— Un peuple qui croit à ses dieux et respecte leurs lois ne va pas à la conquête d’autres peuples. Il se défend quand on l’attaque, ou va à la guerre quand il a trop faim, mais ne fait pas de la guerre et de la conquête une règle de vie. J’espère ne pas vous avoir offensé.
— Non, Sédida, vous ne m’avez pas offensé. Vos paroles sont justes et vous venez de dire une grande vérité. Mon peuple a perdu la foi. Il cherche en ce moment un nouveau Dieu et la guerre est peut-être une manière de le chercher. Non pas la plus juste, je le reconnais.
— Il y a trente ans, plus de trente ans, j’étais une petite fille encore, les vôtres ont attaqué notre roi Zyraxés, après avoir conquis le royaume d’un autre roi gète, Dapyx. Mon père a lutté contre les légions. Il se trouvait avec Dapyx, avec les forces envoyées par notre roi Zyraxés et il m’a tout raconté. Souvent, en hiver, il nous parlait de cette guerre terrible. Les nôtres ont été vaincus dans la plaine et se sont réfugiés après dans la ville de Dapyx, autour de laquelle les Romains ont mis tout de suite le siège. Le chef des vôtres s’appelait Licinius Crassus, vainqueur des Bastarnes. La ville aurait résisté jusqu’en hiver, quand le froid et la neige auraient décidé les Romains de Crassus à abandonner le siège, mais il y eut un traître parmi nous. Il s’entendit avec Crassus en langue grecque, devant nos soldats, car il parlait du haut de la muraille et tous nos guerriers pouvaient les entendre. Mais aucun des nôtres, sauf le traître, ne comprenait la langue grecque. Pendant la nuit, il ouvrit une porte. Dapyx continua à se battre dans les rues, à la lueur des flammes qui dévoraient nos maisons. Mais les Romains étaient bien plus nombreux. Quand tout espoir fut perdu, Dapyx se donna la mort et tous les chefs l’imitèrent. Quand Licinius Crassus pénétra dans le réduit du roi, il le trouva mort, au milieu des siens et de tous les grands du royaume qui avaient préféré le trépas aux chaînes. Pendant cette dernière phase du combat, le peuple de la ville réussit à prendre la fuite par une autre porte, en emportant les biens les plus précieux. Protégés par les ténèbres les fuyards s’éloignèrent de la ville. Le jour suivant, ils arrivèrent à la grotte de Keiris, du côté de la mer, non loin d’Istria, où ils se cachèrent tous, avec leurs troupeaux et leurs biens, car cette grotte est plus vaste qu’une ville. Crassus ne leur donna pas de répit. Il se présenta devant l’entrée de la caverne, mais n’essaya même pas d’y pénétrer. Il fit ce que peut faire un homme qui a perdu la foi dans ses dieux. Il fit murer l’entrée de la grotte de Keiris et tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants, vieillards et bêtes, moururent après des semaines de longue agonie. Non, mon père ne s’y trouvait pas, car il avait pris la fuite, la nuit précédente, au moment où la ville tombait aux mains des vôtres, pour porter à Zyraxés la nouvelle de la défaite de Dapyx. Notre roi, informé par mon père, alla se réfugier à son tour entre les murs de la ville de Génucla, située du côté de la mer, entre les mille bras de l’Ister, au milieu des forêts et des marécages. Mais Crassus attaqua la ville et la prit d’assaut une nuit, en tuant beaucoup des nôtres. Selon ce que mon père me disait, Crassus cherchait quelque chose à Génucla et il le trouva en effet, ce qui explique son acharnement. Vous vous rappelez que, trente ans avant cette histoire, les Gètes avaient écrasé les Romans, dirigés par Gaius Antonius, si je ne me trompe, sous les murs d’Histria. Nous étions les alliés des Bastarnes, mais ce furent les nôtres qui décidèrent la victoire et qui emportèrent avec eux les étendards des Romains, pour les mettre à l’abri dans le château du roi, à Génucla. Ce fut là que Crassus vint les chercher. Et cela ne va jamais finir. Cela finirait peut-être au moment où vos légions arriveraient à conquérir tout notre pays. Ou bien, quand nos rois nous conduiront à Rome, en vainqueurs.
— Vous croyez que cela est possible ?
— Tout est possible. Notre peuple est grand. Nous avons un seul Dieu et nous y croyons, ainsi qu’aux lois qu’Il nous a données. Ce qui nous manque encore c’est un seul roi. Vous avez un seul roi, mais trop de dieux. L’avantage est encore de notre côté. J’espère ne vous pas avoir offensé ».
Sédida ne s’est pas encore habituée à la solitude. Elle aime à bavarder et elle profite de ma présence. Mais ses histoires ne m’ennuient pas. C’est une femme intelligente, elle sait beaucoup de choses et sa mémoire est extraordinaire. Elle commande une douzaine d’hommes qui s’occupent de ses biens, c’est-à-dire de ses champs et de ses troupeaux. Le fleuve forme en cet endroit une boucle qui côtoie les petites montagnes de la rive droite, où se trouvent Troesmis, la maison de Sédida et des villages gètes, soumis aux Thraces et aux Romains. De l’autre côté de l’eau s’étend la terre des Daces libres, une plaine verte, parsemée d’arbres, où on voit aussi quelques villages et des troupeaux avec leurs bergers. Sédida m’a prêté pour mon voyage un chariot couvert, à quatre roues, et deux chevaux. Elle ne veut rien en échange. Un de ses hommes m’accompagnera. Mon but est Kogaïonon, la montagne sacrée des Daces, au sommet de laquelle vit le grand prêtre, entouré de ses moines. Mon voyage durera trois ou quatre jours, d’après ce que Sédida m’a dit, et à mon retour, je trouverai sûrement quelque galère grecque ou romaine qui me portera à Tomes. Je suis seul en ce moment. Le chant aigu des cigales envahit ma chambre, l’air semble possédé par cette musique qui annonce l’approche de l’été et des grandes chaleurs. Le ciel est clair, sans un nuage, je peux apercevoir une partie du fleuve, avec des barques à l’amarre, des collines d’un vert intense à droite et, de l’autre côté de l’eau, la plaine avec des champs de blé qui commencent à jaunir par endroits. La conversation avec Sédida me fait penser à la fatalité qui dévore notre peuple. Les dieux ont été remplacés, depuis Jules César, par un homme et l’empire est devenu l’image même de cette terrible métamorphose. La loi nous est imposée par un homme et les dieux sont morts. Ou bien c’est nous qui sommes morts pour eux. La guerre devient ainsi le symbole de la mort, et nous la portons en nous, avec violence, depuis que nous avons perdu la foi. Les guerres que nous faisons partout ne sont que la preuve de cette décomposition. Nous portons la mort avec nous, comme une épidémie et nous appelons « victoires » les hécatombes, et « triomphes » les enterrements. Et on ne peut rien faire, rien entreprendre pour arrêter le mal. Il y en a peu parmi nous qui pourraient comprendre et se laisser convaincre. Et à quoi bon se laisser convaincre, me dirait-on à Rome ? Pour détruire nos temples et pour adorer Zamolxis, un dieu barbare ? Ou bien pour tout reprendre, depuis le commencement, croire de nouveau à nos dieux avec la même ardeur qu’Énée et Numa Pompilius et faire la paix avec tout le monde. C’est absurde. Rome est vieille. Est-ce que je ne voudrais pas reprendre ma vie, depuis mes premières années d’homme conscient, redevenir jeune, vivre d’une autre manière, sans erreurs, attaché à d’autres idéals ? Et cela m’est impossible, comme il est désormais impossible que Rome retourne aux temps des rois fidèles à leurs dieux. Sédida se fait des illusions. Les rois daces n’arriveront jamais à Rome. C’est Rome qui leur portera la mort, jusqu’aux fonds de leurs bois, avant de s’effondrer elle-même, épuisée par ses erreurs. Et le monde finira-t-il à ce moment ? Quelque chose d’inattendu se passera, quelque chose qui a commencé déjà à se passer, je ne sais pas quoi, ni où, mais l’air du monde en est plein, saturé comme d’une humidité que les hommes les plus sensibles sentent, sans en connaître le nom et qui redonnera au genre humain la fraîcheur d’un nouveau commencement. Je ne peux exprimer cette chose, qui pourrait être un nouveau Dieu, un nouveau peuple, un nouveau soleil dans le ciel, ou autre chose inconnu aux hommes, mais je sais qu’elle adviendra. Et je me trouve ici pour tâcher de savoir si les sages des Gètes, leurs prêtres à la vie exemplaire, ont des signes, si leur doctrine leur parle de ce renouvellement, si proche et si leurs prophètes annoncent déjà cette venue que j’attends et dont le nom et la forme me sont inimaginables. 1
L’idéal suprême
Pour les Daces, la vie d’ici-bas n’a aucun prix. Celui qui meurt au bout des lances, ou bien ceux qui tombent sur le champ de bataille, perdent la vie du corps pour gagner, auprès de Zamolxis, la vie éternelle de l’âme. Ils peuvent donc être les ennemis les plus dangereux, car ils n’ont jamais peur de perdre ce que nous considérons comme le bien suprême et qui est pour eux le moindre des biens. S’ils étaient unis, formant un seul royaume, et s’ils disposaient de nos armes et de notre science militaire, ils seraient, s’ils le voulaient, les maîtres de la terre. Voici une belle contradiction : le peuple qui pourrait être le maître de tous les autres peuples ne voudra jamais obtenir cet honneur, car les Daces dédaignent la gloire terrestre. Leur ambition n’est pas de priver de liberté les autres peuples, mais de conserver la leur, toujours penchés vers l’idéal suprême qu’aucun Dace n’oublie un seul instant : l’heureuse éternité, au delà des limites de ce corps périssable, symbole de la douleur et de l’éphémère. 2
Discerner avec certitude la différence entre le bien et le mal
Zamolxis n’avait peut-être jamais existé. Il n’était que le nom provisoire, l’attribut de Dieu, ce Dieu dont le nom ne s’était pas encore révélé aux mortels, mais le sera d’un jour à l’autre. Nous vivons un temps de folie et d’espoir, le temps de l’attente de Dieu. Les hommes ne seront peut-être pas meilleurs qu’aujourd’hui, après la révélation, mais ils sauront discerner avec certitude la différence entre le bien et le mal. Ils seront donc libres de choisir la bonne ou la mauvaise voie. Des prophètes du peuple d’Israël avaient annoncé la venue de Dieu parmi les hommes et Zamolxis l’avait aussi prophétisée. Les peuples, pendant des milliers d’années encore, allaient s’entretuer, mais un jour viendra où nous serons tous des frères, et le crime et la guerre auront disparu de la terre. 3
Le vrai Dieu a pris notre forme
J’ai beaucoup médité sur la dernière lettre de Théodore. La souffrance du Messie sera, selon ce que j’ai compris, la base de ce royaume dont parlaient les prophètes. Il sera flagellé, ses mains et ses pieds seront transpercés — par des armes, par une lance, par des flèches, ou par des clous — on Lui crachera au visage… Donc les hommes ne Le reconnaîtront pas comme le fils de Dieu et il sera condamné à mort par un Hérode quelconque ou par l’envoyé de César et Il mourra, mais Sa chair échappera aux lois de la chair, elle ne se corrompra pas et Son royaume, après cette mort qui ne sera pas une mort comme les autres, s’étendra sur toute la terre. J’imagine mal cette histoire, faite de fragments disparates, et qui ne sera pareille à aucune autre histoire. L’histoire du fils de Dieu. Son passage parmi les hommes. Sa servitude humaine. Son tourment perpétuel entre la chair et la divinité. Ses paroles qui Lui feront des adeptes, mais qui ne convaincront pas les représentants de l’ordre établi, de l’empire et de ses protectorat — . L’homme-Messie, victime de César, dont les représentants le considéreront comme un rival dangereux. La répétition du geste d’Hérode et de sa peur. Qu’est-ce qu’Il dira aux hommes ? En quelle langue leur parlera-t-Il ? Dans quels lieux ? Quand ?
Tout le reste devient tout à coup d’une petitesse effroyable. Une de mes heures d’aujourd’hui prend l’aspect de l’infini devant toutes les années de ma vie passée. Et toute mon œuvre, tout ce que j’ai écrit et pensé, en dehors de ce journal, s’effrite sous mes doigts comme une statue de cendre. Mon Art d’aimer, comment l’écrirais-je de nouveau après L’avoir entendu parler ? L’amour que j’ai chanté n’est pas l’amour. Je voudrais bien avoir la force de chanter mon amour pour Dokia, car ce n’est pas son corps que je désire, mais autre chose, quelque chose que j’ai toujours aimé en elle et qui était comme une annonce de ce moment. Et Les Métamorphoses, où j’ai accumulé toutes les erreurs d’un monde en train de mourir ? Je pensais que les dieux avaient le pouvoir de nous transformer en bêtes, en plantes et en rochers. Tout cela n’est plus possible. Car le vrai Dieu a pris notre forme, Il s’est métamorphosé en homme, non pas pour jouir, sous la chair, des plaisirs des mortels, mais pour souffrir, pour nous faire comprendre que nous Lui ressemblons dans la douleur. La matière et les bêtes étaient en quelque sorte pareilles aux autres dieux, aux faux dieux du passé, à tous ces défauts qui, dans l’avenir, s’ils sont encore possibles, le seront pour notre honte et pour mieux définir nos fautes et nos crimes devant la perfection qui nous sera demandée. Et les Fastes, où j’ai chanté les gloires de Rome, son temps éternel, n’auront bientôt qu’une valeur de pauvres prodiges, marquant, au courant d’une année, la trace, à peine visible, d’une ombre épuisée et solitaire. Tandis que mes Tristes et mes Pontiques, quelle douleur dérisoire, quelle inutile humiliation devant un dieu dont la chair pourrie ne vaut pas plus que celle de tous les tyrans, plus ou moins illuminés ! L’histoire en pleine débâcle de cette pourriture engendrant la pourriture. Je ne survivrai à mes œuvres que dans l’hypothèse où les hommes du futur conserveront, au milieu de la vraie connaissance qui leur sera donnée, le vice agréable et inutile de la curiosité. En échange, si quelqu’un découvre ce journal, il pourra prendre part aux tourments et aux espérances de ce temps unique où nous vivons : le temps de l’attente et de la certitude. Ce n’est qu’un moment, je le sais, mais un des plus beaux dans l’histoire des hommes, car Dieu se trouve parmi nous et Il n’a pas encore révélé Sa présence. Ce moment passera et nous n’aurons que la certitude. 4
La liberté me rend coupable
— Écoutez bien ce que je vais vous dire. Le vrai Dieu est né, il y a quelques années, dans un village de Judée. Il est venu parmi nous pour parler de la mort des dieux et des hommes.
— Des hommes ? Ha, ha, ha, est-ce que les hommes sont aussi mortels que les dieux ? Quelle stupide histoire venez-vous de me raconter ?
— Il n’y aura plus d’hommes, je veux dire des instruments du destin, aussi enchaînés et féroces que les bêtes. Il n’y aura désormais que des âmes qui décideront chacune de son propre destin. Et Dieu jugera chaque âme à part et pardonnera peut-être à ceux qui ont fait le mal sans le vouloir et qui l’ont regretté après. Vous aussi vous serez peut-être pardonné. Ne croyez pas que vous êtes un instrument du destin. Le mal vient du fond de vous-même.
— Non. Ce serait trop horrible. Je préfère mes dieux et leurs chaînes et cette ressemblance avec les bêtes. Votre Dieu est trop complexe et incommode. Personne ne voudra l’accepter, non, car il complique terriblement les choses. Il nous fait responsables. Je ne veux pas de responsabilité. Je préfère être le jouet de mes dieux, car la liberté me rend coupable.
Il voulut rire, sans succès. Ses traits se refusaient à tout soulagement. Je me rendis compte alors de la tâche difficile qui incombera au Sauveur, car les hommes, si je ne me trompe, sont tous de la trempe d’Hérimon. L’ancienne foi est bien commode. La nouvelle leur fera peur et transformera chacun d’eux en un Prométhée libre de ses actes, directement responsable devant Dieu. Il nous faudra des millénaires pour nous habituer à cette liberté. Et beaucoup de sang coulera, en commençant par le mien. 5
Auguste nous a donné un empire, mais nous a enlevé l’âme
L’amour, en ce moment de notre histoire, est défendu aux Romains. Il n’est possible que dans une société libre où aucune menace ne plane sur les hommes et sur les femmes, dans une société protégée du mensonge, de la peur et du conformisme. Corinne me dit un soir, à Rome, qu’elle ne m’aimait pas. Et j’avais écrit des livres sur ce que je croyais être l’amour, et l’amour de Corinne. Et ce soir-là je me suis rendu compte que moi non plus je ne l’aimais pas, que je ne l’avais jamais aimée. J’avais été capable de chanter son perroquet et ses toilettes, ses maux de tête et ses caprices, mais de son âme je n’avais soufflé mot. Me comprenez-vous ? Auguste nous a donné un empire, mais nous a enlevé l’âme. Sans âme, il n’y a pas d’amour possible. Je ne voudrais pas vous faire de la peine. Mais vous m’avez posé une question et je ne veux pas vous tromper. Le temps est proche où les âmes nous seront rendues. Je l’ai appris ici, à la frontière de cette terre libre. Vous l’apprendrez à Troesmis peut-être et alors vous aurez des amis et vous connaîtrez l’amour. J’ai beaucoup souffert dans ma vie, regardez, la seule pensée d’être obligé de vivre ici, parmi les barbares, après avoir vécu à Rome, me rendait fou de rage. Je rêvais de Corinne, de tout ce que Rome m’avait donné. C’était une fausse rage et une fausse souffrance, aussi fausses que l’amour et le bonheur que j’avais chantés dans ma jeunesse. Une femme dace, en peu d’années, m’a fait connaître plus de vérités que toutes les femmes de Rome. Elle ne m’a jamais appartenu, je ne lui ai jamais parlé de mon amour, mais auprès d’elle j’ai pu me juger en toute sincérité. Je suis un peu pareil à vous, mon ami, je n’ai connu l’amour qu’à travers mes livres, et ce n’était pas l’amour. Cette femme est partie, elle se trouve loin de Tomes, elle ne reviendra jamais, mais sa présence auprès de moi, dans cette maison, m’a rempli de connaissances. Elle m’a fait entrevoir un temps, dans l’avenir des hommes, où l’amour sera possible, même pour nous, les Romains privés d’amour. Vous êtes jeune et vous connaîtrez ce temps. Je suis vieux, mais je n’ai pas perdu l’espoir.
— Tout cela est bien difficile pour moi. Je comprends, si j’ose dire ainsi, ce que l’amour n’est pas. Votre union avec Corinne n’était pas de l’amour. Mais comment accepter ce jugement sans renier vos livres ? Je suis capable de le faire, si vous le jugez ainsi. Mais qu’est-ce que l’amour, en ce cas, vous ne me l’avez pas dit. Est-ce un secret ?
— Non, ce n’est pas un secret. C’est que je ne suis pas capable de vous le dire. Je ne serais même pas capable de l’écrire. Un Art d’aimer selon ce que je sens en ce moment n’est plus possible. Il nous faut de nouvelles paroles, une nouvelle vision de la vie et une nouvelle religion pour trouver la possibilité de créer un nouveau langage et d’exprimer ce que les hommes d’aujourd’hui éprouvent au fond de leur cœur et que leur ignorance les empêche d’exprimer par des jugements et des paroles. J’ai écrit sur l’amour tel qu’il était dans un monde en train de mourir. Les poètes attendent la nouvelle de la naissance de Dieu pour écrire les livres d’un temps qui sera celui de l’amour. » 6
Vintilă Horia, Dieu est né en exil. Journal d’Ovides à Tomes. Librairie Arthème Fayard, Paris, 1960
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