Les postes de péage aériens
L’endroit particulier qu’habitent les démons dans ce monde déchu et l’endroit où les âmes des hommes qui viennent de mourir les rencontrent, c’est l’air. L’évêque Ignace décrit ce royaume, qui doit être clairement compris afin que les expériences après la mort d’aujourd’hui deviennent complètement compréhensibles.
« La Parole de Dieu et l’Esprit qui agit en elle nous révèlent, par l’intermédiaire de ses vases d’élection, que l’espace entre le ciel et la terre, toute l’étendue d’azur de l’air qui nous est visible sous les Cieux sert d’habitat aux anges déchus qui ont été précipités du Ciel… Le saint apôtre Paul appelle les anges déchus les esprits du mal sous les Cieux [Eph VI :12] et leur chef, le prince des puissances de l’air [Eph II :2]. Les anges déchus sont dispersés en une multitude dans toute l’immensité transparente que nous voyons au-dessus de nous. Il n’ont de cesse de semer le trouble dans les sociétés humaines et dans chaque personne séparément ; il n’y a pas de mauvaises actions, pas de crimes dont ils ne soient les instigateurs et les participants ; ils incitent et dirigent les hommes vers le péché par tous les moyens possibles. Votre adversaire, le diable, dit le saint apôtre Pierre, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer [I Pierre V : 8] aussi bien pendant notre vie terrestre qu’après la séparation de l’âme et du corps. Lorsque l’âme d’un chrétien, quittant son habitat terrestre, commence à s’élever à travers les espaces aériens vers la patrie céleste, les démons l’arrêtent, essayant de trouver en elle une parenté avec eux-mêmes, avec leur nature pécheresse et déchue, et de l’entraîner dans l’enfer préparé pour le diable et ses anges [Mt XXV : 41]. Ils agissent ainsi par leur droit acquis » 1
Après la chute d’Adam, continue l’évêque Ignace, quand le paradis fut fermé à l’homme et qu’un ange à l’épée flamboyante y fut placé pour le garder [Gn III :24], le chef des anges déchus, Satan, avec les hordes des esprits assujettis à lui,
s’est dressé sur le chemin menant de la terre au paradis, et depuis ce temps jusqu’à la Passion salvatrice et la mort donatrice-de-vie du Christ, il n’en a jamais laissé l’accès à une seule âme humaine ayant quitté le corps. Les portes des Cieux étaient fermées aux hommes pour toujours. Les justes aussi bien que les pécheurs descendaient dans l’enfer (après la mort). Les portes éternelles et le chemin infranchissable se sont ouverts (uniquement) pour notre Seigneur Jésus Christ 2
Après notre rédemption par Jésus Christ,
tous ceux qui ont ouvertement rejeté le Rédempteur, font partie de l’héritage de Satan ; leur âme, après sa séparation du corps, descend directement dans l’enfer. Mais les chrétiens qui sont enclins à pécher sont également indignes d’être immédiatement transféré de la vie terrestre à l’éternité bienheureuse. La Justice elle — même exige que ces inclinations au péché, ces trahisons envers le Rédempteur soient pesées et évaluées ; jugement et discernement sont nécessaires pour définir le degré d’inclination de l’âme chrétienne au péché, pour définir ce qui prédomine en elle — vie éternelle ou mort éternelle. Le juste Jugement de Dieu attend chaque âme chrétienne après sa séparation du corps, comme l’a dit le saint apôtre Paul : Il est réservé aux hommes de mourir une fois, après quoi vient le jugement [Heb 9, 27].
Pour tester les âmes qui traversent les espaces aériens, les puissances des ténèbres ont installé des lieux de jugement séparés et des gardiens en un ordre remarquable. Dans les couches de l’atmosphère, de la terre jusqu’au Ciel même, des légions d’esprits déchus montent la garde. Chaque division est en charge d’une certaine forme de péché, par lequel elle éprouve l’âme qui arrive à sa hauteur. Les gardiens démoniaques des airs et les lieux du jugement aériens sont appelés dans les écrits des Pères les postes de péage et les esprits qui y montent la garde les percepteurs 3
1. Comment devons-nous comprendre les postes de péage ?
Probablement aucun aspect de l’eschatologie orthodoxe n’a été aussi mal compris que ce phénomène des postes de péage aériens. Beaucoup de ceux qui ont fait leurs études dans les séminaires orthodoxes modernistes d’aujourd’hui ont tendance à rejeter tout le phénomène comme quelque addition tardive à l’enseignement orthodoxe, ou comme une sorte de domaine imaginaire, sans fondement dans les textes patristiques ou scripturaux ni dans la réalité spirituelle. Ils sont les victimes d’une éducation rationaliste qui n’a pas la conscience nuancée des différents niveaux de réalité qui sont souvent décrits dans les textes orthodoxes, ni des différents niveaux de sens souvent présents dans les écrits scripturaux et patristiques. L’accent exagéré que mettent les rationalistes modernes sur le sens littéral des textes, ainsi qu’une compréhension réaliste ou mondaine des événements décrits dans l’Écriture et dans les Vies des Saints tendent à cacher ou même à supprimer complètement les sens spirituels et les expériences spirituelles qui sont souvent primordiaux dans les sources orthodoxes. Par conséquent, l’évêque Ignace qui, d’un côté, était un intellectuel moderne et raffiné, et de l’autre un simple et véritable enfant de l’Église peut très bien servir de pont par lequel les intellectuels orthodoxes d’aujourd’hui pourraient retrouver leur chemin de retour, à la véritable Tradition de l’orthodoxie.
Avant de présenter plus amplement l’enseignement de l’évêque Ignace sur les postes de péage aériens, citons les avertissements de deux penseurs orthodoxes, l’un moderne, l’autre ancien, à l’adresse de ceux qui entreprennent des recherches sur la réalité de l’autre monde.
Au XIXe siècle, le métropolite Macaire de Moscou, dans son traité sur l’état des âmes après la mort, écrit :
On doit noter que, comme en général dans la peinture des objets du monde spirituel, certains aspects plus ou moins sensoriels et anthropomorphiques sont inévitables pour nous qui sommes habillés de chair — ainsi ces aspects sont aussi inévitablement présents dans le cas particulier de la doctrine détaillée des postes de péage que l’âme humaine traverse après sa séparation du corps. Ainsi, on doit se souvenir fermement de l’instruction donnée par l’ange à saint Macaire d’ Alexandrie, lorsqu’il commençait à lui parler des postes de péage : ‹ Accepte les objets terrestres ici comme les représentations les plus faibles des choses célestes ›. On doit imaginer les postes de péage non pas dans un sens grossier et palpable, mais — autant que cela nous est possible — dans un sens spirituel, sans s’attarder à des détails, qui sont présentés, suivant les différents auteurs et les différents récits de l’Église elle-même, de façon variée, même si l’idée fondamentale des postes de péage reste une et la même . 4
Quelques exemples spécifiques de tels détails à ne pas interpréter d’une manière grossière et palpable sont cités par saint Grégoire le Dialogue, dans le quatrième livre de ses Dialogues qui, comme nous l’avons vu, est consacré spécialement au problème de la vie après la mort.
Ainsi, à propos de la vision après la mort d’un certain Reparatus, qui vit un prêtre pécheur en train de brûler au sommet d’un énorme bûcher, saint Grégoire remarque :
« Reparatus vit construire un bûcher, non point parce qu’en enfer il faut brûler du bois pour faire du feu, mais pour l’instruction des vivants, il vit employer à la combustion des méchants le combustible avec lequel les vivants alimentent un feu matériel. Entendant ces choses ordinaires, ils pourraient apprendre à redouter l’extraordinaire. »5
De même, après avoir décrit comment un homme a été renvoyé après la mort, à cause d’une erreur — quelqu’un d’autre du même nom étant celui qui devait quitter cette vie (cela est arrivé aussi dans des expériences d’aujourd’hui) — saint Grégoire ajoute :
« Quand cela se produit […] il faut bien voir qu’il n’y a pas méprise, mais coup de semonce. Car la divine bonté, dans son immense miséricorde, accorde que certains, une fois morts, reviennent à la vie tout transis d’effroi par les tourments infernaux qu’ils ont vus, tandis que naguère ils étaient sceptiques sur ce qu’on en disait. »6
Et quand une personne vit dans une vision après la mort, des demeures en or au paradis, saint Grégoire commente : « Quel homme dans son bon sens l’entendrait ainsi ? […] C’est par ses généreuses aumônes qu’il méritera la récompense de l’éternelle lumière. Voilà pourquoi, de toute évidence, sa maison s’édifie en or. » 7
Plus loin, nous aurons encore à parler de la différence entre les visions de l’autre monde et les véritables expériences extracorporelles qui s’y situent (les expériences des postes de péage, ainsi que beaucoup des expériences après la mort d’aujourd’hui font nettement partie de cette dernière catégorie) ; mais pour l’instant, il nous suffit de savoir que nous devons avoir une approche prudente et sobre de toutes les expériences de l’autre monde. Personne de ceux qui connaissent l’enseignement orthodoxe ne dirait que les postes de péage ne sont pas réels, ne sont pas réellement vécus par l’âme après la mort. [pullquote] Quiconque est tant soit peu familiarisé avec la littérature orthodoxe traitant de la réalité d’après la mort, saura naturellement faire la distinction entre les réalités spirituelles qui y sont décrites et les détails accidentels qui peuvent être exprimés parfois en langage symbolique ou imagé [/pullquote] Mais nous ne devons pas oublier que ces expériences ont lieu dans un monde autre que celui, grossièrement matériel, où nous vivons ; que l’espace et le temps, bien que présents, sont différents de nos conceptions terrestres du temps et de l’espace ; et que les récits de ces expériences dans notre langage terrestre ne rendent pas justice à la réalité. Quiconque est tant soit peu familiarisé avec la littérature orthodoxe traitant de la réalité d’après la mort, saura naturellement faire la distinction entre les réalités spirituelles qui y sont décrites et les détails accidentels qui peuvent être exprimés parfois en langage symbolique ou imagé. Ainsi, par exemple il n’y a pas de bureaux ou de postes de garde visibles dans l’air où les taxes seraient perçues, et partout où l’on parle de rouleaux de papier et d’instruments pour écrire en vue de noter les péchés, ou bien de balances pour peser les vertus, ou encore de pièces d’or qui paient les dettes — dans tous ces cas, nous devons comprendre ces images comme des métaphores servant à exprimer la réalité spirituelle que l’âme affronte à ce moment. Quant à savoir si l’âme voit réellement ces images, étant donné sa longue habitude terrestre de voir toujours la réalité spirituelle uniquement par l’intermédiaire de formes corporelles, ou que, plus tard, elle ne puisse se souvenir de son expérience qu’en évoquant de telles images, ou que tout simplement il lui soit impossible d’exprimer ses expériences d’une autre manière — c’est une question tout à fait secondaire et qui ne semble pas avoir retenu l’attention des saint pères ni des rédacteurs de Vies de saints qui ont rapporté de telles expériences. Ce qui est certain, c’est qu’il y a bien une mise à l’épreuve de la part des démons, qui apparaissent sous une forme effrayante mais humaine, accusent le nouveau-venu de péchés et essayent de saisir littéralement la forme subtile de l’âme, qui est tenue fermement par des anges ; et tout cela a lieu dans l’air au-dessus de nous et peut être vu par ceux dont les yeux sont ouverts à la réalité spirituelle.
Revenons maintenant à l’exposé de l’évêque Ignace sur l’enseignement orthodoxe concernant les postes de péage aériens :
2. Témoignage patristique des postes de péage
La doctrine des postes de péage est l’enseignement de l’Église. Il n’y a aucun doute possible (souligné dans l’original !) que ce soit bien d’eux dont parle le saint apôtre Paul quand il dit que les chrétiens doivent lutter contre les esprits du mal sous les cieux [Eph VI :12]. Nous retrouvons cet enseignement dans la plus ancienne Tradition et dans les prières de l’Église. 8
L’évêque Ignace cite beaucoup de saints pères dont l’enseignement comprend la doctrine des postes de péage. Ici, nous en citerons seulement quelques-uns.
Saint Athanase le Grand, dans sa célèbre Vie de saint Antoine le Grand, raconte comment saint Antoine,
Un jour qu’il allait prendre son repas et qu’il se tenait debout pour prier vers la neuvième heure, il se sentit ravi en esprit, et ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’étant debout pour prier, il se vit comme hors de lui-même et comme enlevé dans les airs par plusieurs personnes, et que d’autres pleines de malice et de méchanceté se tenaient dans l’air et voulaient l’empêcher de passer ; comme ceux qui le conduisaient résistaient, ceux-ci leur demandèrent s’il leur appartenait et voulurent lui faire rendre compte de sa conduite depuis sa naissance. Mais ceux qui accompagnaient Antoine s’y opposèrent en leur disant : Le Seigneur a effacé les fautes commises depuis sa naissance, mais depuis qu’il est moine et qu’il s’est consacré à Dieu, vous pouvez en demander compte. L’ayant accusé et n’ayant rien pu prouver, le chemin devint libre pour lui et sans obstacle ; à l’instant, il se vit comme revenu à sa place, rendu à lui-même et redevenu Antoine comme auparavant ; oubliant alors de manger, il passa le reste du jour et toute la nuit à gémir et à prier, s’étonnant de voir combien d’ennemis nous avons à combattre, combien de travaux à endurer pour traverser les airs, et il se rappelait cette parole de l’apôtre : « Selon le prince des puissances de l’air, » [Éphés. II :2] car c’est dans l’air que l’ennemi du genre humain a sa puissance pour combattre et essayer de fermer le chemin à ceux qui veulent le traverser ; voilà surtout pourquoi l’apôtre nous exhorte en disant : « Prenez les armes de Dieu, afin que, fortifiés en tout, vous puissiez aux jours mauvais résister et demeurer fermes [Éph., VI :13], et afin que l’ennemi, n’ayant aucun mal à dire de nous, soit confondu. [Tit II : 8] 9
Saint Jean Chrysostome, décrivant l’heure après la mort, enseigne : « Alors, nous aurons besoin de beaucoup de prières, de beaucoup d’aides, de beaucoup de bonnes œuvres, d’une puissante intercession de la part des anges, lors du voyage à travers les espaces de l’air. Si, en voyageant dans un pays étranger ou une ville inconnue, nous avons besoin d’un guide, combien plus nécessaires sont pour nous les guides et les aides pour nous conduire entre les dignités, puissances et gouverneurs invisibles de cet air et qui sont appelés persécuteurs, publicains et percepteurs. » 10
Saint Macaire le Grand écrit : « Quand vous entendez parler de rivières pleines de dragons, de gueules de lions et des puissances des ténèbres sous les cieux et du feu qui brûle et pétille dans les membres, vous ne vous en inquiétez pas, ignorant que, à moins de recevoir les arrhes du saint Esprit (2 Cor 1,22), ceux-ci retiendront votre âme, lors de sa séparation de votre corps, et ne toléreront pas son élévation au ciel » 11
Saint Isaïe l’Anachorète, un père philocalique du VIe siècle, enseigne que les chrétiens doivent « avoir quotidiennement la mort devant les yeux et veiller à la manière dont s’accomplira notre départ du corps et notre passage au milieu des puissances des ténèbres que nous rencontrerons dans l’air » 12. « Quand l’âme quitte le corps, des anges l’accompagnent ; les puissances ténébreuses sortent à sa rencontre, et, désirant la retenir, la mettent à l’épreuve pour voir si elles trouvent en elle quelque chose de propre à elles-mêmes » 13
Saint Hésychius, prêtre de Jérusalem (Ve siècle), enseigne de son côté : « Elle viendra sur nous, l’heure de la mort, elle viendra et il n’est pas possible d’échapper. Puisse le prince du monde et de l’air, qui viendra aussi alors, trouver nos iniquités peu nombreuses et peu graves et n’être pas dans le vrai en nous accusant… » 14
Saint Grégoire le Dialogue [†604], dans ses Homélies sur l’Évangile, écrit :
« Nous devons considérer avec attention combien sera terrible pour nous l’heure du départ final, quels seront alors l’effroi de notre âme, le souvenir de toutes nos fautes, l’oubli du bonheur passé, la crainte et la vue du juge. […] C’est alors que les esprits malins recherchent dans l’âme qui s’en va leurs propres œuvres : ils lui renvoient l’image du mal qu’ils lui ont suggéré pour l’attirer et l’associer à leurs tourments. Mais pourquoi parler uniquement de l’âme perverse, alors que les démons viennent aussi vers les élus au moment de leur trépas et recherchent en eux, s’ils le peuvent, quelque chose qui leur appartienne ? Parmi les hommes, un seul s’est dressé qui ait pu dire librement avant sa passion : Je ne vous parlerais plus guère ; car il vient, le prince de ce monde, et il n’a rien en moi [Jn 14,30] » 15
Saint Ephrem le Syrien [†373] décrit ainsi l’heure de la mort et le jugement aux postes de péage :
Quand les armées redoutables viennent, quand les divins conducteurs ordonnent à l’âme de sortir du corps, quand ils nous traînent de force et nous conduisent au lieu du jugement inévitable, alors, en les voyant, le pauvre homme… commence à trembler comme d’une secousse tellurique, il est tout tremblant… Les divins conducteurs, prenant l’âme, s’élèvent dans l’air où se tiennent les chefs, les autorités et les gouverneurs du monde des puissances adverses. Ceux-là sont nos accusateurs, les redoutables publicains, scribes, percepteurs ; ils rencontrent l’âme en chemin, enregistrent, examinent et égrènent les péchés et dettes de cet homme, — les péchés de jeunesse et de vieillesse, volontaires et involontaires commis en actes, paroles, et pensées. Grande est la peur ici, grand le tremblement de la pauvre âme, indescriptible est la misère qu’elle souffre de la part des multitudes incalculables de ses ennemis qui l’entourent par myriades et la calomnient pour l’empêcher de monter au ciel, d’habiter dans la lumière des vivants, d’entrer au pays de vie. Mais les saints anges, prenant l’âme, l’emmènent 16
Les offices divins de l’Église orthodoxe contiennent également de nombreuses références aux postes de péage. Ainsi, dans l’Octoèque, œuvre de saint Jean Damascène (VIIIe siècle), nous lisons : « Ô Vierge, à l’heure de ma mort, arrache-moi aux mains des démons, au jugement, à l’accusation, à l’épreuve redoutable des postes de péage cruels, au prince farouche et à la condamnation éternelle, ô Mère de Dieu » 17. Et encore : « Quand mon âme sera près d’être déliée du lien de la chair, intercède pour moi, ô Souveraine… afin que je puisse passer sans obstacle à travers les princes des ténèbres qui se tiennent dans l’air » (samedi, ode 9).
L’évêque Ignace cite dix-sept autres exemples des livres des offices divins, sans que sa liste soit, bien sûr, exhaustive.
L’examen le plus complet de la doctrine des postes de péage aériens chez les pères de l’Église les plus anciens est exposé dans l’Homélie sur le départ de l’âme de saint Cyrille d’Alexandrie [† 444], qui est toujours incluse dans les psautiers slavons. Saint Cyrille dit dans cette homélie, entre autres choses :
Quelle peur et quel tremblement t’attend, ô âme, au jour de la mort ! Tu verras des démons effrayants, sauvages, cruels, impitoyables et sans vergogne, comme de sombres Éthiopiens, se tenir devant toi. Leur seule vue est pire que tout tourment. L’âme, en les voyant, devient agitée, et bouleversée, troublée, cherche à se cacher, se presse vers les anges de Dieu. Les saints anges tiennent l’âme ; en traversant l’air avec eux, elle rencontre les postes de péage qui jalonnent le chemin de la terre au ciel, retiennent l’âme et l’empêchent d’avancer dans sa montée. Chaque poste éprouve les péchés qui le concernent ; chaque péché, chaque passion a ses percepteurs et ses examinateurs.
Beaucoup d’autres saints pères, avant et après saint Cyrille, examinent ou mentionnent les postes de péage. Après en avoir cité un bon nombre, le Métropolite Macaire de Moscou conclut : « Un usage aussi constant, universel et ininterrompu de l’enseignement des postes de péage dans l’Église, surtout parmi les docteurs de l’IVe siècle, prouve de manière indiscutable qu’il a été transmis par les docteurs des siècles antérieurs et est fondé sur la tradition apostolique » 18
3. Les postes de péage dans les Vies de saints
Les Vies des saints orthodoxes contiennent de nombreux récits dont quelques-uns très frappants, sur la manière dont l’âme traverse les postes de péage après la mort. Le récit le plus détaillé se trouve dans la Vie de saint Basile le Nouveau [26 Mars] qui décrit le passage par les postes de péage de la bienheureuse Théodora, raconté par elle dans une vision à Grégoire, un autre disciple du saint. Dans ce récit, vingt postes de péage spécifiques sont mentionnés avec le genre de péché éprouvé par chacun. L’évêque Ignace le cite longuement 19. Ce récit existe déjà en traduction anglaise (Eternal Mysteries Beyond the Grave, pp. 69-87) et ne contient rien de particulier qui ne se trouve dans d’autres sources sur les postes de péage, c’est pourquoi nous allons l’omettre ici pour donner quelques-unes des autres sources. Celles-ci sont moins détaillées, mais suivent la même ligne de base des événements.
Dans le récit du soldat Taxiote, par exemple [Vie des Saints, 28 Mars], nous apprenons qu’il était revenu à la vie après six heures dans le tombeau et avait raconté l’expérience suivante :
Quand j’étais mourant, j’ai vu des Éthiopiens apparaître devant moi. Leur aspect était effrayant, mon âme s’est troublée à leur vue, puis, j’ai vu deux jeunes hommes splendides et mon âme a bondi dans leurs bras. Nous avons commencé à monter dans l’air vers les hauteurs, comme en volant, et nous avons atteint les postes de péage qui gardent le chemin de la montée et retiennent l’âme de chaque homme. Chaque poste éprouvait une forme spéciale de péché : l’un, le mensonge, l’autre, l’envie, le troisième, l’orgueil ; chaque péché a son propre examinateur dans l’air. Et j’ai vu que les anges gardaient toutes mes bonnes actions dans un petit coffre ; les sortant, ils les comparaient à mes mauvaises actions. C’est ainsi que nous avons passé par tous les postes de péage ; et, lorsque nous sommes arrivés au poste de péage de la fornication, les gardiens de ce poste m’ont retenu et m’ont présenté tous mes actes charnels de fornication commis depuis mon enfance jusqu’à maintenant. Les anges qui me guidaient ont dit : ‹ Tous les péchés corporels que tu as commis dans la ville, Dieu les a pardonnés parce que tu t’en es repenti ›. À cela, mes adversaires m’ont dit : ‹ Mais, quand tu as quitté la ville, au village, tu as commis l’adultère avec la femme d’un fermier ›. Les anges, entendant cela et ne trouvant aucune bonne action qui puisse contrebalancer mon péché, m’ont quitté et sont partis. Alors, les esprits mauvais m’ont saisi et m’assommant de coups, m’ont conduit sur terre. La terre s’est ouverte et on m’a fait descendre par un gouffre étroit et nauséabond dans la prison souterraine de l’enfer 20
L’évêque Ignace cite d’autres expériences des postes de péage dans les Vies de saint Eustrate le Grand, martyr (IVe siècle, 13 décembre), de saint Niphon de Constance à Chypre, qui a vu beaucoup d’âmes monter en passant par les postes de péage (IVe siècle, 23 décembre), de saint Syméon le Fol en Christ d’Emesa (VIe siècle), de saint Jean le Miséricordieux, patriarche d’Alexandrie (VIe siècle, prologue pour le 19 décembre), de saint Syméon du Mont Miraculeux (VIIe siècle, prologue pour le 13 Mars) et de saint Macaire le Grand (19 janvier).
L’évêque Ignace ignorait un grand nombre de sources orthodoxes anciennes d’Occident qui n’ont jamais été traduites en grec ni en russe ; mais celles-ci abondent également en descriptions des postes de péage. Le nom de poste de péage, paraît-il, se trouve exclusivement dans les sources orientales, mais la réalité décrite dans les sources occidentales est identique.
Saint Colomba [† 597], par exemple, le fondateur du monastère de l’île d’Iona en Écosse, a souvent vu dans sa vie le combat des démons dans l’air pour les âmes des nouveaux défunts. Saint Adamnan [† 704] rapporte dans sa Vie du saint un de ces épisodes :
Saint Colomba a rassemblé un jour ses moines, en leur disant : « Secourons maintenant par la prière les moines de l’Abbé Comgall, qui se noient à cette heure dans le lac du Veau ; car, voici, en cet instant, ils sont en train de lutter dans l’air contre les puissances hostiles, qui essayent d’arracher l’âme d’un étranger qui se noie avec eux. » Puis, après la prière, il a dit : « Remerciez le Christ car les saints anges ont rencontré maintenant ces âmes saintes et ont délivré cet étranger en l’arrachant triomphalement aux attaques des démons » 21
Saint Boniface, l’apôtre des Germains du VIII siècle, raconte dans une de ses lettres le récit qui lui a été fait personnellement par un moine du monastère de Wenlock qui était mort et revenu à la vie après quelques heures.
Des anges d’une splendeur si pure l’ont accueilli quand il est sorti du corps qu’il ne supportait pas leur vue… ‹ Ils m’élevaient, disait-il, haut dans les airs… › Il racontait plus loin que, pendant le laps de temps qu’il était hors de son corps, une telle multitude d’âmes ont quitté leur corps et se sont rassemblées à l’endroit où il était qu’il ne croyait pas que toute la race humaine sur terre en contenait autant. Il disait aussi qu’il y avait une foule de mauvais esprits et un chœur glorieux des anges supérieurs. Et il a dit que les esprits méchants et les saints anges avaient une violente dispute concernant les âmes fraîchement sorties des corps, les démons s’efforçant de les accabler et d’aggraver le poids de leurs péchés, les anges les allégeant et cherchant des excuses pour eux.
Il entendit tous ses propres péchés, ceux qu’il avait commis depuis sa jeunesse et qu’il n’avait pas confessé ou qu’il avait oublié ou n’avait pas reconnus comme tels et qui criaient maintenant contre lui, chacun en sa propre voix et en l’accusant gravement pour ce qu’il avait fait tous les jours de sa vie. Il entendit ceux qu’il avait négligé de confesser et ce qu’il avait ignoré être un péché. Tout ceci lui a été reproché d’une voix terrifiante. De la même façon, les esprits mauvais, intervenant en accord avec les vices, accusant et rendant témoignage en nommant les lieux et moments exacts des péchés commis, apportaient des preuves de ses méfaits… Ainsi, avec tous ses péchés rassemblés, ces antiques ennemis le déclaraient coupable et sujet incontestable de leur juridiction.
‹ D’autre part, disait-il, les pauvres petites vertus dont j’avais fait preuve de façon indigne et imparfaite, parlaient en ma défense… Et ces esprits angéliques, dans leur amour illimité, me défendaient et me soutenaient, tandis que les vertus, grandement magnifiées, me semblaient beaucoup plus grandes et plus excellentes qu’elles n’auraient jamais pu être pratiquées de ma propre force. › 22
4. Une expérience moderne des postes de péage
La réaction d’un homme éclairé des temps modernes, ayant personnellement été confronté avec les postes de péage après sa mort clinique (qui a duré 36 heures), nous est rapportée dans le livre déjà mentionné plus haut, « Unbelievable for Many but Actually a True Occurrence » :
Les anges, me prenant par les bras, me transportaient dans la rue, en traversant le mur de la chambre. La nuit était déjà tombée et il neigeait à gros flocons. Je voyais cela, mais je ne ressentais ni le froid, ni d’une manière générale la différence de température entre la chambre et la rue. De toute évidence, ces phénomènes n’avaient plus de signification pour mon corps changé. Nous commençâmes à monter rapidement. Plus haut nous étions, et plus l’étendue d’espace se révélant devant les yeux grandissait, pour atteindre finalement des proportions si vastes et terrifiantes que j’étais saisi d’effroi en mesurant l’être insignifiant que j’étais par rapport à ce désert infini…
La notion du temps était exclue de mon état mental de ce moment, et je ne sais pas combien de temps nous passions à monter, mais soudain un bruit indistinct se fit entendre et aussitôt, émergée de quelque part, une cohorte d’êtres hideux s’approchait rapidement de nous.
De mauvais esprits ! — ai-je subitement compris en évaluant le phénomène, avec une rapidité étonnante, qui semblait venir de l’horreur d’une étrange sorte dont je n’avais jamais eu l’expérience. De mauvais esprits ? Ô quelle franche ironie, quel rire moqueur ces mots auraient — ils provoqués de ma part il y a quelques jours seulement ! Rien que quelques heures auparavant, entendre parler quelqu’un, non pas d’avoir vu de mauvais esprits de ses propres yeux, mais tout simplement de croire en leur existence comme en une réalité fondamentale, m’aurait fait réagir de la même façon ! Comme il se devait pour un homme instruit de la fin du XIXe siècle, j’entendais par là des inclinations déréglées, des passions de l’être humain, et c’est pour cette raison que le mot n’avait pas pour moi le sens du nom de quelqu’un, mais un terme qui couvrait une certaine conception abstraite. Et soudain cette conception abstraite est apparue, devant moi comme une personnification vivante ! …
Nous ayant entourés de tous côtés, au milieu de chahuts et de cris perçants, les mauvais esprits exigeaient que je leur fusse livré ; ils essayaient de me saisir et de m’arracher aux anges, mais visiblement ils n’osaient pas ! Au milieu de leurs hurlements confus et inimaginables, aussi répugnants aux oreilles que leur spectacle l’était à mes yeux, je percevais, de temps en temps, des mots et des phrases entières : ‹ Il est à nous ; il a renié Dieu ! › — s’écrièrent-ils soudain presque à l’unisson et se ruèrent aussitôt sur nous avec une telle audace qu’en un instant la peur a figé le cours de toute pensée dans mon esprit. ‹ Mensonge ! — C’est faux ! › — allais-je crier en me ressaisissant, lorsqu’un souvenir survenu à ce propos me lia la langue. D’une façon qui m’était inconnue, je me rappelai soudain un incident si gris et insignifiant et qui, de plus, s’était passé à une époque si lointaine de ma jeunesse qu’il me sembla que je n’aurais pas été capable de m’en souvenir par mes propres efforts.
Ici l’auteur se souvient d’un incident de ses années d’école. Un jour, à l’occasion d’une discussion philosophique entre élèves, l’un de ses camarades dit : « Pourquoi serais-je croyant ? N’est-il pas également possible que Dieu n’existe pas ? » À quoi l’auteur répondit : « Peut-être bien que non ». Confronté à ses accusateurs démoniaques des postes de péage, l’incident est évoqué ainsi par l’auteur :
Cette phrase était, au plein sens du terme, de vaines paroles : le discours insensé de mon camarade ne devait pas du tout provoquer en moi de doute en l’existence de Dieu. J’avais à peine écouté ce qu’il disait et voilà que maintenant il apparaît que mes propos oiseux n’ont pas disparu sans laisser de trace dans l’air ; je devais me justifier, me défendre contre l’accusation qui était dirigée contre moi, de sorte que les paroles du Nouveau Testament se vérifiaient par la pratique : Nous devrons répondre réellement pour toute vaine parole que nous aurons prononcée, si ce n’est par la Volonté de Dieu, qui voit les secrets du cœur de l’homme, alors par la colère de l’ennemi de notre salut.
Cette accusation était évidemment l’argument le plus fort que les démons aient pu avoir pour me perdre ; ils paraissaient en puiser des forces nouvelles pour augmenter l’audace avec laquelle ils m’attaquaient et, avec des mugissements furieux, ils tournoyaient autour de nous, pour nous empêcher d’avancer.
Je me suis souvenu d’une prière et j’ai commencé à prier, appelant à l’aide les saints qui m’étaient familiers et dont le nom me revenait à l’esprit. Mais cela n’effrayait aucunement mes ennemis. Chrétien seulement de nom, triste et ignorant, je pensais alors, pour la première fois peut-être de ma vie, à celle qui est appelée la Médiatrice des chrétiens.
Et mon appel à elle était, bien sûr, intense, tant j’étais pressé par mon âme remplie de terreur. Son nom à peine évoqué et prononcé, une sorte de nuée blanche apparut soudain pour envelopper la hideuse cohue des mauvais esprits. Elle les dissimula à mes yeux avant qu’ils aient pu s’éloigner de nous. Leurs mugissements et ricanements s’entendirent encore longtemps, mais l’affaiblissement progressif de leur clarté et de leur intensité me permit de juger de l’éloignement de la terrible poursuite derrière nous. 23
5. Les postes de péage rencontrés avant la mort
On peut voir ainsi par d’innombrables exemples évidents combien la rencontre avec les démons des postes de péage aériens est une expérience intense et importante pour l’âme après la mort. Elle n’est cependant pas limitée au moment juste après la mort. Nous avons vu plus haut que saint Antoine le Grand l’avait vécue pendant une extase au moment de prier debout. De la même manière, cela est arrivé à un moine, avant sa mort, comme le décrit saint Jean Climaque :
La veille de sa mort il fut tout à coup ravi hors de lui-même ; et dans ce ravissement il regardait, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche ; et comme si des personnes lui eussent fait rendre compte de sa vie, il leur répondait si haut, que tous ceux qui étaient présents pouvaient le comprendre. « Oui, disait-il quelquefois, c’est vrai ; j’ai commis cette faute, mais j’ai jeûné tant d’années pour l’expier » ; et d’autres fois, « Non, je n’ai pas fait ce péché ; vous m’accusez à tort. » Puis il ajoutait : « Je confesse que je me suis rendu coupable de cette faiblesse ; mais j’ai pleuré, j’en ai fait pénitence et j’ai tâché de la racheter par de saints exercices et par des œuvres de charité. Mais c’est absolument à faux que vous m’accusez cette fois » reprenait-il avec vivacité. Sur d’autres chefs, il disait : Vous avez raison ; j’avoue que je suis coupable et que je n’ai rien à répondre pour me justifier ; que je n’ai pour ressource que les Miséricordes de Dieu, en qui je mets toute ma confiance. » Or cet examen extraordinaire et si sévère était un spectacle effrayant et terrible, et autant plus terrible, que ce pauvre moine était accusé des fautes mêmes qu’il n’avait pas commises. Ah ! Juste ciel ! si un solitaire fervent, un anachorète qui, pendant quarante années passées dans la vie érémitique, avait pleuré amèrement ses péchés, et les avait expiés par toute sorte d’austérités, avoue cependant que, sur certaines fautes il n’a rien à répondre pour s’excuser, que pourrai-je donc devenir, moi ? […] Or ce fut pendant qu’il subissait cet examen rigoureux, et qu’on lui faisait rendre compte de sa vie, qu’il rendit son âme à Dieu, sans que nous ayons pu savoir quelle a été la fin de ce jugement, et quelle a été la sentence qu’il a reçue 24
En effet, la rencontre avec les postes de péage n’est qu’une forme spéciale et finale de la lutte générale que chaque âme chrétienne engage au cours de sa vie. L’évêque Ignace écrit : « Comme la résurrection de l’âme chrétienne de la mort du péché est accomplie pendant son pèlerinage terrestre, de la même manière s’accomplit mystérieusement ici, sur terre, sa mise à l’épreuve par les puissances de l’air, sa captivité par elles ou sa délivrance d’elles. Lors du voyage aérien (après la mort), cette liberté ou cette captivité deviennent simplement manifestes. » 25. Il y a des saints — comme Macaire le Grand, dont le passage à travers les postes de péage fut observé par plusieurs de ses disciples — qui passent devant les percepteurs démoniaques sans opposition, car ils les ont déjà combattus et vaincus ici-bas. Voici un extrait de sa Vie :
Quand le moment de la mort arriva pour saint Macaire, le chérubin qui était son ange gardien, accompagné d’une multitude de l’armée céleste, vint chercher son âme. Avec les anges descendirent également des chœurs d’apôtres, de prophètes, de martyrs, d’hiérarques, de moines et de justes. Les démons se mirent en rangs par foules devant leurs postes de péage pour regarder le passage de l’âme théophore. Elle commença son ascension. Se tenant loin d’elle, les esprits des ténèbres lui crièrent depuis leurs postes de péage : ‹ Oh, Macaire, de quelle gloire tu as été gratifié ! › L’humble homme leur répondit : ‹ Non ! Je dois toujours fuir !. › Quand il fut déjà arrivé aux portes du ciel, ils s’écrièrent, pleurant de rage et d’envie : ‹ Cette fois-ci, tu nous as échappé pour de bon, Macaire ! › Il répondit : ‹ Gardé par la Force de mon Christ, j’ai échappé à vos filets. › 26
Les grands saints de Dieu passent par les sentinelles aériennes des puissances ténébreuses avec une aussi grande liberté parce que pendant leur vie terrestre, ils entrent en une lutte sans compromis avec eux, et, remportant la victoire, ils acquièrent, au plus profond de leur cœur, une totale indépendance à l’égard du péché, deviennent les temples et les sanctuaires du saint Esprit, et rendent leur esprit inaccessible aux anges déchus 27
6. Le Jugement particulier
Selon la théologie dogmatique orthodoxe, le passage par les postes de péage aériens fait partie du Jugement particulier, qui décide du destin de l’âme jusqu’au Jugement dernier. Le jugement particulier, aussi bien que le Jugement dernier, est accompli par des anges, qui servent d’instruments de la Justice de Dieu : À la fin du monde, les anges viendront séparer les méchants d’avec les justes et ils les jetteront dans la fournaise ardente. 28
Les chrétiens orthodoxes ont la chance d’avoir l’enseignement des péages aériens et du jugement particulier clairement énoncés dans de nombreux écrits patristiques et dans les vies des saints, mais en vérité, toute personne qui réfléchit attentivement aux paroles des Saintes Écritures, et rien de plus, arrivera à des conclusions similaires. Ainsi, l’évangéliste protestant Billy Graham écrit dans son livre sur les anges : « Au moment de la mort, l’esprit quitte le corps et se déplace dans l’atmosphère. Mais l’Écriture nous enseigne que le diable s’y cache. Il est ‹ le prince de la puissance de l’air › [Éph. II: 2]. Si les yeux de notre intelligence étaient ouverts, on verrait probablement l’air rempli de démons, les ennemis du Christ. Si satan a pu gêner l’ange de Daniel pendant trois semaines dans sa mission sur terre, nous pouvons imaginer l’opposition qu’un chrétien pourrait rencontrer à la mort… Le moment de la mort est la dernière occasion pour satan d’attaquer le croyant véritable ; mais Dieu a envoyé ses anges pour nous garder à ce moment-là. » 29 [Paragraphe traduit par hesychia.eu]
7. Les postes de péage : une pierre de touche d’authenticité des expériences après la mort
Tout ce qui a été décrit dans ce chapitre est évidemment tout à fait différent des scènes de rappel de la vie passée, si souvent évoquées dans les expériences après la mort d’aujourd’hui. Cette dernière expérience — qui arrive aussi souvent avant la mort — n’a rien du divin, rien du jugement ; elle semble plutôt être une expérience psychologique, une récapitulation de la vie passée sous l’œil scrutateur de la conscience du sujet et rien de plus.
[pullquote] Que sont ces beaux paysages si souvent contemplés ? Où est cette cité céleste que les sujets voient ? Quel est ce royaume extracorporel que l’on côtoie indéniablement de nos jours ?[/pullquote]L’absence de jugement, voire le sens de l’humour que beaucoup ont décrits chez l’être invisible qui assiste à ces rappels, sont avant tout un reflet du manque terrible de gravité qui caractérise la plupart des Occidentaux en face de la vie et de la mort. Et c’est pour cette raison que même les Hindous de l’Inde arriérée ont des expériences plus effrayantes que la plupart des gens d’Occident : même sans la vraie lumière de la foi chrétienne, ils ont conservé une attitude plus sérieuse envers la vie que la plupart des gens dans l’Occident post-chrétien frivole.
Le passage à travers les postes de péage — sorte de critère d’authenticité de l’expérience après la mort — n’est pas du tout évoqué dans les expériences d’aujourd’hui, et pour cause. Plusieurs signes — l’absence des anges venant chercher l’âme, l’absence de jugement, la frivolité des récits, la brièveté de la durée (en général de 5 à 10 minutes, face à plusieurs heures ou jours même que durent les expériences citées des sources orthodoxes) — indiquent clairement que les expériences d’aujourd’hui, bien que parfois frappantes et inexplicables par une loi naturelle connue de la science médicale, ne sont pas très profondes. Si elles sont de véritables expériences de la mort, elles ne concernent que le tout début du voyage de l’âme du défunt ; elles se déroulent, pour ainsi dire, dans l’antichambre de la mort, avant que le Décret de Dieu concernant l’âme devienne définitif (ce moment est manifesté par la venue des anges), pendant qu’il est encore possible à l’âme de retourner dans le corps par des moyens naturels.
Il nous reste cependant à fournir une explication satisfaisante des expériences d’aujourd’hui. Que sont ces beaux paysages si souvent contemplés ? Où est cette cité céleste que les sujets voient ? Quel est ce royaume extracorporel que l’on côtoie indéniablement de nos jours ?
La réponse à ces questions peut se trouver aisément en soumettant à l’examen une littérature bien différente de la littérature chrétienne des sources orthodoxes, une littérature basée également sur des expériences personnelles, littérature plus riche et plus détaillée dans ses observations et ses conclusions que les expériences après la mort d’aujourd’hui. C’est vers cette littérature que se tournent Dr Moody et d’autres investigateurs pour trouver, en effet, des analogies remarquables avec les cas cliniques qui ont suscité l’intérêt contemporain à la vie après la mort.
8. L’enseignement de l’évêque Théophane le Reclus sur les postes de péage aériens
L’évêque Ignace Briantchaninov fut le défenseur principal de la doctrine orthodoxe des postes de péage aériens, dans la Russie du XIXe siècle, lorsque des incroyants et des modernistes commençaient déjà à la mépriser. L’évêque Théophane le Reclus ne fut pas moins ferme à la défendre comme partie intégrante de la Tradition orthodoxe sur la guerre invisible ou lutte spirituelle contre les démons. Nous donnons ici l’une de ses remarques sur les postes de péage, qui fait partie de son commentaire sur le verset 80 du psaume 118 : Que mon cœur soit irréprochable grâce à tes jugements, afin que je ne sois pas confondu.
Le prophète ne mentionne pas comment et où l’on ‹ ne doit pas être confondu ›. Le cas le plus immédiat se situe au cours de l’avènement des combats intérieurs…
Le moment suivant pour ne pas être confondu est l’heure de la mort et le passage par les postes de péage. L’idée des postes de péage a beau sembler une absurdité à nos sages selon ce siècle, ils n’y échapperont pas pour autant à l’heure de leur mort. Que cherchent ces percepteurs dans les âmes de passage ? Ils cherchent à voir si elles ont quelques biens à eux. Quelles sortes de biens ? Des passions. Donc, dans une personne dont le cœur est pur et étranger aux passions, ils ne trouveront rien à lui disputer ; par contre, la qualité opposée les frappera comme l’éclair. À ce propos, quelqu’un qui a un peu d’instruction, a exprimé la pensée suivante : Les postes de péage sont quelque chose d’effrayant, mais il est tout à fait possible que les démons, au lieu de montrer des choses effrayantes, présentent quelque chose de séduisant. Ils peuvent présenter quelques illusions charmantes et trompeuses, selon toutes les sortes de passions, suivant le passage de l’âme par tous les postes, les uns après les autres. Quand, au cours de la vie terrestre, les passions ont été bannies du cœur et les vertus opposées y ont été plantées, alors ils ont beau montrer les choses les plus séduisantes, l’âme qui n’a aucune sympathie pour elles, passe devant elles en se détournant avec dégoût. Par contre, quand le cœur n’a pas été purifié, l’âme court vers la passion avec laquelle le cœur a le plus d’affinité, et les démons la prennent comme une amie et savent où la mettre. Ainsi, il est à douter que l’âme, tant qu’il reste en elle des affinités pour l’objet d’une passion, ne soit pas confondue aux postes de péage. Être confondu signifie ici que l’âme elle-même est jetée en enfer.
Mais la confusion finale a lieu au Jugement Dernier, devant la Face du Juge qui voit tout… 30
Traduction de Catherine Pountney
Publié en format numérique sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones
Nous tenons à remercier l’archimandrite Cassien pour la permission de reproduire ici cet ouvrage.
- Évêque Ignace, Collected Works, vol. III, pp. 132-3
- vol. III, p. 134 – 5
- vol. III, p. 136
- Metropolitan Macarius of Moscow, Orthodox Dogmatic Theology (en Russe), St. Petersburg, 1883, vol. 2, p. 538
- Dialogues, IV : 32,5
- Dialogues, IV : 37,2
- Dialogues, IV : 37,16
- Vol. III, p. 138
- Vie de saint Antoine par saint Athanase, traduction littérale du texte grec par M. Charles de Rémondage, p. 59-60, Imprimerie d’Émile Protat, Macon, 1874
- Homélie sur la Patience et la Reconnaissance, lecture prescrite pour le septième samedi après Pâques et les offices de funérailles.
- Fifty Spiritual Homilies, 16,13 ; A. J. Mason tr., Eastern Orthodox Books, Willits, Ca., 1974, p. 141
- Homélie V : 22
- Homélie XVII
- Sur la sobriété et la vigilance, CLXI, in Philocalie des pères neptiques, tome A, volume 2, p. 217, Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles en Mauges, 2004
- Homélies sur les Évangiles XXXIX :8, sur Lc 19,41-47, p.511-3, les éditions du Cerf, Paris, 2008
- St Éphrem le Syrien, Œuvres réunies [en russe], Moscou, 1882, vol. 3, pp. 383-385)
- mode 4, vendredi, ode 8 du Canon des Matines
- Métropolite Macaire de Moscou : Théologie dogmatique orthodoxe [en russe], St Pétersbourg, 1883, vol. 2, p. 535
- vol. III, pp. 151-158
- Le reste de cette Vie peut être lu en anglais dans Eternal Mysteries Beyond the Grave, pp. 169-171
- St Adamnan, Life of Saint Columba, tr. by Wentworth Huyshe, London, George Routledge & Sons, Ltd., 1939, Part III, ch. 13, p. 207
- The Letters of Saint Boniface, tr. by Ephraim Emerton, Octagon Books [Farrar, Strauss and Giroux], New York, 1973, pp. 25–27
- Unbelievable for Many but Actually a True Occurrence, in Orthodox Life, July-August, 1976.
- Septième degré, 55
- Vol. III, p. 159
- Patericon de Scété
- Mgr. Ignace, Vol. III, p. 158-159
- cf. Mt 13,49
- Billy Graham, Angels, God’s Secret Messengers, Doubleday, New York, 1975, pp. 150–51
- The One-Hundred Eighteenth Psalm, Interpreted by Bishop Theophan, Moscow, 1891, reprinted Jordanville, 1976, pp. 289–90; see the English summary printed by New Diveyevo Convent, Spring Valley, N.Y., 1978, p. 24
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