Si la bénédiction des Patriarches a été confirmée par l’Esprit-Saint, si une récompense a été promise dans la loi à ceux qui régleraient leur vie selon la vertu, si les obscurités de l’Histoire Sainte ont annoncé d’avance la Vérité, si les oracles des prophètes ont prédit un bien surnaturel, c’est dans le bienfait de ce jour que toutes ces grâces sont renfermées. Comme une seule lumière faite de torches sans nombre qui frapperait nos regards, toute la bénédiction du Christ, lumière tirant d’elle-même son éclat, projette sur nos âmes les rayons éclatants, les rayons innombrables et changeants de l’Écriture. On peut en effet tirer de chacun de ces exemples divins un muet témoignage en faveur de la fête que nous célébrons.
Prenez la bénédiction d’Abraham. Considérez le temps présent, et vous trouverez ce que vous cherchez dans cette bénédiction. Ne voyez-vous pas les étoiles du ciel [Gen XXVI.4] ? ces étoiles, j’entends bien, qui viennent de naître pour nous de l’Esprit, et qui, sur-le-champ, ont fait de l’Église un firmament. Car c’est par les rayons des étoiles qu’est figurée l’éminente vertu des grands hommes comme la piété de ceux qu’a remplis la grâce. Vous pouvez dire en toute vérité que ces hommes nés de la promesse sont semblables aux astres du ciel.
Vous admirez la science sublime du grand Moïse qui comprit comment Dieu créa toute chose. Or voici pour vous le Sabbat de la première création du monde, ce jour que Dieu a béni. Dans ce sabbat ancien reconnaissez le sabbat présent, ce jour de repos que Dieu a béni entre tous les jours. Aujourd’hui, en effet, le Fils unique qui est Dieu, s’est vraiment reposé de toutes ses œuvres. Dans le but divin de venir en aide à l’homme pour le sauver, il apportait par sa mort le repos à la chair, et par sa résurrection, il retournait à ce qu’il était ; ressuscitant en lui tout ce qui gisait dans la mort, il s’est fait la vie, la résurrection, l’aurore, le matin et le jour pour ceux qui vivaient dans les ténèbres et l’ombre de la mort [Isaïe IX.2]. L’Écriture est pleine de bénédictions semblables [Gen XXII.1qs]. C’est le père d’Isaac qui n’épargne point son fils bien-aimé, c’est le fils unique devenu oblation et victime, c’est le bélier qui est immolé à sa place. Car on peut voir dans ce récit le mystère entier de notre religion. Le bélier était suspendu à un arbre auquel il était attaché par les cornes, le fils unique portait le bois de l’holocauste. Vous voyez comment celui qui porte tout par le verbe de sa puissance, porte le bois de sa croix et sur la croix est élevé, portant comme Dieu, mais souffrant comme le bélier. Ainsi l’Esprit-Saint, par l’un et l’autre détails nous a communiqué la figure de ce grand mystère en nous montrant le fils bien-aimé et le bélier, afin que, par l’agneau, fût signifié le mystère de la mort, et que, par le fils, fût prouvée l’impuissance de la mort à ôter la vie.
Si vous voulez considérer Moïse lui-même décrivant la croix par l’extension de ses mains et, par ce geste, mettant en fuite les Amalécites, vous pouvez observer dans sa véritable manifestation ce qui n’en était que la figure, c’est-à-dire Amalech reculant devant la croix [Exod XVII.11]. Vous avez aussi Isaïe qui contribue fort à éclairer la fête de ce jour : c’est de lui que vous avez appris d’avance que la Vierge serait mère sans être mariée, que la chair n’aurait pas de père, que l’enfantement serait sans douleur et l’accouchement sans tache. Car c’est ainsi que parle le prophète : Voici qu’une Vierge concevra dans son sein et enfantera un fils : on le nommera Emmanuel, c’est-à-dire « Dieu avec nous. » [Isaïe VII.4] Que l’enfantement ait été sans douleur, la logique de la chose vous l’enseignera. En effet, toute volupté entraînant la douleur avec elle, l’absence de volupté dans la conception entraîne nécessairement l’absence de douleur dans l’enfantement. Cela est d’ailleurs confirmé dans ces paroles du prophète : Avant que vînt la douleur de son enfantement, l’enfant sortit et c’était un mâle [Isaïe LXVI.7] ou, selon un autre interprète : Avant qu’elle sentît les douleurs, elle accoucha [Isaïe IX.6]. Vierge mère, dit-il, un enfant vous est né, un fils vous a été donné : son empire est sur son épaule, il est appelé l’Ange du grand conseil, le Dieu fort, le Puissant, le prince de la Paix, le Père du siècle à venir. Cet enfant, ce fils, tel un mouton qu’on mène à la boucherie, tel un agneau devant le tondeur, n’ouvrit pas la bouche [Isaïe LIII.7]. Ou plutôt, dit Jérémie, celui-ci est l’agneau paisible qui est conduit au sacrifice [Jerem. XI.19]. Mais recueillons plutôt parmi les paroles du prophète ce qui est le plus clair, afin que le mystère soit annoncé avec le plus d’évidence. Le prodigieux exemple de Jonas [Jon II.1 sq] qui, sans souffrir, était entré dans le ventre du poisson et qui en ressortit de même après avoir passé trois jours et trois nuits dans le ventre de la bête, symbolise le séjour du Christ aux Enfers [Mt XII.40].
Ces faits et d’autres semblables, il importe de les rechercher dans tous les passages de l’Écriture et de les en extraire. Car toutes ces figures, vous les voyez à la lumière des temps présents. De la joie de ce jour dépendent, comme nous le lisons dans l’Évangile, toute la Loi et les Prophètes [Mt XXII.40] Comme le dit S. Paul [II Tim III.16] toutes les Écritures inspirées et toute la Loi sont confirmées dans cette fête. C’est en effet la fin des maux et le commencement des biens. La mort, par exemple, régnait depuis Adam [Rom V.14], elle y avait pris le germe de sa puissance destructive : mais tout le temps de Moïse, elle maintînt son pouvoir néfaste, puisque la domination de la mort n’était en rien diminuée par la Loi. Vint le règne de la Vie, et l’empire de la mort fut dissous. Une autre génération apparut, une autre vie, une autre manière de vivre, un changement de notre nature même. Quelle génération ? Celle qui ne vient pas du sang ni de la volonté de l’homme ni de la volonté de la chair, mais de Dieu [Jo I.13]. Comment cela ? Je vais vous l’expliquer : l’enfant de cette génération nouvelle est conçu par la foi, il est mis au jour par la régénération du baptême, l’Église est sa nourrice qui l’allaite de sa doctrine, qui le nourrit du pain du ciel, sa maturité est d’être citoyen d’En-haut, son mariage c’est l’intimité de la sagesse ; il a pour enfants ses espérances, et pour demeure le royaume de Dieu ; les délices du Paradis constituent son héritage et sa fortune ; sa fin, ce n’est pas la mort, mais la vie éternelle dans le bonheur préparé pour les saints. Vous avez vu le commencement de ce changement vers le bien. Le grand Zacharie se demande quel nom lui donner, comment appeler la grâce qu’il renferme. En effet, passant en revue ce qui concerne le crucifiement et la mort, voici ce qu’il dit du temps où cela se passera : ce n’est pas le jour et ce n’est pas la nuit [Zach XIV.7], par quoi il montre que ce n’est pas du nom de jour qu’on peut appeler un moment où le soleil ne se montre pas, ni de nuit, où les ténèbres font défaut, puisque selon Moïse, c’est aux Ténèbres que Dieu a donné le nom de nuit [Gen I.3].
Donc, puisque ce nom de nuit est imposé à ce temps — ci, le nom de jour à celui-là, le prophète a pu dire : Ce n’est point le jour) ce n’est point la nuit. Si ce moment, suivant le prophète ne peut être appelé ni jour ni nuit, c’est d’un autre nom qu’il faut désigner le mystère présent. Pour moi, c’est là le jour qu’a fait le Seigneur [Ps CXVII.24] bien différent de ceux qui ont été établis au commencement du monde. Car dans celui-ci Dieu fait un ciel nouveau, une terre nouvelle, comme dit le Prophète [Isaïe LXV.17] Quel ciel ? Le firmament de la foi dans le Christ. Quelle terre ? Le cœur bon, dit le Seigneur, est une terre qui boit la pluie qui descend sur elle et qui produit de nombreux épis [Isaïe LXI.11]. Dans cette création, le soleil, sans doute, c’est la pureté de la vie ; les étoiles, ce sont les vertus ; le climat, une vie limpide ; la mer, la profondeur des richesses de la sagesse et de la science ; les herbes et les bourgeons, la bonne doctrine et les documents divers que le peuple, troupeau de Dieu, va comme brouter et paître ; les arbres qui portent des fruits ce sont les commandements qu’on observe. En ce jour, l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ce commencement n’est-il pas pour vous un monde, ce jour qu’a fait le Seigneur, dont le prophète dit qu’il n’est pas un jour ni une nuit semblables aux autres ?
Mais nous n’avons pas encore expliqué ce qu’il y a de plus remarquable dans le mystère présent. Il a détruit les douleurs de la mort. Il a enfanté le premier-né d’entre les morts. En lui, les portes de fer de la mort ont été brisées. En lui, les verrous de bronze de l’Enfer ont sauté. Maintenant la prison de la mort est ouverte. Maintenant la liberté est annoncé aux captifs. Maintenant la vue est donnée aux aveugles. Maintenant, ce jour, se levant des profondeurs, vient visiter ceux qui étaient assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort.
Voulez-vous aussi comprendre quelque chose des trois jours fixés d’avance ? Cet intervalle de temps fut si bref que, la sagesse toute puissante devenant maîtresse au cœur de la terre, a suffi à rendre stupide cette grande intelligence qui y demeurait. Car c’est ainsi que le prophète appelle le diable : la Grande Intelligence ou l’Assyrien [Isaïe X.12]. Donc, puisque ce cœur est comme le siège de l’intelligence — on croit en effet qu’en lui est le pouvoir de l’âme — le Seigneur habite dans le cœur de la terre où est sa céleste demeure de sorte qu’il rend stupide le jugement de celui-ci, comme dit le prophète [Isaïe XXIX.14], et qu’il arrête le sage dans son astuce en bousculant son effort de sagesse. Car puisqu’il était impossible que le Prince des Ténèbres parvînt à la pure présence de la lumière s’il n’avait pas discerné en elle quelque partie charnelle, après qu’il vit la chair divine et qu’il contempla les merveilles qui découlaient par elle de la divinité, il espéra pouvoir vaincre toute la puissance de celle-ci s’il parvenait à vaincre la chair en la faisant mourir. C’est pourquoi, en tendant la gueule pour absorber cette nourriture de chair, il a été percé de l’hameçon de la divinité. Ainsi, comme le dit Job annonçant de lui-même ce qui devait arriver : le dragon a été conduit avec un hameçon [Job V.13]. Mais apprenons du prophète quels étaient les desseins que ce « cœur de la terre » avait contre le monde lorsqu’il ouvrit la gueule pour absorber la chair du Seigneur. Isaïe dit ce qu’il y avait en lui quand il le reprend en ces termes : Tu as dit en ton cœur : Je monterai jusqu’au ciel, sur les astres du ciel j’assiérai mon trône et je serai semblable au Très-Haut [Isaïe XIV.13-14]. Telles étaient les pensées de ce cœur très criminel, mais avant d’aller plus loin, apprenons encore d’Isaïe ce que cette grande et fameuse intelligence pensait dans sa malice : J’ai dit : c’est par la force de ma main que j’ai agi ; et par ma sagesse, car je suis intelligent [Isaïe X.13-14], j’ai déplacé les bornes des peuples et pillé leurs trésors et, comme un héros, j’ai détrôné les princes ; ma main a saisi comme un nid les richesses des peuples ; comme on ramasse des œufs abandonnés, moi j’ai ramassé toute la terre, et nul n’a remué l’aile, ouvert le bec ou poussé un cri. Trompé dans son espoir, il reçut en lui celui qui par bonté pour le genre humain était venu partager notre vie sur la terre. Mais ce qui lui arriva au lieu de ce qu’il espérait, le prophète le dit clairement en nous annonçant sa chute : Comment est tombé du ciel Lucifer qui s’était levé avec le jour ? Comment s’est-il fracassé sur la terre ? La pourriture s’est couchée sur lui, les vers l’ont recouvert d’un vêtement [Isaïe XIV.12 sq] (J’abrège, car tout le monde n’a qu’à lire les textes des prophètes pour connaître les autres circonstances de sa chute. Pour moi, je reviens à mon sujet, il en est temps.)
C’est donc ainsi que la vraie Sagesse est allée dans le cœur arrogant de la terre pour y détruire cette Intelligence, grande en perversité, pour illuminer les Ténèbres, pour que la vie absorbe ce qui était mortel [II Cor V.3] et pour renverser le mal après avoir détruit l’ennemi, je veux dire la mort. Voilà l’œuvre de ces trois jours. Ce bienfait vous paraît-il avoir été lent à s’accomplir ? Un tel bien a-t-il mis trop de temps à être produit ? Voulez-vous concevoir la puissance qui a pu opérer tout cela en si peu de temps ? Comptez toutes les générations d’hommes qui se sont succédées depuis le commencement des maux jusqu’à leur fin. Comptez combien il y eut d’hommes dans chaque génération et combien de milliers dans toutes les générations. Leur foule est proprement innombrable. C’est par eux que la perversité s’est propagée d’une manière en quelque sorte héréditaire : les mauvaises richesses du mal réparties entre tous ont reçu accroissement de tous. Ainsi la prolifique perversité répandue largement dans la suite des âges, a grossi à l’infini, jusqu’à ce que, parvenant au plus haut comble du mal, elle eût possédé toute la nature humaine. Tous, dit le Prophète, sans faire exception pour personne, se sont égarés ; avec ensemble ils sont devenus inutiles [Ps XIII.3], au point qu’on ne pouvait rien trouver qui ne fut un instrument du mal. C’est donc un si grand amoncellement de maux, constitué à la création du monde et sans cesse accru dès lors jusqu’à la mort du Seigneur, que celui-ci a détruit et renversé en trois jours. Est-ce là le signe d’une faible puissance ? Sa force n’apparaît — elle pas alors comme la plus remarquable de toutes les merveilles dont l’histoire nous offre la mémoire ?
Nous admirons d’autant plus l’exploit de Samson que non seulement il terrassa un lion, mais le terrassa sans peine, et que, la main nue, comme en se jouant il tua et dépouilla un si grand fauve [Judic IV.6]. Eh bien, la puissance du Seigneur éclata dans le fait qu’il détruisit le mal par le moyen le plus simple. Il n’a pas ouvert les cataractes du ciel, les abîmes n’ont pas franchi leurs bornes, l’énorme puissance des eaux n’a pas inondé la terre habitée, elle ne l’a pas recouverte toute, la submergeant comme un navire perdu avec tout son équipage dans l’abîme, elle n’a pas escaladé les monts ni dépassé les sommets des montagnes. Ce n’est pas non plus, comme cela est arrivé du temps de Sodome, une pluie de flammes qui a purifié par le feu ce qui était corrompu. Rien de tel n’est arrivé, mais un simple et incompréhensible voyage, la seule présence de la Vie et de la Lumière dans les ténèbres, ont suffi à chasser toutes les ténèbres qui avaient leur siège dans la contrée de la mort, et à exterminer la mort elle-même.
C’est par sa volonté, et non par une nécessité naturelle, que le Christ a séparé son âme de son corps. En effet, celui, qui de sa propre puissance a organisé l’univers, n’a pas besoin d’attendre comme une aide indispensable d’être trahi ni d’être assailli par les juifs, ni de subir la sentence inique de Pilate ; autrement leur perversité deviendrait le principe et la cause du salut commun de tous les hommes. Au contraire le Christ prévoit d’avance ses moyens providentiels et il s’offre lui-même en victime pour nous, usant d’un sacrifice d’un genre mystérieux et qui échappe aux hommes. Immolant la victime, il est à la fois le prêtre et l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. À quel moment ? Quand il donna son corps à manger et son sang à boire, il montra clairement que le sacrifice de l’agneau était déjà achevé. Car le corps de la victime n’est pas propre à être consommé s’il est encore vivant. Aussi, lorsqu’il offre à ses disciples son corps et son sang à manger et à boire, son corps est immolé déjà d’une manière invisible et mystérieuse suivant sa volonté et par le pouvoir de l’auteur lui — même de ce mystère. L’âme était dans ce corps et dans ce sang : le même pouvoir l’avait déposée en eux, en même temps que la puissance divine qui lui est jointe était dans cette région du cœur de la terre dont nous avons parlé.
Aux pharisiens il avait dit : De même que Jonas resta trois jours dans le ventre du poisson, de même le fils de l’homme en passera trois dans le cœur de la terre [Mt XII.40]. Mais aux bandits crucifiés en même temps que lui : Aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis [Lc XXIII.43]. À son Père : Je remets mon esprit entre tes mains [Lc XXIII.46]. Or personne ne dira que le Paradis est aux enfers ou les Enfers au Paradis, ce qui reviendrait à dire qu’il était à la fois dans les deux endroits ou que ces différentes régions sont appelées « les mains du Père ». Mais à considérer ces choses avec piété. » on découvre qu’elles ne méritent même pas qu’on cherche à les éclaircir. Car celui qui est partout du fait de sa puissance divine, est présent en toutes choses et n’est exclu d’aucun lieu. Mais il me revient encore à la mémoire une autre explication que, si vous le voulez bien, je développerai brièvement. Quand l’Esprit — Saint vînt visiter la Vierge il la couvrit de la puissance du Très-Haut [Lc I.35], afin que l’homme nouveau fût conçu en elle — cet homme qui est précisément appelé nouveau parce qu’il a été créé de Dieu, hors de la manière ordinaire des hommes, afin que la demeure de Dieu ne soit pas faite des mains de l’homme, et de fait, le Très-Haut ne prit pas sa demeure dans un édifice qui fût l’ouvrage de l’homme [Act XVII.24] — ; alors la Sagesse se faisant elle-même sa demeure [Prov IX.1] et la façonnant de l’intérieur par l’effet de cette obombration de la vertu du Très-Haut comme ferait l’empreinte d’un cachet, la puissance divine s’est unie aux deux parties qui constituent la nature de l’homme, j’entends l’âme et le corps, et s’est également mêlée de manière tout intime à l’une et à l’autre. Car il fallait que, l’une et l’autre, étant exposées à la peine de mort (la mort de l’âme, c’est la séparation de la vraie vie ; celle du corps, sa corruption et sa dissolution), il fallait que l’union de la vie chassât la mort de l’une et de l’autre. C’est pourquoi, la divinité s’étant unie à l’une et l’autre partie de l’homme, on put voir dans l’une et l’autre des indices de cette nature supérieure. Car le corps, en guérissant les maladies par son contact, manifestait sa divinité, mais l’âme, par l’efficacité de sa volonté, révélait aussi sa puissance divine. De même que le toucher est un sens propre au corps, de même la volonté est un mouvement propre à l’âme. Un lépreux, le corps décomposé et tout épuisé, vient-il à lui, comment le Seigneur le guérit-il ? L’âme veut, le corps le touche et la lèpre disparaît [Mt VIII.3]. Une autre fois, lorsque tant de milliers d’hommes s’étaient assis autour de lui dans le désert, il ne voulut pas les renvoyer à jeûn. Alors c’est avec les mains qu’il rompit le pain [Mt XV.32 sq].
Vous voyez donc comment la divinité est unie visiblement à l’une et à l’autre partie, à la fois quand le corps opère et quand l’âme décide. Mais il n’est pas nécessaire que nous passions en revue tous les miracles accomplis de la même manière. Ils sont connus de tous. Revenons donc à ce dont la grâce de cette fête nous oblige à rappeler les particularités. Nous cherchions comment le Seigneur a pu être simultanément aux Enfers et au Paradis. À cette question, je le répété, il n’est que de répondre : rien n’est inaccessible à Dieu en qui tout demeure à la fois. Mais mon propos tend à une autre solution, à savoir que Dieu qui a changé l’homme tout entier en s’unissant à lui et l’a élevé à sa nature divine, ne s’est pas éloigné, au moment de la mort, ni de l’une ni de l’autre partie de celui qu’il avait assumé une fois pour toute (car jamais il ne se repent de ses bienfaits [Rom XI.29]). Donc la divinité sépara volontairement l’âme du corps, mais montra qu’elle demeurait pourtant dans l’une comme dans l’autre. Par son corps où le Christ n’a pas admis la corruption [Act II.27] qui est fille de la mort, il repoussa celui qui en détenait l’empire [Hebr II.14] et, par son âme, il ouvrit au bandit l’entrée du Paradis. Ces deux actes ont été réalisés au même moment, la divinité accordant ces bienfaits par l’intermédiaire de l’âme et du corps humain. En rendant le corps inaccessible à la corruption, elle détruisit la mort elle-même et, par l’établissement de l’âme dans sa propre demeure, elle ouvrit aux hommes l’accès du Paradis. Donc puisque le mélange dont est fait l’homme est double, tandis que la nature divine est simple et une, au moment où le corps est séparé de l’âme, la divinité, elle-même indivisible, n’est pas divisée ; au contraire l’unité de la nature divine, à égalité dans les deux parties de l’homme, réunit à nouveau ce qui était séparé. La mort vient de la division des parties unies, la résurrection, de la réunion des parties divisées…
Homéliaire patristique – Homélies ou Sermons des Pères de l’Église pour les principales Fêtes de l’Année liturgique ancienne, présentation de Jean-P. Bonnes, pp. 229-241, les éditions du Cerf, Paris, 1949
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