leur propre foi. Tout le problème est là : tant que nous n’aurons pas appris à mesurer tout ce qui est mal par référence au Christ, à voir dans chaque manifestation du mal toujours le même Mal, toujours la même trahison vis-à-vis du Christ, toujours le même asser­vissement à « la chair et au sang », notre lutte même contre le mal sera viciée de l’intérieur par ce mal, ses justifications et ses excuses. L’amour de Dieu suffit, car il n’y a rien qui lui soit supérieur, lui seul nous rend manifeste que toute persécution au nom de « la chair et du sang », comme toute exaltation de « la chair et du sang » est un péché contre l’Esprit et la Vérité.

Quant à la religion judaïque, je suis également persuadé qu’il faut la considérer en fonction de la loi du Christ, qui est simple et lumineuse. Il me semble indubitable que pour les chrétiens la religion judaïque après le Christ est tout simplement l’une des religions, et c’est ainsi que la conçoivent les Juifs croyants. Pour tout croyant, sa propre religion est véridique et cette conviction mérite un total respect ; de même toute offense au sentiment religieux d’un homme doit être condamnée de façon absolue. Cependant, sous peine de se trahir lui-même, le christianisme doit distinguer dans chaque religion ce qui est de Dieu et ce qui est limité et déficient à la lumière de la Vérité plénière manifestée dans le Christ. Le christianisme ne peut sans se trahir lui-même admettre que le Christ est pour les chrétiens mais pas pour les Juifs, les Musulmans, les Bouddhistes, etc. C’est pourquoi la relation traditionnelle évidente du christianisme avec les autres religions a toujours été, et ne pouvait pas ne pas être, une relation missionnaire, en vue d’annoncer le Christ à tous les hommes. Et s’il faut rejeter avec dégoût toute contrainte, tout mensonge, toute ruse, toute malhonnêteté dans l’exercice de cette mission, tout ce qui l’a si souvent empoisonnée et qui est absolument incompatible — faut-il le dire ? — avec l’esprit de l’Évangile, on ne peut douter que le christianisme est missionnaire par nature.

En fin de compte, le christianisme n’a rien à proposer aux autres religions excepté le Christ car il n’a pas d’autre contenu. Mais cela signifie également que les relations entre le christianisme et les autres religions comportent inévita­blement une tension qui est propre à la nature même du message chrétien, de la foi chrétienne, dans toute la mesure où ce message implique une conversion au Christ, une révi­sion de toutes les valeurs, une victoire sur tout ce qui est uniquement « la chair et le sang ». Le Christ demeure jusqu’à la fin des temps « la pierre d’achoppement et de scandale » « pour la chute et le relèvement d’un grand nombre ». Ce « scandale » et la tension qui en résulte ne peuvent être évacués du christianisme. Mais en fait, il y a dans cette tension, dans cette contestation au nom de ce qui est essentiel et ultime, plus d’amour véritable et responsable pour les hommes que dans cet œcuménisme à bon marché qui, dans son désir « d’arrondir les angles » conduit à dévaluer toutes les religions, à remplacer la foi par un humanisme impuis­sant, inacceptable, au fond, pour toute religion véritable.

C’est pourquoi les considérations du Père S. Boulgakov au sujet de « l’hébraïcité » d’Adam et du judéo-christianisme comme plénitude à venir pour l’Eglise me paraissent elles aussi inutiles, fantaisistes. Pour condamner et rejeter l’anti­sémitisme, il n’est pas nécessaire de tomber dans un « pan- sémitisme » étranger à l’Écriture Sainte, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament. Au contraire, si, selon la foi constante de l’Eglise, il n’y a en Christ, nouvel Adam, « ni Grec ni Juif », si le sens de sa venue est de recréer l’homme « à l’image de son Créateur », il n’y a aucune raison d’appliquer au premier homme ces catégories limitées de « la chair et du sang », de lui attribuer la limite d’un nom quelconque autre que celui d’« homme » qui lui a été donné par Dieu. Dans la doctrine chrétienne, la judaïcité du Christ « selon la chair », qui Lui a été transmise par sa Mère et qui L’a fait « consubstantiel à nous selon son humanité », est tou­jours entendue à la lumière de sa naissance virginale, avec Dieu comme Père, ce qui en fait le nouvel Adam, fondateur de toute la race humaine nouvelle en qui « ni la circoncision ni l’incirconcision » ne signifient plus rien, mais en qui tous sont une nouvelle créature. « Le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22), mais cela ne veut pas dire que tous deviennent juifs ; cela veut dire que la promesse faite à un homme, à une tribu, à un peuple, et qui trouve son accomplissement en Christ, est étendue à tous les hommes, est donnée en Christ à toute l’humanité ; cela veut dire qu’il est mis un terme à la Loi, relative à « la chair et au sang », et que commence le règne de la Grâce… Il en est de même en ce qui concerne le judéo- christianisme. Ce mot désigne habituellement la première période de l’histoire de l’Eglise, lorsque la majorité de ses membres étaient des Juifs selon la chair ; c’est l’époque où l’Eglise a pris conscience d’elle-même et s’est manifestée comme l’accomplissement de l’Ancien Testament en tant que « nouvel Israël ». Mais cette période se situe au début de l’Eglise, elle en est le commencement, dont dépend, sur lequel est fondée toute sa vie. C’est sa mission entière qui a le monde pour objet, et pas seulement à la fin, comme quelque chose que l’on espère encore et qui doit encore advenir. L’Eglise a toujours condamné comme une terrible hérésie toute tentative de séparer le Nouveau Testament de l’Ancien, de nier l’accomplissement de l’un par l’autre. Mais elle a également condamné l’hérésie contraire, celle d’un « judéo-christianisme » en cercle fermé et autosuffisant, c’est-à-dire le prolongement à l’intérieur de l’Eglise de quelque différenciation que ce soit en fonction de la « chair et du sang ». C’est pourquoi la plénitude de l’Eglise ne nécessite aucun judéo-christianisme nouveau, car toute la vérité éternelle, tout le sens du « judéo-christianisme » sont déjà contenus dans cette plénitude et en sont le fondement.

Telles sont, me semble-t-il, les prémisses de la tradition chrétienne, indispensables et partant suffisantes — c’est au moins ma conviction — pour résoudre tous les problèmes difficiles et douloureux. En fin de compte, tout dépend de notre fidélité, en tout et toujours, à la Vérité libératrice du Christ.

Le Messager de l’ACER n° 112-113, 1974


 

Le Messager Orthodoxe, Revue de pensée et d’action orthodoxes
16e année, No 71, I — 1976, Paris, p. 19-27

 


 

 

 

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