Et voyez : l’apôtre fait servir à l’ornement de cette vertu non-seulement les qualités qu’elle a, mais encore les défauts qu’elle n’a pas. Elle nous mène au bien, dit-il, et elle extirpe le mal. Que dis-je ? elle ne laisse pas aux mauvais germes la faculté de naître.
L’apôtre n’a pas dit, en effet : La charité est jalouse, mais elle étouffe la jalousie. Elle est arrogante, mais c’est un défaut dont elle se corrige. Il a dit : « La charité n’est ni jalouse, ni inconsidérée, ni gonflée d’orgueil ». Et ce qu’il y a de plus admirable, c’est qu’elle fait le bien sans effort ; c’est qu’elle dresse des trophées, sans faire la guerre, sans verser de sang. Ce n’est point au prix de mille sueurs qu’elle donne la couronne à ses adeptes ; elle leur donne le prix du combat, sans les condamner aux fatigues. En effet, là où la raison ne rencontre pas la passion pour adversaire, elle n’a pas la peine de lutter : « Elle ne croit pas qu’on puisse la flétrir ». Pourquoi dire, ajoute l’apôtre, que la charité n’est point gonflée d’orgueil ? Elle est si éloignée d’un pareil défaut, qu’elle ne regarde pas comme un déshonneur tout ce qu’elle a souffert pour l’objet aimé. L’apôtre n’a pas dit : La charité qui s’honore elle-même par sa patience, supporte généreusement le déshonneur ; il a dit qu’elle ne se sent pas même blessée. Car si les hommes cupides, pour étancher la soif du gain qui les dévore, bravent tous les affronts, non-seulement sans honte, ruais avec orgueil, à plus forte raison l’homme qui possède la charité, cette vertu si louable ; ne reculera devant aucun affront et ne rougira pas de sa patience. Mais, pour puiser nos exemples â des sources pures, examinons la charité dans le Christ, et nous pourrons apprécier les paroles de l’apôtre. Notre-Seigneur Jésus-Christ était conspué et souffleté par de misérables esclaves ; et non-seulement il ne voyait pas là de déshonneur, mais ces affronts étaient poux lui autant de triomphes dont il se glorifiait. Quand il introduisait avec lui dans le paradis un voleur et un assassin, quand il adressait la parole à une courtisane au milieu d’un cercle d’accusateurs, il ne voyait pas là un déshonneur. Il permettait, au contraire, à la courtisane de lui baiser les pieds, d’arroser son corps de ses larmes et de lui faire un voile de ses cheveux ; et c’était au milieu de ses ennemis, sur le théâtre de leur haine qu’il donnait un pareil exemple. La charité, en effet, se croit à l’abri de l’humiliation.
Voyez ce père qui tient le premier rang parmi les philosophes et les orateurs. Il ne rougit pas de bégayer avec ses enfants, et ceux qui sont témoins de cet acte de condescendance, loin de blâmer le père, rendent hommage à sa conduite et la citent pour modèle. Les enfants retombent-ils dans les mêmes fautes, le père est toujours là pour les corriger, pour avoir soin d’eux, pour réprimer leurs écarts, et il ne rougit pas de sa minutieuse sollicitude. La charité, en effet, est au-dessus de l’humiliation ; elle a comme des ailes d’or, pour cacher tous les défauts de l’objet aimé. C’est ainsi que Jonathas aimait David. Quand son père lui disait : « Fruit des « amours de quelque fille complaisante, jeune « efféminé » (I Rois, XX, 30), il ne rougissait pas, et c’étaient « là pourtant des paroles bien insultantes. C’était lui dire : Fils de quelque femme folle de son corps qui provoque les passants, être sans force et sans courage qui n’a rien de viril, c’est pour ta honte et pour celle de ta mère que tu vis. Eh bien ! Jonathas s’est-il irrité de ces insultes ? A-t-il été cacher sa honte ? S’est-il éloigné de son ami ? Et pourtant c’était un fils de roi que Jonathas, et David n’était qu’un vagabond. Malgré cela, il n’a pas rougi de son ami ; car la charité n’a jamais lieu de rougir. Ce qu’il y a d’admirable en elle, c’est qu’elle ôte à l’affront tout ce qu’il a de poignant, pour faire trouver, dans ses morsures, une sorte de douceur : aussi Jonathas outragé s’éloigna-t-il de David en l’embrassant, comme s’il venait de recevoir la couronne. C’est que la charité ne connaît pas d’affront. Que dis-je ? Elle trouve de la douceur dans les outrages qui font rougir les autres. Ce qu’il y a de honteux, en effet, c’est de ne pas savoir aimer, c’est de ne pas savoir tout braver et tout souffrir pour l’objet aimé. Quand je dis tout, je ne veux pas dire qu’il faille prêter à un ami un coupable ministère. Il ne faut pas s’employer pour lui auprès d’une femme qu’il aime, il ne faut pas lui accorder quelque honteuse demande. Ce ne serait pas là de l’amitié, et c’est ce que je vous ai démontré plus haut, à propos de la femme égyptienne. Celui-là seul sait aimer qui comprend les véritables intérêts de son ami. Celui qui n’a pas un but honorable aura beau protester de son attachement pour vous ; il sera toujours votre plus grand ennemi. Ainsi Rébecca qui était fort attachée à son fils, commit une fraude, sans rougir ni sans craindre d’être surprise, en s’exposant à un péril assez grand. Et, comme une contestation s’était élevée entre le fils qui résistait et la mère, elle lui dit : « Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ». (Gen. XXVII, 13.)
Homélie XXXIII sur la première épître aux Corinthiens
Saint Jean Chrysostome, Œuvres complètes traduites pour la première fois en français sous la Direction de M. Jeannin, tome neuvième, Arras, 1881, p. 520-521
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