Catéchèse, Orthodoxie

La place du bienheureux Augustin dans l’Église Orthodoxe – V – Le Neuvième Siècle : Saint Photios le Grand

9 novembre 2020

La théologie du bienheureux Augustin (et non plus sa théologie sur la grâce seulement) devint controversée pour la première fois en Orient vers la fin du neuvième siècle, en liaison avec le fameux débat sur le Filioque (L’enseignement de la double procession du Saint Esprit : du Père et du Fils, et non du Père seulement, comme l’Orient avait toujours professé).
 

 

Cela occasionna, pour la première fois en Orient, l’examen soigneux de toute la théologie d’Augustin par un Père Grec (saint Photios) ; car les Pères des Gaules qui s’étaient opposés à lui sur le problème de la Grâce, quoiqu’ils eussent enseigné dans l’esprit oriental, vivaient en Occident et écrivaient en latin.

La controverse du neuvième siècle sur le Filioque est un vaste sujet sur lequel un livre fort instructif a été récemment publié 1. Ici nous nous concentrerons uniquement sur l’attitude de saint Photios envers le bienheureux Augustin. Cette attitude est essentiellement la même que celle des Pères des Gaules du cinquième siècle, mais saint Photios donne une explication plus détaillée de ce qu’est le point de vue orthodoxe à l’égard d’un grand et saint Docteur qui a erré en matière de doctrine.

Dans l’un de ses ouvrages, sa Lettre au Patriarche d’Aquilée (qui était l’un des apologistes du Filioque les plus en vue en Occident, à l’époque de Charlemagne), saint Photios répond à diverses objections. A l’affirmation : « Le grand Ambroise, ainsi qu’Augustin, Jérôme et certains autres ont écrit que le Saint Esprit procède également du Fils », saint Photios rétorque :

Si dix ou même vingt Pères ont dit cela, six cent ou encore une multitude ne l’ont pas dit. Quels sont ceux qui offensent les Pères ? Ne sont-ce point ceux qui, emprisonnant la foi intègre de ces quelques Pères dans certains mots et les plaçant en contradiction avec les conciles, les préfèrent à la foule innombrable (des autres Pères) ? Ou bien sont-ce ceux qui choisissent pour défenseurs tous les autres Pères ? Qui fait offense aux bienheureux Augustin, Jérôme et Ambroise ? Est-ce celui qui les forcent à rentrer en contradiction avec notre commun Maître et Précepteur, ou bien est-ce celui qui, ne faisant rien de semblable, désire que tous suivent le décret du Maître commun ?

Alors saint Photios présente une objection typique de cette mentalité latine trop souvent bornée dans sa logique : « S’ils enseignent correctement, alors toute personne qui les considère comme Pères doit accepter leurs idées ; mais s’ils n’ont pas parlé avec piété, ils doivent être rejetés ensemble avec les hérétiques ». La réponse de saint Photios à cet esprit rationnel est un modèle de profondeur, de sensibilité et de compassion avec lesquels un véritable orthodoxe regarde ceux qui ont erré de bonne foi :

N’y a-t-il point eu de circonstances complexes qui ont forcé beaucoup des Pères à s’exprimer d’une manière imprécise, en partie pour répondre, en s’adaptant aux circonstances, aux attaques d’ennemis, et parfois en raison de l’ignorance humaine à laquelle ils étaient eux aussi exposés ? … Si certains ont parlé avec imprécision, ou même, pour quelque raison inconnue de nous, ont dévié du droit chemin, mais s’ils n’ont pas été contestés et si personne ne les a mis en mesure de connaître la vérité, nous les admettons dans la liste des Pères, tout comme s’ils n’avaient rien dit de tel, en raison de la droiture de leur vie, de leur vertu remarquable et de leur foi irréprochable à tout autre égard. Nous ne suivons pas, cependant, leur enseignement là où ils sont sortis du sentier de la vérité… Quant à nous, sachant que certains de nos Saints Pères et Docteurs se sont écartés de la foi des vrais dogmes, nous n’acceptons pas comme doctrine ces domaines dans lesquelles ils se sont égarés, mais nous embrassons les hommes. Ainsi, également dans le cas où quelqu’un aurait affirmé que l’Esprit procède du Fils, nous n’acceptons pas ce qui s’oppose aux paroles du Seigneur, mais nous ne l’écartons pas non plus du rang des Pères.  2

Dans un traité postérieur consacré à la Procession du Saint Esprit, la Mystagogie, saint Photios parle dans le même esprit d’Augustin et des autres qui ont erré en ce qui concerne le Filioque, et de nouveau défend Augustin contre ceux qui voudraient à tort le situer contre la tradition de l’Eglise, exhortant les Latins à couvrir les erreurs de leurs Pères « par le silence et la gratitude » 3

Si l’enseignement d’Augustin sur la Sainte Trinité, comme celui sur la Grâce, n’atteint pas son objectif, ce n’est pas tellement qu’il se trouvait dans l’erreur sur un point particulier ; car, en prenant connaissance de l’enseignement oriental sur la Sainte Trinité dans son intégralité, il n’aurait probablement pas enseigné que l’Esprit procède « également du Fils ». C’est plutôt qu’il approcha toute la dogmatique d’un point de vue « psychologiquement » différent, qui n’était pas aussi adéquat que celui de l’approche orientale dans son expression de la vérité sur notre connaissance de Dieu ; ici, comme sur la Grâce et d’autres doctrines aussi, l’approche plus bornée des latins n’est pas tant « mauvaise » que « limitée ». Quelques siècles plus tard, le fameux Père oriental, saint Grégoire Palamas, était en mesure d’excuser certaines formulations latines de la Procession du Saint Esprit (tant qu’il n’était pas question de Procession de l’Hypostase du Saint-Esprit), ajoutant : « Nous ne devons pas nous comporter d’une manière aussi inconvenante, nous querellant vainement pour des mots ». 4 Mais même pour ceux qui enseignèrent incorrectement à propos de la Procession de l’Hypostase du Saint-Esprit (comme le supposait saint Photios en ce qui concerne le bienheureux Augustin), s’ils ont enseigné ainsi avant que le sujet ait été débattu partout dans l’Eglise et que la doctrine orthodoxe leur ait été présentée clairement, ils doivent être traités avec clémence et « n’être pas chassés du rang des Pères ».

Le bienheureux Augustin lui-même, devons-nous ajouter, était tout à fais digne de la condescendance aimante que montre saint Photios envers ses erreurs. Dans la conclusion de son livre Sur la Trinité , il écrivit :

Ô Seigneur le seul Dieu, Dieu-Trinité, tout ce que j’ai dit dans ces livres qui soit de Toi, puissent-ils le reconnaîtrent ceux qui sont Tiens, et si quelque chose vient de moi, puisse-t-elle être pardonnée à la fois par Toi et par ceux qui sont Tiens.

Au neuvième siècle, donc, alors qu’une autre erreur importante du bienheureux Augustin, exposée, devenait sujet à controverse, l’Orient orthodoxe continuait à le considérer comme un Saint et un Père.

 


 

Hieromonk Seraphim Rose, The Place of Blessed Augustine in the Orthodox Church, p. 27-29, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1983
Traduit de l’anglais par Thierry Cozon
Version électronique disponible sur le site de La Voie Orthodoxe
Publié ici avec l’aimable autorisation de l’Archiprêtre Quentin de Castelbajac

 


  1. Richard Haugh, Photios and the Carolingians, Belmont, Mass, 1975
  2. Richard Haugh, Photios and the Carolingians, p. 136-7, Belmont, Mass, 1975
  3. Photios and the Carolingians, pp.151-153
  4. Rev. John Meyendorf, A Study of Gregory Palamas, The Faith Press, London, 1964, pp. 231-2

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