De l’élévation que Jésus Christ il procurée à la nature humaine ; de la vertu de la foi en la divinité de Jésus Christ.
Le Maître de l’univers, mes chers frères, n’a point cru estimer trop cher le salut du genre humain en rachetant au prix du sang qu’il a répandu pour nous. Depuis le jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort, le mystère de notre rédemption a eu son accomplissement par les voies de l’humilité dans lesquelles le Sauveur a marché ; et quoique dans le temps même où il a paru sous la forme de l’esclave, il ait laissé échapper plusieurs signes de sa divinité, néanmoins les opérations de sa vie mortelle ont été particulièrement consacrées à nous prouver la vérité de la nature humaine qu’il avait prise. Mais après sa Passion, ayant brisé les liens de la mort qui perdit son pouvoir pour avoir exercé sa rigueur contre celui qui était exempt de tout péché, sa faiblesse fut changée en force, sa nature mortelle revêtue de l’immortalité, et les opprobres de la croix tournèrent à sa gloire. Le Seigneur Jésus en rendit souvent témoins plusieurs de ses disciples, se manifestant clairement à eux jusqu’au moment où il éleva dans le ciel son humanité sainte, pour la faire jouir de la victoire qu’il avait remportée en triomphant du trépas.
Si la résurrection de notre Seigneur a fait le sujet de notre joie dans la solennité pascale, que de motifs n’avons-nous pas de nous réjouir également en célébrant sa glorieuse ascension au-dessus de tous les cieux ? Rappelons-nous ce jour, cet heureux jour digne de toute notre reconnaissance, où la bassesse de notre nature est élevée en Jésus Christ au-dessus de toute la milice du ciel, de tous les ordres des anges, où, dominant sur toutes les puissances célestes, elle est allée s’asseoir à la droite du Père éternel. C’est ainsi que la sagesse divine, dans la disposition de ses œuvres merveilleuses, nous a fait renaître à la vie de l’esprit ; c’est ainsi qu’elle nous a rendus les temples de Dieu même, afin que sa grâce parût avec encore plus d’éclat, lorsque le Sauveur, après avoir privé les hommes de sa présence sensible, qui leur inspirait avec raison tant de respect pour sa personne, la foi de ses disciples se montrerait non moins vive, leur espérance non moins ferme, et leur charité non moins ardente. C’est, sans doute, un effort digne des grandes âmes, et l’effet de la lumière qui éclaire les vrais fidèles, de croire sans hésiter des choses qui ne tombent point sous les sens, et d’élever tous les désirs de son cœur vers un lieu où la vue ne saurait atteindre.
Comment pourrions-nous pratiquer toutes les vertus qui nous sont recommandées et opérer notre justification par la foi, si notre salut ne consistait que dans des objets soumis à l’examen des sens ? C’est le reproche que fit le Seigneur à l’apôtre qui paraissait douter de la vérité de sa résurrection, jusqu’à ce qu’il eût vu et touché de ses mains les cicatrices de ses plaies, lorsqu’il lui dit : « Tu as cru, Thomas, parce que tu m’as vu : heureux ceux qui ont cru sans avoir vu » (Jn 20,19).
Afin de nous mettre en état de jouir un jour du bonheur promis à lu foi, notre Seigneur Jésus Christ ayant accompli tous les mystères du Nouveau Testament, et pourvu à la prédication de l’Évangile, est monté au ciel le quarantième jour après sa résurrection, à la vue de ses disciples. Il les a privés de sa présence corporelle pour aller occuper à la droite de son Père la place qui lui était due, jusqu’à ce que les temps fixés dans les décrets divins pour remplir le nombre des enfants de l’Église soient écoulés ; et alors il reviendra juger les vivants et les morts dans celle même chair avec laquelle il est monté au ciel.
Tout ce qui s’est manifesté au dehors dans la personne de notre Sauveur, est donc aujourd’hui renfermé dans les sacrements qu’il a institués et qui contiennent ses mystères. Pour donner à notre foi un degré de mérite supérieur et la rendre plus ferme, il a fait succéder la prédication de sa doctrine aux actes de sa vie mortelle, et les vrais fidèles, éclairés par la lumière céleste, rendent hommage à son autorité qui captive leur entendement. Cette foi que l’ascension du Seigneur augmenta beaucoup, et que fortifia l’effusion des dons du saint Esprit, a été à l’épreuve des chaînes, des prisons, de l’exil, de la faim, du feu, des bêtes féroces et de tous les supplices que la cruauté des persécuteurs du nom chrétien leur a fait inventer. Non seulement des hommes, mais des femmes, de jeunes enfants, des vierges dans l’âge le plus tendre, ont combattu dans toutes les parties du monde, jusqu’à répandre leur sang pour la défendre. C’est cette foi, mes chers frères, qui a mis en fuite les démons, qui a chassé les maladies et ressuscité les morts.
Les apôtres, instruits à l’école de Jésus Christ, témoins de tant de miracles, qui cependant avaient été ébranlés en lui voyant souffrir le supplice de la croix, et qui avaient eu tant de peine à croire la vérité de sa résurrection, furent tellement affermis et convaincus en voyant le Seigneur Jésus monter au ciel, que tout ce qui avait fait auparavant l’objet de leurs craintes, devint le sujet de leur joie. Élevant alors leur esprit à la contemplation de sa divinité, ils le voyaient assis à la droite de son Père ; sa présence sensible n’était plus un obstacle à l’activité de leur foi, et toutes les puissances de leur âme s’appliquaient à considérer celui qui, en descendant sur la terre, n’avait jamais été séparé de son Père, et qui, en les quittant, ne cessait pas de leur être présent. Ainsi, mes chers frères, lorsque le Fils de Dieu eut pris possession de la gloire de son Père, l’union de sa divinité avec notre humanité parut-elle aux disciples dans une évidence bien plus grande ; et ils comprirent que si le Fils de l’homme s’était éloigné d’eux, le Fils de Dieu n’en était que plus près, par la présence de sa divinité qui contient tout et qui remplit tout d’une manière ineffable. Alors ils n’eurent plus besoin de voir la substance corporelle du Sauveur qui le rend inférieur à son Père (Jn 14,28). Leur foi plus éclairée illuminant leur intelligence, ils commencèrent à envisager avec les yeux de l’esprit la divinité du Fils ; car depuis la glorification de son corps qui n’en a point détruit la nature, les fidèles appelés à la foi ne devaient plus contempler Jésus avec les yeux de la chair, mais s’élevant au-dessus des choses sensibles, s’approcher par la lumière de l’esprit, du Fils qui est en tout égal à son Père. C’est la raison pour laquelle le Seigneur, après sa résurrection, dit à Marie Madeleine, qui représentait l’Église, lorsqu’elle voulut s’approcher de lui pour le toucher : « Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mou Père » (Jn 20,17) ; c’est comme s’il lui eût dit : « Ce n’est plus désormais par les sens que vous devez me chercher, je vous donnerai des connaissances plus sublimes que celles qui viennent de la chair et du sang. Lorsque je serai monté vers mon Père, c’est alors que vous me connaîtrez plus parfaitement et que vous me toucherez plus réellement ; vous croirez ce que vous ne verrez point, et vous jouirez de ma présence sans toucher mon corps. »
Lorsque les disciples, ravis l’admiration, suivaient des yeux le Seigneur montant au ciel, deux anges, vêtus de blanc et brillants de splendeur, se présentèrent à eux, et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi « vous arrêtez-vous à regarder le ciel ? Ce Jésus qui, en vous quittant, s’y est élevé, reviendra de la même manière que vous l’avez vu monter au ciel. ». (Ac 1,11) Ces paroles apprennent à tous les enfants de l’Église, que notre Seigneur Jésus Christ reviendra visiblement un jour dans cette même chair avec laquelle il est monté au ciel. Et comment pourrait-on douter que tout lui soit soumis, puisque dès le commencement de sa naissance temporelle, il s’est servi des anges, ses ministres, pour la faire connaître. Ce fut un ange qui annonça à la bienheureuse Vierge Marie qu’elle aurait le bonheur de concevoir dans son sein, le Sauveur du monde, par l’opération du saint Esprit ; et ce fut aussi par la voix des esprits célestes que les bergers apprirent qu’il était né. Les premiers témoins de sa résurrection furent également des anges, et les disciples furent instruits par eux qu’il reviendrait juger le monde en personne, revêtu de la même chair. De quelle puissance sera donc environné ce Dieu-homme quand il viendra juger l’univers, puisqu’il a été servi par des anges alors même qu’il est venu pour être jugé ?
Réjouissons-nous donc, mes chers frères, livrons-nous aux transports d’une joie toute spirituelle, et pleins de reconnaissance envers Dieu pour le don ineffable qu’il nous a fait, contemplons des yeux de l’esprit, cette grandeur suprême où Jésus Christ a élevé son humanité. Que nos cœurs, dégagés de toute autre affection, ne vivent plus que pour lui ; que les désirs des choses périssables ne rabaissent point vers la terre, des âmes appelées à jouir de la gloire du ciel. Des biens éternels nous sont offerts, nous laisserons-nous entraîner par l’illusion de ceux de ce monde qui passent si vite ? Que les plaisirs trompeurs du siècle ne retardent pas dans leur course, ceux qui ont commencé à marcher dans la voie de la vérité, et que les fidèles se regardent comme des pèlerins dans le voyage qu’ils font vers leur patrie ; qu’ils comprennent que dans les biens temporels dont ils ont l’usage, s’ils en trouvent quelquefois qui les flattent, ils ne doivent pas s’y attacher pour en jouir, mais passer avec courage leur chemin sans s’en arrêter. Le bienheureux apôtre saint Pierre nous invite à prendre ces sentiments, lorsqu’animé pour le troupeau de Jésus Christ, du zèle que lui inspira l’exhortation de son divin Maître, qui lui fut répétée trois fois, il s’adresse à tous les fidèles, en leur disant : « Je vous prie, mes bien-aimés, de vous abstenir comme étant des étrangers et des voyageurs en ce monde, des passions charnelles qui combattent contre l’âme » (I Pi 2,11).
Les voluptés de la chair ne sont-elles pas en effet les instruments dont se sert le démon pour séduire, par la délectation des biens sensibles, les âmes qui aspirent au bonheur du ciel, et pour les attacher à son parti ? Cet esprit maudit trouve sa joie à les empêcher d’aller occuper ces trônes glorieux d’où son orgueil l’a fait tomber. Chaque fidèle doit donc veiller avec sagesse pour ne pas se laisser prendre dans ses pièges, et s’efforcer de vaincre son ennemi avec les mêmes armes dont il se sert pour le perdre. Il n’y en a pas de plus fortes contre les artifices du démon, mes chers frères, que la douceur des œuvres de miséricorde et l’abondance de la charité qui nous préservent de commettre le péché ou qui l’expient quand il a été commis. Mais, pour parvenir à la sublimité de cette vertu, il faut auparavant détruire tout ce qui lui est opposé. Or, qu’y a-t-il de plus contraire à la bénignité de la charité et à l’exercice de la miséricorde, que l’avarice qui est la racine de tous les maux ? Si on ne parvient à éteindre entièrement ce foyer qui allume toutes les passions, le cœur dans lequel cette mauvaise plante aura pris de l’accroissement, produira plutôt des ronces et des épines qu’aucun acte de véritable vertu. Résistons donc de toutes nos forces à une passion si dangereuse ; pratiquons la charité sans laquelle toutes les autres vertus perdent leur éclat et ne peuvent nous être utiles. Marchant ainsi dans le chemin de l’amour divin, nous pourrons monter et parvenir jusqu’à Jésus Christ que l’amour a fait descendre du ciel sur la terre.
Que tout honneur, toute gloire et toutes louanges lui soient rendus avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Pour donner à cette exhortation plus de développement, nous rapporterons ici les belles paroles de saint Basile qui disait, au sujet de cet homme riche dont il est question dans l’évangile de saint Luc 12,48 :
« Ne tombez pas dans la même faute, car ceci a été écrit afin que nous évitions de marcher sur ses traces. Imitez la terre, ô homme ! produisez comme elle, et ne vous montrez pas inférieur à un être inanimé. Et encore, si elle porte des fruits, ce n’est pas pour en jouir elle-même mais pour les faire servir à votre propre avantage. Vous, au contraire, quand vous produisez au dehors des fruits de bienfaisance, c’est pour vous, en définitive, que vous les amassez ; car tout l’avantage des bonnes œuvres retourne à celui qui les fait. Vous avez apaisé la faim de l’indigent, et ce que vous lui avez donné vous revient avec usure. De même, en effet, que le blé jeté en terre profite à celui qui l’a semé, de même le pain jeté dans le sein du pauvre vous rapporte au centuple pour l’avenir… Pourquoi donc vous inquiéter ? pourquoi vous tourmenter vous-même ? pourquoi vous fatiguer à enfermer vos biens dans des murailles de boue et de briques ? Si vous les estimez, ces richesses, pour la considération qu’elles procurent, considérez combien il est plus avantageux pour votre gloire d’être appelé le père de la grande famille des pauvres, que d’avoir dans votre maison un monceau de pièces d’or. Et cet or, il faudra bon gré mal gré le laisser ici-bas ; mais la gloire de vos bonnes œuvres, vous l’emporterez avec vous jusqu’aux pieds de Dieu qui vous donnera une félicité éternelle. »
Homélies de saint Léon le Grand sur les mystères de Jésus-Christ et pour le temps de Carême par M. l’abbé P. Chauvièrre, Félix Girard, Éditeur, Paris, 1866, pp. 451-460
Homélie disponible également en format numérique [pdf] sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones
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