« Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem, et qu’ils furent arrivés à Bethphagé, près de la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples en leur disant : Allez à ce village qui est en face de vous, et vous y trouverez en arrivant une ânesse attachée et son ânon avec elle. Détachez-les et amenez-les-moi. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il les laissera emmener. » (Matth. XXI.1 seqq)
Le Sauveur sort de Jéricho, entraînant à sa suite une foule considérable; et après avoir rendu la vue aux aveugles, il s’approche de Jérusalem, chargé de biens. Le salut des croyants assuré, il a hâte de rentrer dans la cité de la paix, le lieu de la vision de Dieu, et la citadelle de l’observation. Et lorsqu’il approcha de Jérusalem, et fut arrivé à Bethphagé, « à la maison des mâchoires », (C’était un petit village appartenant aux prêtres; il était situé au pied du mont des Oliviers où se trouvent la lumière de la science, le repos du travail et la cessation de la douleur). Il envoya au village deux de ses disciples, […] la théorie et la pratique, « la science et l’action. » Et il leur dit: « Allez à ce village, qui est à l’opposé de vous. » Il était en effet opposé aux apôtres et ne voulait pas se soumettre au joug de la doctrine. « Et vous y trouverez en arrivant une ânesse attachée et son ânon avec elle ; détachez-les et amenez-les-moi … » L’ânesse était attachée par tous les liens du péché. L’ânon, d’un naturel lascif, et comme sa mère rebelle au frein, avait au dire de saint Luc, (Luc. XIX), un grand nombre de maîtres, dominé qu’il était par une foule d’erreurs ; et néanmoins ces maîtres nombreux qui s’arrogeaient sur lui un pouvoir illégitime, en voyant arriver le véritable maître et les serviteurs chargés par lui de le détacher, n’osent opposer aucune résistance. Quelle est cette ânesse et Son ânon, nous le dirons plus bas.
« Or tout cela se fit afin que cette parole du prophète fût accomplie : dites à la fille de Sion : voici votre roi qui vient à vous plein de douceur, monté sur une ânesse et sur l’ânon de celle qui est sous le joug. » Ibid. 4-5. Ceci est tiré du prophète Zacharie dont nous parlerons plus longuement en son lieu, si Dieu nous prête vie. Pour le moment, contentons-nous de dire en deux mots, que dans un parcours d’aussi peu d’étendue, il fut littéralement impossible au Sauveur de s’asseoir sur ces deux animaux, car s’il monta sur l’ânesse, l’ânon resta sans cavalier; et si ce qui est plus convenable, il se servit de l’ânon, l’ânesse suivit en liberté. Puis donc que le récit contient des circonstances impossibles ou peu convenables, élevons-nous plus haut, et disons que cette ânesse domptée et soumise au joug, c’est la synagogue; que cet ânon aux allures lascives et indépendantes, c’est le peuple de la gentilité, sur lequel Jésus s’assied, après leur avoir envoyé deux de ses disciples, l’un pour les circoncis, l’autre pour les gentils.
« Les disciples s’en allèrent donc et firent ce que Jésus leur avait commandé. Ils amenèrent l’ânesse et l’ânon, ils les couvrirent de leurs vêtements et le firent monter dessus. » Ibid. 6.7. Cet ânon et cette ânesse sur lesquels les apôtres étendent leurs vêtements, pour faire à Jésus un siège plus doux, étaient nus avant l’arrivée du Sauveur, et bien qu’une foule de maîtres étendissent sur eux leur domination, aucune couverture ne les garantissait du froid. Mais une fois couverts des vêtements apostoliques et par là rendus plus beaux, ils eurent le Seigneur pour cavalier. Le vêtement apostolique peut s’entendre ou de la possession de la vertu, ou de l’intelligence des Écritures, ou des diverses vérités enseignées par l’Église, toutes choses qui sont la force et la parure de l’âme et sans lesquelles elle n’est pas digne de porter le Seigneur.
« Une grande multitude de peuple étendit aussi ses vêtements sur le chemin. » Ibid. 8. Voyez la différence de chacun des personnages : les apôtres déposent leurs vêtements sur la monture; la foule moins élevée en dignité, les étend sous ses pieds, sans doute pour qu’elle ne se blesse pas contre la pierre, qu’elle ne s’enfonce pas une épine dans le pied, et qu’elle ne tombe pas dans un trou.
« Les autres coupaient des branches d’arbres et les jetaient dans le chemin. » Ils coupaient des branches aux arbres fruitiers abondants sur la montagne des Oliviers, et les jetaient sur le chemin, pour redresser les endroits tortueux, aplanir les inégalités du terrain, afin que le Christ, vainqueur du démon et du vice pût pénétrer plus directement et plus sûrement dans le cœur des croyants.
« Mais les foules, celles qui allaient devant et celles qui suivaient, criaient : Hosanna au fils de David; béni soit celui qui vient au nom du Seigneur; hosanna au plus haut des cieux. » Ibid. 9. Le récit est clair; ne nous y arrêtons pas et contentons-nous d’en poursuivre le sens spirituel. Quand les foules sorties de Jéricho à la suite du Sauveur et de ses disciples, virent l’ânon (lié auparavant) détaché, couvert des vêtements des apôtres, et monté sur lui le Seigneur Jésus, elles étendirent leurs vêtements et des branches d’arbres sur le chemin. Cela fait, cet hommage muet ne leur suffit pas, elles y joignent celui de la voix ; et celles qui précèdent comme celles qui suivent, l’acclament, non par une profession de foi courte et silencieuse, mais en criant à pleins poumons : « Hosanna au fils de David, bénit soit celui qui vient au nom du Seigneur. » En disant : « les foules, celles qui allaient devant et celles qui suivaient, » l’Évangéliste montre que les deux peuples, celui qui crut au Seigneur avant l’Évangile, comme celui qui ne crut en lui qu’après l’Évangile, le louaient dans une commune profession de foi, et, pour nous reporter aux enseignements de la parabole racontée plus haut, que les ouvriers des différentes heures recevaient la même récompense de leur commune croyance. Pour ces paroles : « Hosanna au fils de David, » je me souviens d’en avoir, il y a peu d’années, exposé la signification dans une courte lettre à Damase alors évêque de Rome ; je n’en dirai donc aujourd’hui que très peu de chose. Dans le psaume cent dix-sept qui traite manifestement de l’avènement du Sauveur, nous lisons entre autre choses : « La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée, a été placée à la tête de l’angle. C’est le Seigneur qui a fait cela, et c’est ce qui est admirable à nos yeux. C’est ici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et soyons pleins d’allégresse. » Le Psalmiste ajoute aussitôt : « O Seigneur, sauvez-moi; ô Seigneur, faites prospérer. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ; nous vous bénissons de la maison du Seigneur. » et le reste. (Psalm CXVII. 22 seqq)
Au lieu des expressions employées par les Septante […] « ô Seigneur, sauvez, » l’Hébreux dit : Anna adonai osianna, que Symmaque a clairement rendu par : « Je vous en prie, Seigneur, sauvez, je vous en prie. » Que personne n’aille cependant s’imaginer que le mot en question soit formé de deux mots, l’un grec et l’autre hébreu; il est entièrement hébreu et signifie que l’avènement du Christ est le salut du monde. De là ce qui suit : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Le Sauveur approuve lui-même dans l’Évangile cette interprétation, lorsqu’il dit : « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez pas reçu. Un autre viendra en son propre nom, et vous le recevrez. » (JeanV.4) De plus, les mots dont « hosanna » c’est-à-dire, « salut » est accompagné, « salut au plus haut des cieux » montrent clairement que l’avènement du Christ n’est pas seulement le salut des hommes, mais le salut du monde entier, car il unit la terre au ciel : « Afin que tout genou fléchisse devant lui, au ciel, sur la terre et dans les enfers. » (Philipp. II.10)
Œuvres complètes de Saint Jérôme traduites en français et annotées par l’abbé Bareille, tome dixième, Louis Vivès, Libraire-Éditeur, Paris, 1884, pp. 34-37
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