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Le hiéromartyr Benjamin, métropolite de Petrograd

5 novembre 2020

Tout d’abord, il est nécessaire de dire que l’auteur de cet article étant en URSS contre sa volonté, il n’avait pas la possibilité d’avoir de sources écrites sur ce sujet, à part l’autobiographie de l’évêque Pierre, qui ne pouvait être témoin oculaire lui-même de tous les événements dont il parle dans ses mémoires, et qui tirait ses renseignements de diverses sources orales.

 

Dans l’exemple donné, il décrit quelques détails qui ne se trouvent évidemment pas dans d’autres textes. Dans le compte-rendu du très âgé hiérarque (il est mort à l’âge de 94 ans), il peut y avoir des inexactitudes, mais on ne peut pas supposer qu’il soit complètement dénué d’authenticité historique. Nous faisons cette remarque parce que parmi ceux qui ont fourni des informations concernant l’histoire de l’Église, il y en a qui rejettent complètement l’autobiographie de l’évêque Pierre comme n’étant pas une source sûre. Surtout ceux qui ont joué un rôle significatif dans le néonovationisme. Et justement, en ce qui concerne le sujet que nous abordons, leur information ne concorde pas avec la nôtre, basée sur cette « autobiographie ». Sans entrer dans la jungle de la polémique, nous pensons que le temps où nous pourrons séparer ce qui est exact de ce qui ne l’est pas n’est pas encore arrivé.

Le 2 mai 1922, Sa Sainteté le patriarche Tikhon fut arrêté pour avoir promulgué un ukase éclaircissant le décret du gouvernement soviétique, qui ordonnait que toutes les églises chrétiennes donnent leur or et leur argent à l’État. Le patriarche précisait que les ustensiles en or et en argent qui avaient déjà servi pour la célébration du mystère de la sainte Eucharistie n’étaient pas concernés par le décret, selon les canons de l’Église. Mais trois évêques exprimèrent leur désaccord avec Sa Sainteté. Il s’agissait d’Evdokim, Antoine et Leonid, accompagnés des prêtres Vvedenski, Krasnitski, Boyarski, Biélkov, et d’autres. Ceux-ci renièrent la décision du patriarche en signant une déclaration disant que le patriarche interdisait illégalement le décret, mais qu’eux le permettaient. C’est ainsi que le patriarche fut arrêté et emprisonné.

Prenant connaissance de cette situation, Sa Sainteté le patriarche Tikhon passa la direction de l’Église au premier intérimaire désigné par le Concile local, le métropolite Agathangel de Yaroslav. Le métropolite prit cette responsabilité le 3 mai. Alors qu’il annonçait cela à tous les prêtres et laïcs, il les informa aussi que désormais chaque évêque devait conduire son troupeau selon sa conscience et le serment qu’il avait prêté lors de son ordination. Mais que pour les problèmes difficiles à résoudre, chacun devait s’adresser à son « humilité » (le métropolite Agathangel). Mais aussitôt l’ukase promulgué, le métropolite fut arrêté et envoyé en Sibérie. Tandis que les ex-évêques Evdokim, Antoine et Leonid ont immédiatement accordé le titre de « métropolite » aux prêtres qui les suivaient. Dans le même temps, ces soi-disant « métropolites » établirent l’Administration Supérieure de l’Église (ASE). Ils furent immédiatement reconnus et soutenus par le pouvoir soviétique. Et cette « Administration » commença à diriger les affaires ecclésiastiques de toute la Russie.

Ils promulguèrent un programme en 28 points affirmant que le Seigneur Jésus Christ n’est pas Dieu, mais seulement une personne douée.

Dans ce même document, la toute-sainte Enfantrice de Dieu, premièrement n’est pas « Enfantrice de Dieu », deuxièmement, n’est bien sûr pas Vierge, mais simplement « femme »… Et ainsi de suite, toujours dans ce même esprit hérétique.

Il est clair que cette fausse doctrine était l’hérésie arienne dans son intégralité, plusieurs fois condamnée par les Sept Conciles œcuméniques. Et ces nouveaux Ariens dirigèrent leur premier coup vers Moscou. Ils y remportèrent un succès considérable à cause de la « crainte des Juifs ». L’ASE exigea de tous l’acceptation des « 28 points ». Le 27 mai, en moins d’un mois, leur tâche fut achevée à Moscou. Quiconque parmi les prêtres n’acceptait pas les « 28 points » pouvait désormais s’attendre à être arrêté et emprisonné à tout moment par les autorités soviétiques.

Le 28 mai, ils arrivèrent à Petrograd. Après avoir fait les préparatifs nécessaires « à un endroit pas très éloigné », ils rencontrèrent le métropolite Benjamin dans la soirée. Ils lui présentèrent le programme des « 28 points ».

 

Le sage hiérarque leur dit :

« J’ai été élu à ce siège par le peuple. Sans le peuple, je ne peux rien décider. Demain, c’est dimanche. Le peuple sera libre. Assemblons les croyants. Vous leur expliquerez vos buts et tout le programme de ‹l’Église Vivante›. Et si le peuple l’accepte, je pourrai alors vous donner une réponse »

Ils furent d’accord. Le lendemain, le métropolite Benjamin servait dans la Laure Alexandre Nevski. Une réunion des croyants fut arrangée pour examiner le programme de « l’Église Vivante ».

A la fin de la Divine Liturgie, le métropolite Benjamin s’adressa au peuple en ces termes :

« Des représentants de ‹l’Église Vivante› sont venus de Moscou. Ils nous proposent d’accepter leur programme et leur enseignement. Écoutez attentivement. Sans vous, je ne peux pas décider. Mais vous, décidez vous-mêmes si oui ou non vous devez accepter cette doctrine. Ensuite, j’exprimerai moi aussi mon opinion! »

A dix heures du matin, le peuple avait déjà commencé à se rassembler. Tous ceux qui désiraient être présents à cette réunion inscrivaient leur nom dans des cahiers. Il y avait environ 12 000 personnes assemblées avec les prêtres de toutes les églises de Petrograd.

Le métropolite proposa d’élire un praesidium (comité). Ses membres étaient le métropolite lui-même, quatre membres du clergé et trois laïcs. L’hiérarque ouvrit la séance. Le soi-disant « métropolite » sortit sur l’ambon. Il dit :

« Jusqu’ici, nous avons été des sujets du Tsar mais maintenant, nous sommes libres. Le peuple lui-même doit diriger l’Église. C’est pourquoi nous voulons nous libérer des liens dont nous étions liés dans le passé. Plus de 1900 ans ont passé depuis qu’on a ordonné de croire que le Seigneur Jésus Christ est Fils de Dieu et Dieu, et qu’il est né de la Vierge Marie. Mais qui peut souscrire à cela? Bien sûr qu’il n’est pas Dieu. C’est clair pour tout le monde. Nous reconnaissons Dieu. Il est vraiment le Seigneur Dieu Sabaoth. Toute la Bible en est témoin. Tous les prophètes en ont parlé. Et nous reconnaissons tout cela… Mais Jésus Christ n’est évidemment pas Dieu. Il était tout simplement un homme génial. Et jugez par vous-mêmes comment celle qui l’a enfanté peut être vierge…

Nous devons nous unir — Orthodoxes, Catholiques et Juifs — dans une seule Église Vivante (et pas morte) pour tous les peuples! … »

Quand il eut dit cela, tout le peuple s’écria : « Nous ne voulons pas d’une telle ‹Église›… Nous croyons que le Seigneur Jésus Christ est Fils de Dieu et Dieu, et nous reconnaissons que la Mère de Dieu est Vierge! … »

Puis, le « métropolite » Krastnisky de « l’Église Vivante » parla. Il rejeta le baptême des enfants comme étant donné à des êtres non-conscients. Selon lui, l’enfant doit d’abord grandir, puis recevoir le baptême en étant parfaitement conscient de ce qu’il reçoit. Il rejeta également le sacrement du mariage. Selon le « métropolite », on ne doit pas se marier à l’aveuglette. Il faut d’abord se marier civilement. Puis, on doit voir si le couple est bien assorti. Si ce n’est pas le cas, les conjoints doivent se séparer. Seuls ceux qui s’entendent bien peuvent se marier à l’église. [Il poursuivit :]

« Nous ne reconnaissons pas de saintes reliques, ni aucune autre relique… »

« Nous ne reconnaissons pas le monachisme non plus; un homme ne peut être sans femme, ni une femme sans homme… Les évêques doivent prendre femme… Un prêtre veuf peut se remarier une deuxième et une troisième fois. »

Le « métropolite » Boyarski sortit à son tour. Il commença par une objection au discours de Vvedenski :

« Bien que Vvedenski ait dit que Jésus Christ n’est pas Dieu mais un homme génial, et la Mère de Dieu n’est pas une vierge… je ne suis pas d’accord avec lui. Je reconnais que Jésus Christ est le Fils de Dieu et que la Mère de Dieu est une vierge. Mais le mariage, les saintes reliques, le monachisme — je ne les reconnais pas! »

Lorsqu’il eut dit cela, le peuple s’écria :

« Nous ne voulons pas de vos explications. Nous n’avons pas besoin de votre nouvelle Église Vivante›. Honte, honte! … »

Le métropolite Benjamin, en tant que président, se leva et calma le peuple. Puis il dit :

« Vous avez tous entendu de la bouche des représentants de la soi-disant ‹ Église Vivante › les explications sur ce que cette ‹ Église › représente. Vous avez entendu que l’‹ Église Vivante › attaque et rejette notre Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Et que cette ‹ Église Vivante › reconnaît comme vraie une doctrine fausse et blasphématoire. Par conséquent, si vous êtes d’accord avec eux et prêts à passer de leur côté, joignez-vous à ceux qui ont parlé. Mais moi, en tant que votre archiprêtre, celui qui a été placé dans la sainte Église pour garder la pureté de la foi et pour chasser loin d’elle les ‹ loups qui la détruisent ›, je suis obligé de dire ce que je vais dire. Ce sont des loups sous des peaux de brebis ! Le saint apôtre a prophétisé d’eux ainsi :

‹ Je sais qu’il s’introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau, et qu’il s’élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux. Veillez donc ! › [Ac XX. 29-31].

Et je témoigne ici devant vous que ces loups sont maintenant entrés parmi nous pour faire leurs affaires de loups chez nous aussi. Ils sont entrés avec nos habits, mais ils ne sont pas des nôtres. Attention, méfiez-vous d’eux ! …

Moi, en tant que votre archiprêtre, je vous l’ai annoncé. Ce blasphème que vous avez entendu a déjà été prêché par Arius et ses disciples. Mais Arius et ses disciples ont été condamnés par les Sept Conciles œcuméniques et voués à l’anathème, à la séparation d’avec l’Église du Christ. En conséquence de quoi, moi aussi, en accord avec les saints Conciles œcuméniques, je suis obligé de livrer tous les chefs de cette nouvelle ‹ Église Vivante › hérétique et tous ceux qui les suivent à l’anathème ! »

Après ces paroles, il retourna aux Portes Royales et prononça les paroles suivantes :

 

« Au nom de notre Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, et de sa toute-pure, immaculée et toujours Vierge Mère, l’Enfantrice de Dieu, je livre à l’anathème la soi-disant ‹Église Vivante› et ses chefs, et son troupeau! »

 

Et aussitôt le protodiacre prononça l’anathème sur tous les docteurs et disciples de « l’Église Vivante ». Mais pendant qu’ils scandaient : « Anathème, anathème, anathème! », Vvedenski, s’enfuit par une porte latérale de l’autel dans la cour de la Laure Alexandre Nevski et informa le GPU par téléphone de ce qui s’était passé. Le métropolite Benjamin, par contre, commença un sermon sur cette hérésie. Pendant qu’il parlait des autorités, des représentants des autorités soviétiques arrivèrent et l’arrêtèrent avec tout le Synode. Ils les emmenèrent dans la rue Gorotchovaya où était le GPU. Tout le peuple qui avait été dans la laure et dans ses alentours alla y demander leur libération mais les autorités ne les relâchèrent pas. Dans la soirée, 30 000 personnes environ étaient rassemblées dans la rue du GPU et dans les rues voisines. La foule ne se dispersa pas et continua à demander sa libération. Puis, le soir, les autorités envoyèrent une unité de cavalerie droit sur la foule et commença à écraser les gens sous les pieds des chevaux. Combien de personnes y trouvèrent la mort ? Selon la Cour, quelques centaines. Mais combien furent arrêtées et soumises à la répression — il est impossible de le dire, même approximativement. Ils condamnèrent 10 personnes à être fusillées. Pour six autres personnes, ils transformèrent la sentence de mort en prison. Les autres personnes arrêtées furent également emprisonnées pour des périodes de temps de longueur variable.

Parmi les hiérarques appartenant au Synode, le métropolite Benjamin, l’archimandrite Serge qui disait sans crainte toute la vérité à ses exécuteurs, et d’autres, furent fusillés. Tous se conduisirent avec la plus grande dignité. Mais le métropolite Benjamin frappa tout le monde par sa douceur, son humilité et en même temps sa confiance complète en la volonté de Dieu et sa fermeté inébranlable dans la confession de la foi chrétienne. Lui et ses co-lutteurs subirent le martyre la nuit du 31 juillet au 1e août.

Saint hiéromartyr et hiérarque Benjamin et ceux qui ont souffert avec toi pour le Christ, priez Dieu pour nous!

Tel est le récit de ces événements et de la mort du métropolite donné par l’archevêque Pitirim (c’est-à-dire l’évêque Pierre).

 

Article publié dans le numéro 23 de la revue Orthodoxie
Reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’archimandrite Cassien
Un autre article sur le métropolite est disponible sur le site La Lorgnette Orthodoxe

 

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1 Comment

  • Reply Jean-Claude Maingot 5 février 2023 at 4 h 54 min

    C’est ce que cela veut dire être « sel de la terre » et « lumière du monde »

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    Rapport de faute d’orthographe

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